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La mise au point de nouvelles armes antipersonnel – Revue internationale de la Croix-Rouge

N°2 de la traduction d’articles issus du site MindJustice. « Sample of Rare and Outstanding Articles from 1976 to 1996 »

International Review of the Red Cross, 279

November 1, 1990
The Development of New Antipersonnel Weapons
by Louise Doswald-Beck and Gerald C. Cauderay

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Les blessures qui en résultent sont aujourd’hui, et le seront dans un avenir prévisible, pratiquement inexistantes. Le deuxième groupe de travail, composé principalement de psychiatres et de médecins, étudiera plus en détail les effets à court et à long terme, tant pour l’individu que pour la société, de la cécité &a par rapport aux autres blessures généralement subies sur le champ de bataille. Les informations recueillies peuvent ensuite être utilisées pour une discussion plus approfondie sur les implications juridiques et politiques de la mise au point de ces armes.

5. Armes à énergie dirigée (DEW)

Outre l’arme laser antipersonnel, qui à certains égards pourrait également être considérée comme une arme à énergie dirigée, il existe également des armes très spéciales, telles que celles utilisant des ondes électromagnétiques de différentes longueurs d’onde et des générateurs de faisceaux de particules, qui sont considérées par certains experts comme des armes antimatérielles potentielles extrêmement efficaces. S’il est peu probable que ce type particulier d’arme, qui nécessite un approvisionnement énergétique considérable, devienne opérationnel sur le champ de bataille dans un avenir proche, il n’en va pas de même pour les systèmes d’armes utilisant des faisceaux d’ondes ou d’impulsions électromagnétiques. Les effets induits chez l’homme par les ondes électromagnétiques sont connus, quoique imparfaitement, depuis longtemps et ont fait l’objet de recherches continues. Selon la fréquence utilisée, le mode d’émission, l’énergie rayonnée, la forme et la durée des impulsions utilisées, les rayonnements électromagnétiques dirigés contre le corps humain peuvent produire de la chaleur et provoquer de sérieux problèmes ou même des changements dans la structure moléculaire des cibles qu’ils atteignent.

Des travaux de recherche dans ce domaine ont été menés dans presque tous les pays industrialisés, et notamment par les grandes puissances, en vue d’utiliser ces phénomènes à des fins antimatérielles ou antipersonnel. Des tests ont démontré que de puissantes impulsions micro-ondes pouvaient être utilisées comme une arme pour mettre l’adversaire hors de combat ou même le tuer. Il est possible aujourd’hui de générer une impulsion hyperfréquence très puissante (par exemple entre 150 et 3 000 mégahertz), avec un niveau d’énergie de plusieurs centaines de mégawatts. Grâce à des systèmes d’antennes spécialement adaptés, ces générateurs pourraient en principe transmettre sur des centaines de mètres suffisamment d’énergie pour cuisiner un repas. Toutefois, il est important de mentionner que les effets mortels ou incapacitants auxquels on peut s’attendre des systèmes d’armes utilisant cette technologie peuvent être produits avec des niveaux d’énergie beaucoup plus faibles. Utilisation du principe de concentration du champ magnétique, qui permet le contrôle de la géométrie de la cible, au moyen de systèmes d’antennes spécialement conçus à cet effet,

l’énergie rayonnée peut être concentrée sur de très petites surfaces du corps humain, par exemple la base du cerveau où une énergie relativement faible peut produire des effets mortels. Il semble qu’avec la technologie actuellement disponible, on pourrait sérieusement envisager la production de tels systèmes d’armes, qui pourraient avoir une portée d’environ 15 km et balayer une zone avec une série d’impulsions rapides. Les soldats non protégés dans cette zone pourraient être mis hors de combat ou tués en quelques secondes. Une telle arme pourrait être installée sur un camion et serait donc facilement transportable.

Malgré la rareté des publications sur ce sujet, et le fait qu’il s’agit généralement d’informations strictement classifiées, les recherches menées dans ce domaine semblent avoir démontré que de très faibles quantités de rayonnement électromagnétique pouvaient altérer sensiblement les fonctions des cellules vivantes. Les travaux de recherche ont également révélé que des effets pathologiques proches de ceux induits par des substances hautement toxiques pouvaient être produits par des rayonnements électromagnétiques même à très faible puissance, en particulier ceux utilisant une forme d’impulsion contenant un grand nombre de fréquences différentes. Comme mentionné précédemment, l’énergie nécessaire pour atteindre ces résultats est souvent beaucoup plus faible que l’énergie nécessaire pour induire un effet significatif de la chaleur dans les tissus du corps.

Certaines recherches semblent avoir confirmé que les champs électromagnétiques de faible intensité, modulés de façon à être similaires aux ondes cérébrales normales, pourraient sérieusement affecter les fonctions cérébrales. Des expériences avec des champs magnétiques pulsés effectuées sur des animaux auraient produit des effets spécifiques tels que l’endormissement et le déclenchement de l’anxiété ou de l’agressivité, en fonction de la modulation de la fréquence utilisée. D’autre part, il est bien connu que des effets mortels peuvent également être produits en utilisant des niveaux de puissance plus élevés que ceux utilisés pour les expériences sur la modification du comportement. Une arme antipersonnel basée sur de tels principes biophysiques pourrait produire des effets similaires à ceux d’un gaz neurotoxique, mais n’aurait aucun effet secondaire et ne laisserait aucune trace durable.

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International Review of the Red Cross, 279

November 1, 1990
The Development of New Antipersonnel Weapons
by Louise Doswald-Beck and Gerald C. Cauderay

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resulting injuries is at present, and will be for the foreseeable future, virtually non-existent. The second working group, which will principally comprise psychiatrists and doctors, will study in greater detail the short and long-term effects, both  for the individual and for society, of blindness &a compared with other injuries typically sustained on the battlefield.  The information collected can then be used for a more thorough discussion of the legal and policy implications of the development of these weapons.
5. Directed energy weapons (DEW)
Apart from the anti-personnel laser weapon, which in some respects could also be considered as a directed energy weapon, there are also very special weapons, such as those using electromagnetic waves of different wavelengths   and generators of particle beams, which are considered by some experts as extremely efficient potential anti-materiel weapons. Although this particular type of weapon, which requires a considerable energy supply, in unlikely to become operational on the battlefield in the near future, the same cannot be said for weapon systems using beams of electromagnetic waves
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or pulses. The effects induced in human beings by electromagnetic waves have been known, albeit imperfectly, for a long time and have been the subject of continuous research. Depending on the frequency used, the emission mode, the energy radiated, and the shape and duration of the pulses used, electromagnetic radiations directed against the human body may produce heat and cause serious bums or even changes in the molecular structure of the issues they reach.

Research work in this field has been carried out in almost all industrialized countries, and especially by the great powers, with a view to using these phenomena for anti-materiel or antipersonnel purposes. Tests have demonstrated that powerful microwave pulses could be used as a weapon in order to put the adversary hors de combat or even kill him. It is possible today to generate a very powerful microwave pulse (e.g., between 150 and 3,000 megahertz), with an energy level of several hundreds of megawatts. Using specially adapted antenna systems, these generators could in principle transmit over hundreds of metres sufficient energy to cook a meal.
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However, it is important to mention that the lethal or incapacitating effects which can be expected from weapon systems using this technology can be produced with much lower energy levels. Using the principle of magnetic field concentration, which permits the control of the geometry on the target, by means of antenna systems especially designed for the purpose,
the radiated energy can be concentrated on very small surfaces of the human body, for example the base of the brain where relatively low energy can produce lethal effects.  It seems that with currently available technology, serious consideration could be given to the production of such weapon systems, which could have a range of approximately 15 km and could sweep a zone with a series of fast pulses. Unprotected soldiers within this zone could be put hors de combat or killed within a few seconds. Such a weapon could be installed on a truck and would therefore be easily transportable.
In spite of the rarity of publications on this subject, and the fact tht it is usually strictly classified information, research undertaken in this field seems to have demonstrated that very small amounts of electromagnetic radiation could appreciably alter the functions of living cells. Research work has also revealed that pathological effects close to those induced by highly toxic substances could be produced by electromagnetic radiation even at very low power, especially those using a pulse shape containing a large number of different frequencies. As mentioned earlier, the energy necessary to achieve these results is often much lower than the energy required to induce a significant effect of heat in body tissues.
Some research seems to have confirmed that low-level electromagnetic fields, modulated to be similar to normal brainwaves could  seriously affect brain function. Experiments with pulsed magnetic f ields carried out in animals have reportedly produced specific effects such such as inducing sleep and triggering anxiety or aggressiveness, depending on the modulation of the frequency used. It is, on the other hand, well known that lethal effects can also be produced by using higher power levels than those used for the experiments on behaviour modification. An anti-personnel weapon based on such biophysical principles could produce similar effects to those of a nerve gas, but would have no secondary effects and leave no lasting trace.

