Gouverner par le chaos
Ingénierie sociale et mondialisation
Table des matières
Politique et massification
Politique et mondialisation
Qu’est-ce que l’ingénierie sociale?
La stratégie du choc
La conduite du changement
Le social learning
La fabrication du consentement
Le tittytainment
Le pied-dans-la-porte
Le mind control
Le virtualisme
La guerre contre-insurrectionnelle
Le reality-building
Le management négatif
La théorie de la Jeune-Fille
Le biopouvoir
Conclusion provisoire
L’Appel des Résistants
Le Mind Control
Faisons encore un pas dans la régression mentale
provoquée et le hacking psychosocial. Chacun se souvient
des propos de Patrick Le Lay, alors Président Directeur
Général de TF1, sur « le temps de cerveau disponible »
que sa chaîne de télévision vendait aux annonceurs
publicitaires. Rien d’anecdotique dans cette formulation.
Après le contrôle des émotions et des situations,
l’ingénierie sociale s’est beaucoup intéressée au contrôle
direct du cerveau, dans l’optique de court-circuiter le
champ des représentations pour s’attaquer directement à
la programmation du système nerveux dans sa
matérialité la plus brute. Cette analogie entre cerveau et
ordinateur, déjà perceptible dans la cybernétique, le
cognitivisme et le Social Learning, s’appuie en fait sur le
Learning tout court, c’est-à-dire les théories de
l’apprentissage, au sens de « apprendre à un être vivant à
se comporter de telle façon ». Pour le dire frontalement,
le Learning est la science du dressage et duconditionnement
comportemental.Elle fut originellement testée sur des animaux de laboratoire,
mais rapidement appliquée à l’humain dès les années
1940 au travers des recherches en Mind Control (contrôle
mental), ou MK (Mind Kontrolle), menées dans le but de
créer des Candidats Mandchous et des soldats parfaits,
ignorant la peur, insensibles à la douleur, etc. Divers
protocoles furent mis au point, s’appuyant sur lesprincipes behaviouristes de « conditionnement classique
», issus des travaux de Pavlov sur les réflexes
conditionnés (stratégie directe et déterministe) et de «
conditionnement opérant », issus des travaux de Skinner
sur l’induction de comportements à partir du façonnage
de l’environnement (stratégie indirecte et tendancielle).
Le jeu sur la récompense et la punition pouvant aller
jusqu’à des actes de torture, on ne s’étonnera pas que le
programme de recherche MK-Ultra, dont les dossiers ont
été récemment déclassifiés par la CIA après avoir été top-
secrets pendant une cinquantaine d’années, ait fortement
inspiré non seulement l’ouvrage déjà mentionné de
Naomi Klein mais encore l’enquête très approfondie de
Gordon Thomas, intitulée Les armes secrètes de la CIA —
Tortures, manipulations et armes chimiques. L’auteur y
restitue l’historique complet du projet MK-Ultra, avec ses
savants fous affairés autour de leurs cobayes humains, ou
« sujets jetables », expliquant que la germanisation du
terme control en Kontrolle était un clin d’œil aux origines
des scientifiques qui développèrent les premiers ces
recherches, d’anciens nazis exfiltrés après la guerre aux
États-Unis ou en Angleterre dans le cadre de l’opération
Paperclip. Ainsi, depuis 1945 et dans la continuité de ce
que les scientifiques du Troisième Reich avaient
commencé de mettre au point, de nombreuses
expériences sur l’hypnose, les hallucinogènes, l’influence
subliminale, le lavage de cerveaux et la re-
programmation mentale furent (et continuent d’être)
élaborées sur les individus et sur les masses à l’Institut
Tavistock, au Massachusetts Institute of Technology
(MIT), ou sur d’autres campus universitaires tels que
Harvard. Le malheureuxTed Kaczynski, devenu célèbre sous le pseudonyme «
Unabomber », en fut lui-même victime au début des
années 60, alors qu’il était encore étudiant sous la
direction de Henry A. Murray. Plus récemment, on a vu
naître de ces recherches une nouvelle discipline, le
neuromarketing, fondée sur l’imagerie médicale du
cerveau et visant explicitement à déclencher des pulsions
d’achat irrépressibles par l’activation ciblée de certaines
zones du système nerveux.
Le Mind Control est friand de métaphores
informatiques et relatives à l’Intelligence Artificielle, son
projet consistant à réécrire le programme
comportemental d’une machine vivante mais sans que
cette machine ne s’en rende compte. Piratage psycho-
socio-biologique, où le code source du sujet cobaye a été
craqué, puis effacé et reformaté par une entité extérieure
au sujet, qui s’est ainsi rendue propriétaire de
l’inconscient du sujet et qui peut donc orienter son
devenir. Un hacker s’est infiltré dans la mémoire, en a
pris le contrôle, l’a reconfigurée selon ses plans, a
implémenté de nouveaux habitus, de nouveaux
algorithmes comportementaux et pilote désormais la
machine humaine à distance. Mais surtout, il a effacé
toute trace de son effraction et de sa manipulation. La
philosophie du Mind Control, l’emprise totale sur un être
vivant, emprise autorisée par la réduction de cet être à
une machine computationnelle simplement animée
d’entrées et de sorties d’information (input et output), a
ainsi infusé toute la politique moderne, progressivement
réduite à la gestion de flux quantitatifs. La cybernétique,
même quand elle se veut « humaniste » dans les
conférences de la Fondation Macy (1946-1953) ou dans lerapport Meadows du Club de Rome (1972), ne peut
s’empêcher de chercher à réduire l’incertitude à zéro et
donc à produire un effet de « chosification » du vivant.
Ces diverses approches de la gestion des groupes
humains ont toutes en commun de produire des effets de
nivellement par le bas. À chaque fois, il s’agit de
contourner le lobe frontal du cerveau, le néocortex, siège
du langage et des fonctions dialectiques, pour prendre
directement le contrôle des fonctions pré-linguistiques :
les réflexes primitifs du cerveau reptilien, et les émotions
dans le système limbique. Il s’agit de rendre impossible la
sublimation, c’est-à-dire de désirer des mots plutôt que
des objets, et de maintenir toute la vie entre deux états
mentaux simplifiés pré-langagiers, dérivés des deux
émotions primitives que sont la peur et l’excitation
érogène. Cette atrophie du champ psychique génère
évidemment toute une gamme d’états dépressifs et de
pathologies mentales diverses, que l’on peut rassembler
sous les termes de désymbolisation, de perte de Sens et
de structure mentale. Mais pour parvenir à ses fins, à
savoir la construction d’un système social totalement sûr
et prévisible, l’ingénierie politique des pays développés
n’a pas eu d’autre choix que de considérer l’humain
comme moins qu’un animal : comme un simple objet
plastique et à disposition pour le recomposer à loisir.