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Armes electroniques

Les USA explorent la technologie russe de contrôle de l’esprit – janvier 1993

Ça fait pas mal de boulot, mais je vais commencer une série de traduction d’articles issus du site MindJustice.

Il y a une section qui traite d’articles extraordinaires « Sample of Rare and Outstanding Articles from 1976 to 1996 »

Le premier de la série est tiré de « Defense News 11-17 janvier 1993, p. 29 » dont on trouve la copie sur le site de la CIA, rien que ça.  https://www.cia.gov/library/readingroom/docs/CIA-RDP96-00792R000600150003-3.pdf

 

Les USA explorent la technologie russe de contrôle de l’esprit. Les États-Unis et la Russie espèrent protéger les techniques de contrôle de l’esprit par Barbara Opall, rédactrice de l’équipe (Defense News 11-17 janvier 1993, p. 29)

 

Washington – Le gouvernement russe perfectionne une technologie de contrôle de l’esprit mise au point dans les années 1970 qui pourrait être utilisée pour renforcer les capacités de combat des forces amies tout en démoralisant et en neutralisant les troupes adverses.

Connue sous le nom de psychocorrection acoustique, la capacité de contrôler les esprits et de modifier le comportement des civils et des soldats pourrait bientôt être partagée avec les autorités militaires, médicales et politiques américaines, selon des sources américaines et russes.

Les sources affirment que le gouvernement russe, dans un esprit d’amélioration des relations américano-russes, commence à lever le voile du secret entourant cette technologie.

La capacité russe, démontrée dans une série d’expériences en laboratoire remontant au milieu des années 1970, pourrait être utilisée pour réprimer les émeutes, contrôler les dissidents, démoraliser ou désactiver les forces adverses et améliorer la performance des équipes d’opérations spéciales amies, selon certaines sources.

Pionnière dans le domaine de la psychocorrection à l’Académie de médecine de Moscou, la psychocorrection acoustique, financée par le gouvernement, implique la transmission de commandes spécifiques par des bandes de bruit statique ou blanc dans le subconscient humain sans perturber les autres fonctions intellectuelles. Selon les experts, les démonstrations en laboratoire ont montré des résultats encourageants après une exposition de moins d’une minute.

En outre, des décennies de recherche et d’investissement d’innombrables millions de roubles dans le processus de psycho-correction a débouché sur la capacité de modifier le comportement des sujets volontaires et non volontaires, les experts ont précisé.

Dans un effort visant à limiter l’utilisation potentiellement abusive de cette capacité, des chercheurs scientifiques russes de haut niveau, des diplomates, des officiers militaires et des fonctionnaires du ministère russe de l’enseignement supérieur, des sciences et de la politique technologique commencent à fournir des démonstrations limitées pour leurs homologues américains.

D’autres évaluations des technologies clés aux États-Unis sont prévues, de même que des discussions visant à créer un cadre pour soumettre la question à des contrôles bilatéraux ou multilatéraux, selon des sources américaines et russes.

Un document non daté du Psychor Center, un groupe basé à Moscou et affilié au Département de psychocorrection de l’Académie de médecine de Moscou, reconnaît le potentiel ( ?) de cette capacité.

Les États-Unis et la Russie espèrent protéger les techniques de contrôle de l’esprit

Contrôle, à partir de la page 4

Les experts russes, dont George Kotov, un ancien général du KGB qui occupe actuellement un poste de ministre, présentent dans leur rapport une liste de logiciels et de matériel associés à leur programme de psycho-correction qui pourraient être achetés pour aussi peu que 80 000 $.

« Dans la mesure où il est devenu possible de sonder et de corriger le contenu psychique des êtres humains malgré leur volonté et leur conscience par des moyens instrumentaux, les résultats obtenus peuvent échapper à {notre} contrôle et être utilisés à des fins inhumaines de manipulation du psychisme », affirme le document.

Les auteurs russes notent que  » l’opinion mondiale n’est pas prête à traiter de manière appropriée les problèmes posés par la possibilité d’un accès direct à l’esprit humain « . C’est pourquoi les auteurs russes ont proposé la création d’un centre bilatéral pour les psychotechnologies où les États-Unis et le Russe {?} restreignent les capacités émergentes.

Janet Morris, du Global Strategy Council, un groupe de réflexion établi à Washington par Ray Cline, ancien directeur adjoint de la Central Intelligence Agency, est un agent de liaison clé entre les responsables russes et américains.

Dans une interview accordée le 15 décembre, Mme Morris a déclaré qu’elle et l’International Healthline Corp. de Richmond, en Virginie, avaient informé de hauts responsables du renseignement et de l’armée américaine des capacités russes, qui, selon Mme Morris, pourraient inclure des dispositifs portables pour des opérations spéciales, le contrôle des foules et des actions antipersonnel. Healthline Corp. évalue les technologies de soins de santé russes et financera des démonstrations russes aux États-Unis.

« Nous avons parlé de l’utiliser pour filtrer et préparer le personnel des opérations spéciales pour les missions extrêmement difficiles et des moyens de l’intégrer {?} pour les opérations psychologiques « , a dit M. Morris.

Elle a déclaré que les responsables de l’Armée de terre s’inquiétaient de la capacité des systèmes blindés et du personnel de l’Armée de terre d’utiliser les liaisons de communications électroniques. Les troupes au sol, dit-elle, risquent d’être exposées à des ondes sonores conductrices des os qui ne peuvent être compensées par des bouchons d’oreille ou d’autres équipements de protection actuels. M. Morris a ajouté que les contre-mesures américaines pourraient inclure l’annulation du son, un processus complexe qui consiste à diffuser des formes d’ondes à phases opposées dans des fréquences précisément adaptées.

Le major Pete Keating, porte-parole de l’armée américaine, a déclaré que les hauts responsables de l’armée américaine avaient exprimé leur intérêt pour l’examen des capacités russes, mais que Donald Atwood, secrétaire adjoint à la défense, avait rejeté les projets répétés de visites dans l’ancienne Union soviétique. Keating a dit qu’il ne connaissait pas la technologie de contrôle de l’esprit.

Selon des sources américaines, les responsables gouvernementaux et les dirigeants du monde des affaires et du monde médical examineront les offres de la Russie de placer la capacité de contrôle des esprits sous contrôle bilatéral.

Au moins un sénateur américain de haut rang, des responsables du renseignement du gouvernement et le Bureau des opérations, des plans et du développement des forces de l’armée américaine sont intéressés à examiner les capacités russes, ont indiqué des sources américaines.

En outre, International Healthline Corp. prévoit de faire venir une équipe de spécialistes russes dans les deux prochains mois pour démontrer cette capacité, a déclaré le président de la société, Jim Hovis, dans une interview accordée le 2 décembre.

Pendant ce temps, le Centre de recherche, de développement et d’ingénierie de l’armement de l’armée américaine mène une étude d’un an sur la technologie des faisceaux acoustiques qui pourrait refléter certains des effets rapportés par les Russes.

Le porte-parole de l’armée Bill Har ? a déclaré le 3 décembre que le commandement attendait l’étude d’un an commandée par Scientific Applications & Research Associates de Huntington Beach, Californie. Selon des sources américaines et russes, des recherches connexes menées à l’Institut Andreev, basé à Moscou, sont en cours.

Malgré l’intérêt croissant que suscite une capacité traditionnellement réservée aux romans de science-fiction, l’industrie et les experts universitaires sont prudents et sceptiques quant à son utilisation potentielle sur le champ de bataille.

« Ce n’est pas quelque chose qui me semble nécessiter une attention particulière « , a déclaré Raymond Gartho Gartho, analyste de la défense et du renseignement à la Brookings Institution de Washington, dans une interview accordée à De ?

Morris soutient que la capacité a été démontrée dans le laboratoire russe et qu’elle devrait être soumise à des restrictions internationales le plus tôt possible.

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Transhumanisme

Clinatec, c’est pas très net.

Intéressant papier mettant plusieurs choses en relief, notamment ce qui est ici un poncif : il s’agit toujours de santé, circulez il n’y a rien à voir…

Dans les laboratoires français travaillant autour du cerveau, et notamment à Clinatec, on ne communique jamais sur les possibilités d’amélioration de l’humain : on affirme toujours vouloir uniquement soigner. Stratégiquement, c’est assez rusé comme l’avait souligné l’ancienne ministre Geneviève Fioraso : « La santé, c’est incontestable. Lorsque vous avez des oppositions à certaines technologies et que vous faites témoigner des associations de malades, tout le monde adhère. » (France Inter, 27/06/12).
Aux Etats-Unis, les champs d’application des implants cérébraux assumés sont plus vastes. On parle de soigner grâce à eux l’anxiété, le stress ou la dépression des militaires revenant de zones de conflits. Le fondateur de Clinatec, Alim-Louis Benabid, avait déjà annoncé que les implants pouvaient permettre de soigner « la migraine, l’épilepsie, les troubles mentaux, les fameux TOC, le syndrome de la Tourette, l’obésité, l’anorexie ou diverses addictions » (Le Daubé, 4/12/2008).

Ici on parle éthique et clause de conscience au sein des équipes de chercheurs travaillant sur les implants cérébraux. Tout un blabla qui par ailleurs n’empêche pas la neuro-dictature de se mettre en place.

Rappel :

Le but revendiqué, officiel, de Clinatec, est de « nous mettre des nanos dans la tête ». En clair, des implants cérébraux. Pour être encore plus clair, le programme Clinatec travaille depuis 2006 dans une quasi clandestinité à l’interface cerveau-machine, à l’intrusion du pouvoir médical et politique dans notre for intérieur (espionnage, détection des intentions, décryptage des sentiments, reconnaissance de la « pensée »). L’interface primate-machine et, déjà, homme-machine, ouvre la porte, elle, au pilotage des rats, des macaques, des hommes – bref, à la production de robots humains, de « cyborgs » si vous voulez, « d’organismes cybernétiques ».

En lien avec le sujet de ce blog : espionnage, détection des intentions, décryptage des sentiments, reconnaissance de la pensée ce à quoi me confrontent les V2K. Je peux constater tous les jours que c’est le cœur du sujet.

 

Article de Le postillon.org : Les Singes de Clinatec ont raté le prix Nobel

Grenoble vient d’échapper à un tsunami médiatique. Le célèbre neurochirurgien grenoblois Alim-Louis Benabid était pressenti pour devenir Prix Nobel de médecine. Raté : celui-ci est revenu à trois chercheurs étrangers travaillant autour des maladies parasitaires. Pour donner à Benabid un maximum de chances dans sa quête du Saint-Graal, ses collaborateurs ont reçu l’ordre de se taire. Car depuis quelques mois, Clinatec – le centre de recherche autour des maladies du cerveau qu’il a cofondé avec le directeur du CEA (Commissariat à l’énergie atomique) Jean Therme – est en proie à de vives tensions internes. Les singes de Clinatec prennent-ils de l’héroïne ? L’éthique médicale est-elle soluble dans le CEA ? Pourquoi le directeur François Berger a-t-il fait jouer sa clause de conscience pour alerter sur le sens du projet ?

« Je ne peux pas vous répondre, je suis tenu par le devoir de réserve ». C’est François Berger au téléphone, l’ancien directeur de Clinatec. Ce centre de recherche teste, sur des animaux ou sur des humains, des dispositifs implantés dans le cerveau. Pour ses promoteurs, le noble but de cette structure est de progresser dans le soin des maladies du cerveau (comme Alzheimer ou Parkinson) ou dans l’aide aux personnes paralysées : un des projets ambitionne de faire « remarcher les paralysés » en pilotant un exosquelette par la pensée. Pour ses opposants, Clinatec oeuvre à la fabrication d’un humain « augmenté » par la technologie, travaille au « contrôle de la pensée » et au développement du transhumanisme, cette idéologie qui désire vaincre la mort en faisant muter l’homme (1).

Ouvert depuis 2012, ce centre de recherche n’a jamais été officiellement inauguré par crainte des opposants. Ses activités ont débuté quelques années plus tôt dans des bâtiments du CEA. Depuis, nul ne sait ce qui s’y passe, alors que Clinatec a bénéficié pour son lancement de plus de vingt millions d’euros d’argent public (2) en plus du soutien de la fondation Safra, tenue par la veuve du banquier milliardaire Edmond Safra.

Mais ces « technologies de pointe » sont une vraie pompe à fric. En manque de liquidités, Clinatec a lancé l’année dernière une campagne de mécénat : deux personnes ont été embauchées, l’une comme « responsable du mécénat », l’autre comme « chargée du mécénat ». Co-influence, une entreprise spécialisée dans le « conseil en foundraising, mécénat et communication », est chargée de booster la campagne pour faire rentrer 30 millions d’euros dans les caisses. Sur le site internet de Clinatec, on a maintenant le droit à des slogans accrocheurs, comme « les malades n’ont pas le temps d’être patients » ou culpabilisants : « Marcher… ne plus trembler… croire à la guérison, cela change une vie. Aidez-nous à changer celle de millions de personnes. Soutenez-nous. Chaque minute compte ». Un « clip de promotion » et un « film institutionnel » ont été réalisés. Sur les images, les soi-disant « patients » sont en fait des salariés de Clinatec. Le centre de recherche n’étant parvenu pour l’instant à aucun résultat « spectaculaire », le service de communication maquille donc la réalité. On compte parmi les mécènes le Crédit agricole (400 000 euros), le club Soroptimist (« club service » féminin) de Grenoble (4 000 euros), le Rotary Club ou des lycéennes de Saint-Jean-de-Bournay (collecte après une projection de film). Un club de randonnée ardechois a même organisé une « Randorêve » au profit de Clinatec.

Si on a appelé François Berger, ce n’est pas pour faire un don : c’est parce que de graves turbulences internes agitent Clinatec depuis plusieurs mois. Pour preuve cet extrait de mail envoyé par François Berger le 2 Juillet 2015 à une centaine de personnes concernées par Clinatec :

« Votre alerte, que je partage, m’impose aussi de parler à tous. Je veux aussi nous lancer un appel assez solennel. (…) Depuis novembre dernier, progressivement l’ambiance s’est dégradée, mettant en danger la viabilité du projet, son sens et son éthique. Entraînant aussi une souffrance des équipes qu’il faut absolument arrêter. (…) Un Clinatec Cea-Leti n’aura pas d’opérabilité, ni de sens ni d’éthique ; un Clinatec Inserm n’aura pas d’opérabilité, ni de sens ni d’éthique ; un Clinatec UJF n’aura pas d’opérabilité, ni de sens ni d’éthique ; un Clinatec CHU n’aura pas d’opérabilité, ni de sens ni d’éthique. C’est à quatre que Clinatec a un sens, une opérabilité, une éthique. Il nous faut donc travailler en urgence à une solution qui nous associe à nouveau en sortant de nos intégrismes mono-institutionnels. (…) En attendant rétablissons le calme et la convivialité. »

Au téléphone, François Berger n’a pas voulu nous en dire plus, à cause donc de ce fameux « devoir de réserve ». À peine concède-t-il qu’il n’est plus directeur de Clinatec depuis le printemps dernier, et même plus directeur du SSP (secteur sujets patients) depuis le début du mois de septembre. Aujourd’hui il travaille toujours à Clinatec, mais dirige « seulement » une équipe d’une trentaine de personnes. Pourquoi ? « Devoir de réserve » !

Le secret a toujours été la marque de fabrique de Clinatec. Une partie du bâtiment a d’ailleurs été classée en « zone à régime restrictif » afin de « protéger le potentiel technique et scientifique de la nation ». Un des buts de ce classement est « d’empêcher la fuite d’informations » : l’innovation censée « sauver des vies » est protégée par le secret défense. Les grenoblois ne savent pas par exemple qu’à Clinatec on produit des OGM pour faire des expérimentations. Voyez donc ce mail du 26/09/2014 : « Nous allons déposer dans les prochaines semaines un nouveau dossier de déclaration d’utilisation OGM (en complément de notre agrément actuel) (…). Si vous avez des nouveaux projets mettant en œuvre des OGM, il serait possible de les intégrer à cette demande ». Des OGM synthétisés en plein centre de Grenoble : qu’en pense le maire écolo Eric Piolle ?

Pour ausculter les turbulences internes, on est allé questionner Patrick Levy, le président de l’université Joseph Fourier (un des partenaires de Clinatec). Le monsieur s’est voulu rassurant : « Les tensions à Clinatec ? C’est avant tout un problème de personnes, donc c’est un peu compliqué d’en parler. Mais non, il n’y a pas de problèmes éthiques, même si je sais que vous auriez bien aimé ».

Patrick Levy est un bon communicant : il sait donner les « bonnes » réponses, même si elles sont éloignées de la réalité. Il y a effectivement quelques « problèmes de personnes » au sein de Clinatec, ou plutôt des problèmes de structure. La bonne entente entre les quatre structures associées dans Clinatec – le CEA (commissariat à l’énergie atomique), le CHU (l’hôpital), l’université Joseph Fourier et l’Inserm (institut national de la santé et de la recherche médicale) – a éclaté depuis quelques mois.

Pour comprendre la cause de cette dispute, il faut revenir sur les objectifs de Clinatec. Le CEA a pour l’instant surtout communiqué autour de deux projets phares : le projet NIR (Near Infra Red) qui aimerait « utiliser la lumière proche infrarouge pour prévenir et stopper l’évolution de la maladie de Parkinson » ; et le projet BCI (Brain Computer Interface) qui promet de « faire marcher des paralysés » grâce à des implants installés dans le cerveau commandant un exosquelette.

Sur ces deux projets, le CEA a misé beaucoup d’argent. Leur aboutissement permettrait de faire « rayonner » Clinatec et par ricochet lui-même. Mais pour l’instant ils n’avancent pas : les dispositifs technologiques sont loin d’être au point. En juin 2013, Les Echos annonçaient que les premiers tests sur l’homme du projet BCI auraient lieu fin 2013 ou début 2014 : bientôt deux ans après, aucun humain n’a encore été implanté – fort heureusement.

Des recherches médicales progressent à Clinatec, notamment autour du traitement des tumeurs au cerveau, mais elles sont moins spectaculaires, et plutôt menées par les équipes du CHU. Elles intéressent donc moins le CEA, qui veut bien aider la médecine si cela lui assure un maximum de citations dans la presse. Cette recherche de la gloire plutôt que des résultats véritablement utiles à la société transparaît à travers le projet BCI : l’exosquelette pesant encore plus de soixante kilos et nécessitant un fil accroché au plafond pour être maintenu en équilibre, la « marche » ne devrait être efficace que pour faire des belles photos. D’ailleurs, qui fréquente un peu des personnes tétraplégiques (paralysées des quatre membres) sait qu’avant de pouvoir gambader entourées d’un exosquelette de soixante kilos, elles aimeraient déjà pouvoir simplement contrôler leurs sphincters, et donc leur défécation. Ce genre d’objectifs est moins vendeur que la promesse christique de remarcher.

Face à l’échec actuel des projets NIR et BCI, les responsables du CEA et le président de Clinatec Alim-Louis Benabid ont accusé les recherches moins spectaculaires de prendre trop de place et d’empêcher les projets phares d’avancer. Ils aimeraient que Clinatec se recentre sur ses projets NIR et BCI, et obtienne des résultats « vendables », quitte à envisager quelques arrangements avec des questions éthiques.

En réalité, il semble que ces « arrangements » sont la principale cause des tensions internes à Clinatec. François Berger explique dans son mail que la « viabilité », le « sens » et « l’éthique » de Clinatec sont « en danger ». Juste avant la fin de l’été, il a fait jouer sa clause de conscience car il ne voulait plus être responsable médicalement des recherches au vu de la direction qu’elles prennent sous la pression du CEA. Suite à cette alerte, la direction du CHU a interdit, au moins temporairement, toute inclusion de patients et de volontaires sains dans des protocoles de recherche clinique.

Ce qui a déclenché ce « clash », c’est la volonté affichée par Benabid en réunion de réduire au maximum les coûts sur la future prise en charge de patients tétraplégiques. Le projet BCI ayant déjà coûté cher au CEA, le célèbre neurochirurgien aurait aimé rogner sur les dépenses en se passant des rééducateurs ou kinésithérapeutes accompagnant normalement les patients. Ces velléités n’ont pas plu à certains membres du personnel, qui ont sonné « l’alerte » dont parle Berger.

L’ambiance s’était déjà considérablement dégradée dans les derniers mois. Sommés de fournir des résultats sans en avoir les possibilités techniques, plusieurs employés ont connu ou frôlé le « burn-out » : la fameuse « souffrance des équipes » dont parle Berger.

Il faut dire qu’il n’est pas de tout repos psychique de travailler à Clinatec : il faut par exemple supporter de voir des singes sombrer dans un état pitoyable après qu’on leur a injecté du MPTP, une neurotoxine provoquant les mêmes symptômes que la maladie de Parkinson. Pour se donner une idée de la dangerosité du produit, les manipulations de MPTP imposent d’interdire l’accès d’un laboratoire à toute personne non « habilitée » pendant quinze jours, comme il est indiqué dans ce mail du 13/03/2012 : « En raison d’une nouvelle manip utilisant du MPTP, le laboratoire rongeur du 4022 sera inaccessible du vendredi 23 mars au soir au mercredi 4 avril matin ; seules les personnes habilitées à utiliser du MPTP pourront entrer dans le laboratoire ».
Ces pauvres singes parkinsoniens ne bougent presque plus et s’infectent ainsi beaucoup plus facilement : en novembre 2012, ils ont par exemple tous été porteurs d’un « staphylocoque doré mectyline résistant ».

Si on donne du MPTP à des primates, c’est pour tester le projet NIR sur leur cerveau. Mais le projet n’avance pas : il est très compliqué d’implanter des émetteurs infrarouges dans le cerveau. Pour l’instant aucun singe parkinsonien n’a vu son état s’améliorer – ni même se détériorer moins lentement – grâce aux infrarouges. En revanche beaucoup sont morts.
Benabid supporte difficilement l’échec. À tel point qu’il préfère l’absence d’analyses aux mauvais résultats. Les cerveaux de singes implantés d’émetteurs infrarouge n’ont jamais été examinés à Clinatec : Benabid a préféré les envoyer en Australie, pour confier leur analyse à un de ses amis, le docteur John Mitrofanis. Cela n’a pas entraîné d’avancée supplémentaire, même si Benabid fanfaronne : « les résultats sur les primates dépassent les espérances initiales » (L’écho, mars 2015). Il faut bien rassurer les mécènes.

Les mécènes comme les journalistes sont en fait obligés de croire la propagande de Benabid. Aucune source n’est accessible pour vérifier le respect des protocoles médicaux, encore moins celui du bien-être animal. On a questionné le « comité de protection des personnes », une sorte de comité d’éthique pour la recherche biomédicale, mais la directrice nous a répondu qu’il « donne des avis, à la demande des promoteurs, sur les essais cliniques concernant le versant de la protection des personnes mais ce travail reste confidentiel ».

Quant aux personnes travaillant de près ou de loin à Clinatec, elles ne parlent pas, et à double titre : outre leur habituel « devoir de réserve », elles ont été récemment sommées par leur direction de se taire afin que les tensions ne s’ébruitent pas à l’extérieur.
Car ces derniers mois, un enjeu autrement plus grand que la bonne utilisation de l’argent public ou le respect des protocoles vis-à-vis des patients était en jeu : le président de Clinatec Alim-Louis Benabid était en lice pour obtenir le prix Nobel de médecine.

À Clinatec, on ne l’appelle ni monsieur Benabid, ni Alim-Louis : toutes les personnes travaillant avec lui le nomment « Ben ». Ce diminutif est utilisé comme une distinction et une marque de respect, pour sacraliser la dévotion générale envers le « gourou ». Le directeur du CEA Jean Therme fait tout son possible pour entretenir l’adulation envers sa personne. Le 12 décembre 2014, il envoyait ce mail : « En cette fin d’année, vous êtes invités à partager un moment privilégié afin de fêter, avec Alim-Louis Benabid et ses proches, les prix prestigieux qui lui ont été remis récemment. Ce sera l’occasion pour nous tous de lui témoigner notre amitié, notre fierté de travailler à ses côtés et notre reconnaissance pour tout ce qu’il a fait et continue à faire pour concrétiser l’ambition de Clinatec ». On ne sait pas si les invités ont dû lui jurer fidélité jusqu’à la fin de ses jours.

Ce monsieur de soixante-treize ans a déjà été maintes fois primé, essentiellement pour avoir développé, dans les années 1980, la stimulation électrique à haute fréquence dans les traitements de la maladie de Parkinson. Sur sa fiche Wikipedia, vingt-deux « distinctions » sont énumérées.
A l’automne dernier, il en a encore eu trois : le « Lifetime Achievement Award », remis à Las Vegas par la « North American Neuromodulation Society », le « Breakthrough Prize in Life Sciences » sponsorisé par Google et Facebook, et le prix Albert-Lasker. Ce dernier est considéré comme l’antichambre du prix Nobel.

Depuis la remise de ce prix Lasker en septembre dernier, le techno-gratin dauphinois s’est mis à rêver de voir un scientifique grenoblois labellisé, quarante-cinq ans après le prix Nobel reçu par Louis Néel. Pour que cette lucrative perspective se réalise (880 000 euros sont remis aux lauréats des prix Nobel), il fallait que la quasi-unanimité régnant en milieu médical autour des travaux et de la personnalité de Ben ne se fissure pas. Que tout le monde n’exprime à l’égard du neurochirurgien qu’« émotion, respect et admiration profonde », comme dirait la députée Geneviève Fioraso, qui l’avait choisi comme président de son comité de soutien pour les élections législatives de 2012. Que rien de négatif ne sorte sur Clinatec, partout considérée comme la clinique de Ben. Qu’on ne raconte ni les échecs, ni les tensions internes, ni la pression mise par le CEA et Benabid pour faire croire aux mécènes et au public que leurs travaux avancent.

Grâce aux menaces, rien n’est sorti jusqu’à la remise du prix Nobel de médecine cuvée 2015, ce lundi 5 octobre. Malgré ce black-out, Ben n’a pas été primé. Garde-t-il encore quelques chances pour l’année prochaine ?

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Les transhumanistes à l’attaque Au téléphone, le directeur de Clinatec François Berger a tenu à nous préciser. « Par contre, il y a quelque chose qui va vous intéresser : j’ai fait une tribune contre le transhumanisme. Je suis violemment opposé aux thèses de Laurent Alexandre. » Et en effet, le dernier numéro de la revue scientifique La Recherche (octobre 2015) publie deux tribunes que tout semble opposer. Laurent Alexandre, chirurgien-urologue, annonce en fanfaronnant que « la victoire des transhumanistes est prévisible », que l’ « opinion elle-même est devenue transhumaniste » et que de toute façon nous « devenons, sans en être conscients, des transhumains ». Quelques pages auparavant, François Berger et deux autres scientifiques, affirment : « Nous avons l’obligation éthique de réagir violemment à la banalisation de l’idéologie transhumaniste ».
Le transhumanisme, terme forgé en 1957 par Julian Huxley, théoricien de l’eugénisme et frère d’Aldous (auteur du Meilleur des mondes), est une idéologie qui vise non seulement à soigner les humains, mais grâce aux progrès conjoints des NBIC (nano et biotechnologie, informatique et science congnitive) à les améliorer, voire à lutter contre la mort, considérée comme une maladie.
Dans les laboratoires français travaillant autour du cerveau, et notamment à Clinatec, on ne communique jamais sur les possibilités d’amélioration de l’humain : on affirme toujours vouloir uniquement soigner. Stratégiquement, c’est assez rusé comme l’avait souligné l’ancienne ministre Geneviève Fioraso : « La santé, c’est incontestable. Lorsque vous avez des oppositions à certaines technologies et que vous faites témoigner des associations de malades, tout le monde adhère. » (France Inter, 27/06/12).
Aux Etats-Unis, les champs d’application des implants cérébraux assumés sont plus vastes. On parle de soigner grâce à eux l’anxiété, le stress ou la dépression des militaires revenant de zones de conflits. Le fondateur de Clinatec, Alim-Louis Benabid, avait déjà annoncé que les implants pouvaient permettre de soigner « la migraine, l’épilepsie, les troubles mentaux, les fameux TOC, le syndrome de la Tourette, l’obésité, l’anorexie ou diverses addictions » (Le Daubé, 4/12/2008).
Dans sa tribune François Berger oppose deux points de vue, le sien, celui d’un homme qui veut « juste soigner » Alzheimer et Parkinson. Et, « à l’opposé de cette démarche », celui des transhumanistes qui se sont emparés des progrès technologiques pour « chercher à construire un humain amélioré, hyperperformant et immortel ». D’un côté des extrémistes, qui promettent l’allongement de la vie à 140, 250, 500 ans voire l’immortalité. De l’autre les gentils chercheurs. Mais la frontière entre ces deux points de vues, qui peuvent cohabiter dans les mêmes laboratoires et développer le même genre de technologies, est-elle si délimitée ? Personne ne s’opposera jamais à ce que des tétraplégiques marchent. Mais les technologies développées à cette occasion pourront permettre de mettre au point la vision nocturne pour les fantassins envoyés en Afghanistan, les QI de 320, et les futurs post-aryens de demain. Qui gagnera à la fin ? Les comités d’éthiques ou les intérêts financiers ?
D’autant plus que la méfiance de François Berger envers les transhumanistes n’est pas tant idéologique : il a surtout peur de la mauvaise publicité que ces derniers pourraient faire à ses travaux. Ainsi écrit-il : « La peur des dérives suscitées par les partisans du transhumanisme risque en effet de provoquer des réactions sociétales qui vont à l’encontre du développement de l’innovation technologique. L’adoption d’un principe de précaution réactionnaire risquerait de bloquer tout développement technologique. Il nous ramènerait à une société moyenâgeuse ». Les implants cérébraux ou la bougie ? Rester un simple humain ou muter en cyborg, aurons-nous vraiment le choix ?

 

Suite  À Clinatec, le fiasco dissimulé

« Faire marcher les tétraplégiques » : c’est une des ambitions de Alim-Louis Benabid, président du directoire de Clinatec, la clinique expérimentale consacrée au cerveau situé sur le site du CEA (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives). Pour avoir une caution médicale, Benabid avait également associé le CHU et l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) à ce projet. Mais patatras : suite à des tensions autour des risques éthiques et une grande souffrance du personnel, ces partenaires ont été éjectés. C’est une histoire datant d’il y a trois ans, mais la raconter permet d’en apprendre beaucoup sur le fiasco d’un fleuron de la recherche grenobloise. Et sur l’impunité du CEA, qui s’est bien gardé de communiquer là-dessus et qui continue à tenter de capitaliser sur l’image de l’Inserm pour vendre Clinatec.

Entre les murs aseptisés de Clinatec, des hommes armés de fusils à pompe, gilet par balle sur le dos, avancent dans les couloirs. Ils évacuent les agents du CEA de leur propre clinique. Nous sommes le 27 janvier 2016. L’intervention est digne d’une attaque terroriste et les armes portées par la FLS — la force locale de sécurité, une milice privée du CEA — impressionnent tous les témoins de cette scène étrange.

Comment en est-on arrivé là ? Le feu couvait depuis plusieurs mois au sein de Clinatec. En 2011, cette « clinique du futur  » a ouvert sur un terrain du CEA (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives) de la presqu’île sous les hourras de la communication : 20 millions d’euros d’argent public avaient été investis par l’État et les collectivités locales. Le président fondateur Alim-Louis Benabid promettait de faire marcher les tétraplégiques grâce à des progrès fulgurants sur les interfaces entre cerveau et machine (Brain Computer Interface, BCI, ça fait plus chic). Si la presse et les élus étaient enthousiastes, d’autres dénonçaient les velléités transhumanistes derrière des projets médicaux (voir sur www.piecesetmaindoeuvre.com).
Clinatec, dont le but est de faire des expériences sur des humains, est situé en dehors du milieu hospitalier, à l’intérieur d’une «  zone à régime restrictif », censée protéger le « potentiel technique et scientifique de la nation ». Pour avoir des cautions médicales et morales, Benabid et le CEA s’entourent de l’UJF (Université Joseph-Fourier, absorbée par l’UGA), du CHU et de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), tous partenaires du projet.

Les années passant, aucune innovation majeure n’aboutit et très peu d’informations sortent. Les six chambres d’hôpital de Clinatec ont hébergé plusieurs patients, dont le premier tétraplégique implanté avec le BCI en 2017 (voir encadré). L’implant, défectueux, a causé une infection qui a nécessité son retrait lors d’une opération à risque (voir Le Postillon n° 38). Rien n’est publié sur cet échec et un deuxième handicapé est choisi pour être implanté. Il sera l’objet d’un grand plan com’ de Clinatec, qui invite un parterre de journalistes parisiens en mai 2018. Aucun ne rencontre l’implanté, mais tous reprennent les éléments de langage délivrés ce jour-là.

Le goût du secret est la marque de fabrique du CEA, qui répète ses consignes aux employés, comme : « ne pas communiquer avec la presse  ». Tactique efficace puisqu’il a fallu trois ans pour que des personnes parlent enfin des tensions internes à la clinique, qui ont conduit à l’intervention des hommes armés de la FLS au sein même de Clinatec.

Ce jour-là est l’aboutissement d’une longue mise sous pression et de tensions entre les structures.

Il y a le CEA d’un côté, prêt à tout pour terminer ses projets racoleurs, comme le BCI ou le NIR, un nouvel implant dans le cerveau permettant de lutter contre Parkinson. De l’autre, on trouve les trois partenaires, réunis au sein d’une UMR (Unité mixte de recherche) (1) afin de profiter des équipements de pointe de cette clinique, pour réaliser des recherches médicales moins vendeuses sur le cancer.

Éthique en toc

Les deux blocs ne sont jamais parvenus à s’entendre. Le Postillon s’était déjà fait l’écho de la démission de François Berger, ancien directeur de Clinatec et directeur du secteur sujet-patient (là où les tests humains se déroulent). Berger avait averti dans une lettre du 14/11/2015 à propos des risques encourus par les malades : « mener des patients à Clinatec est très lourd et très coûteux dès que l’on veut respecter les prérequis de sécurité indispensables. Mais aucune dérive ne saurait être acceptée quand on sait l’exposition médiatique sociétale et éthique de Clinatec  ». Il détaille : «  Je n’ai pas eu de réponse à mes questions, donc j’ai actionné ma clause de conscience. J’étais le seul responsable de l’éthique  ».

D’autres documents prouvent les dérives dénoncées par François Berger. En janvier 2016, un syndicaliste du CEA a fait remonter aux tutelles médicales les témoignages récoltés : « une minimisation de la souffrance des malades, une prise de risque occultée aux patients, la déviation du protocole par inclusion de patients seulement pour afficher que le secteur sujets-patients reçoit des malades, l’insuffisance de justification d’essais invasifs, dans le cas de l’implantation, où on enlève une rondelle d’os de cinq centimètres de diamètre  ».

En plus des problèmes éthiques, les employés de Clinatec font face à des incohérences sur la gouvernance. En mai 2015, 60 scientifiques de Clinatec, dont une majorité du CEA, dénoncent dans une lettre « un coup de frein [qui] se fait ressentir de manière notable et inquiétante. (…) Les décisions ne sont plus prises, des projets innovants ayant de fortes chances d’être financés sont soudainement avortés », poursuivent les signataires des quatre tutelles. «  Il est urgent qu’une entente au plus haut niveau soit prise rapidement », défendent les chercheurs de Clinatec « soudés sur le terrain ». Celle-ci ne sera jamais trouvée. Un syndicaliste rapporte : «  Les tutelles ont donné l’impression d’avoir seulement la capacité de sauver les projets plutôt que les scientifiques ».

La presse promeut à longueur d’articles le mythe grenoblois et la supposée entente radieuse entre l’université, la recherche et l’industrie. Ses fondateurs avaient créé Clinatec sur cette prémisse. Mais les tutelles, incapables de s’entendre, font s’effondrer le partenariat entre les quatre institutions. L’échec est cuisant.

Deux coqs sur le même tas de fumier

Parmi les explications, Emmanuel (2) de l’Inserm pense savoir que « Benabid ne voulait pas que les recherches de l’UMR réussissent. Il n’a pas créé Clinatec pour nous faire briller. Alors il a fait chier François Berger partout où il pouvait  ». Dominique rapporte aussi : « Benabid ne supportait pas que l’UMR soit trop active. Il voulait son hôpital, et utiliser son IRM quand il le souhaitait, sans avoir à remplir de planning ». En effet, les premiers résultats scientifiques de l’UMR voient le jour, alors que Benabid rame sur ses projets.

Par ailleurs, dix chercheurs et techniciens font remonter leurs plaintes aux comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) des quatre tutelles, qui organisent enfin une réunion en décembre. Leurs conclusions sont cinglantes : « La situation de Clinatec semble catastrophique au niveau organisationnel. (…) La charge émotionnelle est forte, les conflits d’éthique et l’insécurité d’avenir des projets font qu’il est très difficile de travailler  », conclut le document. À cette époque, Fabrice est en fonction à l’Inserm et souffre : « Quand les problèmes sont arrivés là-bas, c’était un no man’s land. Il n’y avait personne à qui parler pour trouver du soutien  ». En fin d’année 2015, Berger alerte sur «  la probabilité de problèmes très graves » et du « harcèlement sur le terrain qui s’est accru  ». Bonne ambiance.

Pour régler les difficultés, après une réunion CEA/Inserm en novembre 2015, ce dernier décide de retirer ses troupes du bâtiment de Clinatec. Dans la foulée, Benabid en profite pour en remettre une couche : « En novembre, le président du directoire nous demande de partir dans la semaine », se souvient Dominique. La date limite est reportée, mais la pression reste constante : « La stratégie est assez évidente de pousser un membre de l’équipe à la faute, dans le contexte d’un harcèlement fait de petits riens quotidiens, afin de justifier ainsi notre départ immédiat  », affirme Berger, suite à la réunion.

Le CEA continue de faire monter la pression de la cocote Clinatec : « Les bureaux sont déménagés sans l’avis des chercheurs, des badges désactivés, le directoire ne parle pas aux salariés, une lenteur administrative volontaire et un flou total sur le pilotage de Clinatec  », résume-t-on lors de la réunion des CHSCT. Bonne ambiance, encore et toujours.

L’ablation de l’Inserm

Voilà comment, le 27 janvier 2016, on aboutit à l’intervention de la FLS, avec ses cris, ses armes, ses pleurs. La milice privée du CEA est intervenue suite à une discussion où le ton est monté. « Ils ont fait croire à une agression alors que c’était juste une discussion de couloir. Le CEA voulait nous faire passer pour des excités, mais il s’est ridiculisé », estime François Berger, impliqué dans la dispute (3).

Les 28 et 29 janvier, la FLS campe aux portes de Clinatec et empêche les agents du CEA de rentrer pour leur sécurité – les dirigeants du CEA estimant que leurs anciens associés de l’Inserm seraient devenus dangereux. « Suite aux agressions verbales, nous avons décidé de prendre une mesure exceptionnelle », envoie par mail Marie-Noëlle Séméria, directrice du Leti, l’institut du CEA dont dépend Clinatec. « Cela a servi uniquement à faire peur, à intimider les gens et a permis au Leti de montrer sa force », enrage Brigitte de l’Inserm, qui a souffert, comme ses collègues, de cette intervention musclée. Un évènement qui en a marqué beaucoup : « Avec la FLS, on voit qu’on n’est rien. C’est l’impuissance totale. On ne peut pas se faire entendre face aux armes  », témoigne Fabrice, qui a travaillé dans cette clinique du futur.

Benabid utilise un langage plus médical pour résumer l’épisode : « Il m’a dit qu’il fallait “faire une ablation de l’Inserm. Ça va prendre du temps à cicatriser, mais c’est nécessaire”  », rapporte Dominique, salarié de l’Inserm.

Suite à ce pic de tension, l’Institut national de la santé déménage et s’installé pendant deux ans dans des algécos juste à côté de Clinatec. « Pour avoir accès à notre outil de travail, il faut badger tout le temps, pour passer des tourniquets ou franchir les nombreux sas. Tout cela était fait pour nous humilier gratuitement  », sourit jaune Brigitte.

Depuis la fin de 2017, les équipes de l’Inserm sont séparées dans de nouveaux locaux à la Tronche et sur le campus, au prix de coûteux travaux : l’université a par exemple déboursé près de 2 millions d’euros pour rénover deux étages du bâtiment Bio B, sur le campus. Il faut aussi compter la bagatelle de 300 000 euros pour déplacer bureaux et machines.

À la note des travaux s’ajoute le temps perdu par les scientifiques dans cette bataille – « plus de 2 millions d’euros  » d’après le conseil de laboratoire de l’UMR. Une fois l’Inserm définitivement déménagée, elle n’a plus accès au matériel de Clinatec, qui prend la poussière. Deux IRM, dont une opératoire, coûtant plusieurs millions d’euros restent à l’arrêt, tout comme le SPECT-CT (un appareil d’imagerie, 2 millions d’euros) et la plateforme biphoton (un appareil d’imagerie cellulaire, 1,5 million d’euros). Qui a dit qu’il n’y avait plus d’argent pour la recherche ?

Mais malgré ce divorce fracassant impulsé par lui-même, le CEA Grenoble continue d’afficher sur le site de Clinatec les projets Inserm et le visage de Berger, afin de capitaliser sur la réputation de l’institut qu’il a viré. À proprement parler, puisque Clinatec dispose d’un fonds de dotation recueillant les dons pour les recherches. Le départ de l’Inserm soulève pourtant de nombreuses questions sur le futur de Clinatec. « Qu’est ce que représente le CEA sur le marché de la santé ?  », s’interroge Emmanuel. « Il est crédible dans l’énergie nucléaire ou l’infrarouge militaire. Mais dans la santé, non. Alors qui va financer Clinatec, sans l’Inserm avec eux ? Personne ! » D’où la volonté de cacher le divorce.

Facile pour le CEA, qui jouit d’une impunité totale en plus d’être dispensé en permanence de rendre des comptes aux acteurs publics. Cacher ou montrer ce qui lui plaît, voilà bien la force de cette institution. Mensonges, gaspillage d’argent public, mépris de ses partenaires : tout est permis, le CEA croyant se trouver à l’abri des regards indiscret, caché derrière ses hauts grillages et les armes de sa FLS. En apparence, la cicatrisation dont parlait Benabid s’est bien déroulée. Mais les apparences seules ne suffisent plus.

(1) Une UMR (Unité mixte de recherche) est une entité créée à partir de la mise en commun de moyens par plusieurs structures de recherche (ici, le CHU, l’UGA et l’INSERM), mais le CEA n’a jamais fait partie de l’UMR de Clinatec, créant un flou. Celle-ci n’ayant pas de convention d’hébergement avec Clinatec, le CEA a pu facilement demander à l’UMR de partir.

(2) Ce prénom et tous ceux de l’article ont été modifiés.

(3) Contacté, le CEA nous a affirmé vouloir répondre, mais a invoqué la nécessité de validation de cette réponse par toutes le tutelles. Lourdeur administrative ?

Toujours rien de publié, à quand le Segway ?

Le BCI (Brain Computer Interface), cette interface homme-machine qui vise à faire marcher un tétraplégique, avance. En mai 2018, devant la presse, Benabid pérore : « le travail [sur le BCI] a été soumis à une grande revue scientifique internationale  », suite à une implantation réussie – elle consiste en deux trous de 5 cm dans le crâne du patient destiné à accueillir des capteurs. Mais rien n’est sorti sur la prouesse de Clinatec dans la presse scientifique et pour cause : personne n’a rien vu des résultats. Pendant ce temps, en Suisse et aux États-Unis, des articles sur des sujets similaires sont eux bien sortis et le BCI semble dépassé avant même d’être achevé. Alors, à la manière du poisson hors de l’eau, Benabid convulse. Pendant l’événement parisien Big Bang santé, il affirme vouloir « expérimenter [le BCI] sur un Segway, puis sur une tractopelle de jardin  » avec « l’objectif d’améliorer la qualité de vie des handicapés  » (Le Figaro 14/11/2018). Parviendra-t-il, cette fois, à obtenir une caution scientifique plutôt qu’une belle communication ?

Le projet caché

Si l’Inserm apparaît encore sur le site de fonds de dotation alors qu’il ne fait plus partie de Clinatec, un projet nommé CorticalSight se fait lui beaucoup plus discret. Pourtant, un proche de Benabid, Fabien Sauter est affecté depuis février 2017 « au développement d’un dispositif implantable innovant destiné à restaurer la vision ». Le projet, qui se compose d’une mini caméra collée sur des lunettes et d’un implant dans le cerveau censé traduire l’image de la caméra en image mentale, est encore christique. Après le « lève-toi et marche  » du BCI, Benabid et Clinatec continuent avec Jésus, celui qui utilise de la salive pour rendre la vue à l’aveugle. Le projet, en collaboration avec de nombreux autres centres de recherche, est financé par la Darpa, la branche R&D de l’armée américaine. Ouf, les recherches de Benabid vont avant tout servir à faire la guerre.

Benabid fait la manche à Monaco

En novembre dernier, Benabid se pavane cette fois devant le gratin monégasque à l’Hotel Hermitage – 25 000 € la nuit – pour une soirée « Espoir ». Les salons rouge et or accueillent Albert II de Monaco, puis Thibault, tétraplégique, la deuxième personne implantée avec le BCI. Flouté pour « question d’anonymat », il est présenté aux riches du Rocher en fauteuil roulant. Le jeune homme pose pour la photo avec Thierry Henry, entraîneur de l’AS Monaco, et Vadim Vasilyev, bras droit du président du club, Dmitri Rybolovlev (6,8 milliards de dollars sur ses comptes). Cet oligarque russe a été inculpé deux semaines avant la photo pour « trafic d’influence » et « corruption  ». Benabid est toujours à sa place près des gens importants. D’autant que la barre des 30 millions d’euros de dons prévus pour 2018 (et défiscalisés à 66 %) est loin d’être atteinte. En 2018, à peine 17 millions avaient été amassés. Rybolovlev va-t-il sortir le carnet de chèques pour compléter la somme ?

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“Stranger Things” : le projet secret de la CIA qui a inspiré la série Netflix

Le Projet MK résumé par France-Inter, forcément édulcoré, faudrait pas tomber dans le complotisme en spéculant sur le pourquoi de la « suppression » de quasiment toutes les archives, et ne surtout pas enquêter sur la réalité qui fut cachée… Mais bon, même si on n’apprend rien, on ne va pas bouder quand il est question de ce sujet dans les médias avec un petit lien en prime vers targetedindividualscanada.com (Je me doute que ce lien ne tiendra pas dans le temps…)


À première vue, qui pourrait penser que “Stranger Things”, une série entre fantastique, horreur et science-fiction, s’inspire de faits historiques ? Pourtant, le pitch est directement inspiré par de mystérieuses et très controversées expériences que la CIA mena pendant la guerre froide : le projet MK-Ultra.

                                                         Millie Bobby Brown, dans le rôle d’Eleven – Stranger Things, saison 1 © Netflix

Dans Stranger Things, le personnage d’Eleven est une jeune fille dotée de pouvoirs exceptionnels et étudiée dans un mystérieux laboratoire. Si les pouvoirs de télékinésie d’Eleven relèvent d’un registre fantastique propre à la série, le type d’expériences scientifiques vécues par le personnage de Terry Ives (sa mère dans la série) ont véritablement existé tels que décrits dans un épisode  : « Ils payaient des gens comme ma sœur [Terry Ives] 200 balles, ils leurs donnaient de la drogue, principalement du LSD, puis ils la déshabillaient et la mettaient dans des caissons d’isolation sensorielle. […] Ils voulaient repousser les limites de l’esprit. »

Ces expérimentations ont constitué ce qui s’est appelé le projet MK-Ultra : un projet secret, développé par la CIA dans les années 1950.

Derrière « Stranger Things », le projet MK-Ultra

L’idée était de tenter toutes sortes d’expériences afin de révéler ou de déclencher des capacités extraordinaires, pour s’en servir dans le contexte de la Guerre froide. Ils développaient des techniques de contrôle mental en mélangeant toutes sortes de psychotropes, (notamment du LSD, de la psilocybine et de la mescaline) à de la manipulation mentale, afin d’induire certains comportements chez les individus.

  • Le programme BlueBird, développé entre 1951 et 1953 cherchait, par exemple, à créer une sorte de sérum de vérité (également appelé « la sauce« ) en alliant des techniques de manipulation mentale à la prise de LSD.
  • De 1951 à 1963, le programme Artichoke alliait l’hypnose, la prise de drogues et le sevrage forcé, afin de mettre les cobayes dans un état second et les rendre soit plus coopératifs (dans le cadre d’un interrogatoire par exemple), ou de créer chez eux de véritables amnésies (et de préserver ainsi des secrets).
  • Le 10 février 1954, le programme MK-Ultra parvient à pousser quelqu’un au crime. Une femme, phobique des armes à feu, est placée sous hypnose et reçoit comme instruction de tirer sur quelqu’un. L’expérience réussit et les documents affirment que la femme cobaye ne se souvenait de rien au réveil, refusant même de prendre l’arme qu’on lui tendait.
  • D’autres substances ont également été testées afin de provoquer une impulsivité chez le sujet et ainsi le discréditer en public, ou encore pour aider un individu à supporter la torture, la privation ou un lavage de cerveau pendant un interrogatoire.

Un mémo du programme Artichoke, daté de janvier 1952, ne laisse aucun doute sur la ligne directrice du programme :

Pouvons-nous avoir le contrôle d’un individu au point où il fera ce que l’on veut, contre sa volonté, et même contre les lois fondamentales de la nature, telles que la préservation de soi ?

Mise en place du projet, dans le plus grand des secrets

L’idée du projet émerge après des témoignages de soldats américains qui soutiennent avoir vu, pendant la Guerre de Corée (1950-1953), des Nord-Coréens modifier le comportement de prisonniers américains en ayant recours à de la manipulation mentale. Selon eux, la Chine et l’URSS auraient aidé la Corée à développer ces techniques et c’est ainsi que, pour lutter contre l’URSS, les États-Unis décident de développer des techniques similaires.

Afin de mener à bien ces expérimentations dans le secret – et donc sans déclencher une nouvelle enveloppe budgétaire qui rendrait la chose publique – l’administration américaine signe un arrangement avec la CIA qui vise à réserver un certain pourcentage de son budget au projet MK-Ultra (6 %).

Le programme est placé sous la direction du docteur Sidney Gottlieb, un psychiatre militaire, également chimiste.

D’abord menées sur des prisonniers, les expériences sont élargies à des volontaires en échange d’une rémunération (dont Ken Kesey, l’auteur de Vol au-dessus d’un nid de coucou, en 1962, qui n’est pas sans lien avec cette histoire…). Une quarantaine d’universités américaines proposent à leurs étudiants de prendre part à ces expériences. Il semblerait même que certaines expériences aient également été menées sur des cobayes, à leur insu : employés de la CIA, membres de l’armée ou de l’administration américaine, prostituées, malades mentaux ou toxicomanes en centre de désintoxication. Une rumeur qui a pris en crédibilité après l’affaire de la mort mystérieuse du chimiste militaire, Frank Olson, employé de la CIA dont l’autopsie révéla qu’il avait absorbé du LSD à son insu. Une maison close a également été montée de toutes pièces, afin d’étudier, derrière des miroirs sans tain, des clients sous prise de LSD, versé sans qu’ils le sachent dans leur verre : l’opération Midnight Climax, réalisée à San Francisco, à Marin County et à New York, en 1955.

Une rumeur, confirmée le 3 août 1977, dans un discours du sénateur Edward Kennedy :

Le directeur adjoint de la CIA a révélé que plus d’une trentaine d’universités et d’institutions participaient à un programme « d’essais approfondis » comprenant des tests de drogue dissimulés sur des citoyens inconscients « à tous les niveaux sociaux, hauts et bas, Américains indigènes et étrangers ». Plusieurs de ces tests impliquaient l’administration de LSD à des « sujets involontaires dans des situations sociales ».

Et là où les expériences qui sont menées sur le personnage d’Eleven, dans la série, ne sont pas si éloignées de la vérité, c’est qu’à l’époque, des expérimentations ont bel et bien été menées sur des enfants.

Plusieurs femmes en ont témoigné le 15 mars 1995 : le docteur et thérapeute Valérie Wolf, spécialisée dans l’aide aux victimes, ainsi que deux victimes présumées : Christine DeNicola et Claudia Mullen. Des enfants auraient ainsi été soumis à des techniques de manipulation mentale afin d’en faire de parfaits espions ou d’excellents assassins.

Malheureusement, en 1973, le directeur de la CIA, Richard Helms ordonna la destruction de toutes les archives du programme MK-Ultra, ce qui rend extrêmement difficile le travail des enquêteurs et des journalistes sur ce sujet. Quelques documents échappèrent à la destruction, et en 1977 le New York Times révélait déjà que la CIA avait mené des expériences illégales, sur le territoire américain et des sujets américains.

Plus tard, suite au témoignage des présumées victimes, Christine DeNicola et Claudia Mullen, et après de nombreuses autres révélations (l’opération Midnight Climax, la mort mystérieuse de Frank Olson…) le président américain en date, Bill Clinton, décida de faire des excuses publiques (le 3 octobre 1995) pour les expériences ayant eu lieu sur le sol américain. Toutefois il n’entra jamais vraiment dans les détails de ces “expériences”.

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Le mystérieux Hendricus Loos et ses dispositifs de manipulation du système nerveux

Traduction d’un article intéressant. Intéressant aussi de voir comment avorte une tentative d’enquête journalistique sur un sujet sensible comme le Mind Control. Il existe des brevets déposés, visiblement exploités par une société, mais on ne sait pas pour quoi pour/contre qui etc… Les recherches n’aboutissent à rien, circulez…

 


Les mots « dispositifs de manipulation du système nerveux » suffisent à attirer l’attention de la plupart des gens. Le concept appliqué de contrôle de l’esprit, largement considéré comme n’étant rien de plus que de la science-fiction, est apparemment de plus en plus réaliste.

L’un des derniers dispositifs brevetés utilise un téléviseur ou un écran d’ordinateur pour envoyer des ondes électromagnétiques au spectateur (1). La charge électrique s’accumule sur la peau et déclenche un comportement contrôlé du système nerveux. On pense que l’appareil pourrait également avoir un impact sur le système endocrinien, en donnant accès aux hormones et aux fonctions cérébrales, ainsi qu’à la capacité de contrôler d’autres systèmes du corps.

Le détenteur du brevet, Hendricus G. Loos, détient également de nombreux autres brevets pour des dispositifs similaires. Depuis 1978, M. Loos a obtenu des brevets pour onze dispositifs, dont la plupart visent la manipulation du système nerveux (2).

Parmi les brevets, vous trouverez des articles tels que « Manipulation acoustique subliminale des systèmes nerveux », « Manipulation magnétique à distance des systèmes nerveux », « Méthode et appareil de mémoire associative » et « Méthode et appareil de manipulation des systèmes nerveux ». Tous les autres brevets semblent être liés à la technologie d’administration de ces dispositifs de manipulation du système nerveux.

Si vous n’avez pas encore peur ou si vous n’êtes pas intimidé, nous n’avons pas fini.

L’histoire de Loos

L’homme derrière les brevets a sa propre histoire. Avant de travailler sur la manipulation du système nerveux, le Dr Loos a travaillé avec d’autres entreprises. À la fin des années 1950, son travail avec Plasmadyne Corporation lui a permis d’obtenir un brevet pour un « appareil et une méthode de production et de confinement du plasma à ultra-haute température » (3).

Quelques années plus tard, il a travaillé avec le département de recherche avancée de Douglas Aircraft pour étudier les champs électromagnétiques en utilisant la théorie de Yang-Mills (4). Il a poursuivi ses recherches en publiant un autre article sur les champs de Yang-Mills en 1969 dans l’American Physical Society Journal (5).

Dans les années 1980, il semble qu’il se soit installé dans sa maison de Fallbrook, en Californie, et qu’il ait développé le Laguna Research Laboratory, travaillant sur des projets gouvernementaux avec le ministère de la Défense, le ministère de la Santé et des Services sociaux et la Defense Advanced Research Projects Agency, communément appelée DARPA (6). Les projets comprennent des aérosols thérapeutiques rentables et des dispositifs de stockage de mémoire capables d’apprendre.

Au cours de son travail avec Laguna Research Laboratory, Hendricus Loos a participé à une conférence avec Neural Information Processing Systems, publiant un article sur Reflexive Associative Memories (7). Les documents correspondants se trouvent également dans le Centre d’information technique de défense (8).

Science Fiction ou réalité ?

Il est plus difficile d’obtenir de l’information sur le travail d’aujourd’hui et d’aujourd’hui. Les informations disponibles sont rares et troublantes.

Peu de temps après avoir breveté son dernier appareil, Hendricus Loos a pris la présidence de Cuewave Corporation. Jansje Loos a déposé une demande de permis d’exploitation (numéro d’entité : C2396570) en 2003, en utilisant la même adresse à Fallbrook, Californie, ainsi qu’une adresse résidentielle supplémentaire à Laguna Beach, Californie (9).

Le propre site de la société, www.cuewave.com, n’est rien de plus qu’une copie de site pour une entreprise de publicité située en Inde. Toute recherche sur l’entreprise ne produit rien de plus que des inscriptions dans les annuaires. Les listes elles-mêmes ne fournissent que peu de données supplémentaires, si ce n’est que l’entreprise est inscrite dans la catégorie « Recherche physique commerciale » et a un code de classification type des industriesle des systèmes nerveux

 

(1) Patents
(2) Inventor Hendricus Loos
(3) Patent US3009080
(4) World Cat
(5) APS
(6) SBIR
(7) NIPS
(8) US Military
(9) SOS
(10) CueWave Corp
(11) OSHA


The Mysterious Hendricus Loos and His Nervous System Manipulation Devices

The words “nervous system manipulation devices” are enough to pique most anyone’s attention. The applied concept of mind control, widely thought to be nothing more than science fiction, is seemingly more and more realistic.One of the latest patented devices, utilizes a television or computer monitor to send electromagnetic waves to the viewer (1). The electrical charge accumulates on the skin and triggers the nervous system to behave in a controlled manner. The device is thought to potentially impact the endocrine system as well, granting access to hormones and brain function, as well as the ability to control other body systems.

The patent holder, Hendricus G. Loos, also holds many other patents for similar devices. Since 1978, Dr. Loos has been issued patents for eleven devices, largely of which are aimed at nervous system manipulation (2).

Among the patents, you’ll find items such as “Subliminal acoustic manipulation of nervous systems,” “Remote magnetic manipulation of nervous systems,” “Method and apparatus for associative memory,” and “Method and apparatus for manipulating nervous systems.” Any other patents seem to be related to delivery technology of these nervous system manipulation devices.

If you’re not scared or intimidated just yet, we’re not done.

Loos’ History

The man behind the patents has quite a history of his own. Prior to his work with nervous system manipulation, Dr. Loos worked with other companies. In the late 1950s, his work with Plasmadyne Corporation yielded a patent for an “apparatus and method for generating and containing plasma having ultrahigh temperatures” (3).

A few years later, he worked with Douglas Aircraft’s Advanced Research Department studying electromagnetic fields, utilizing the Yang-Mills theory (4). He continued his research, publishing yet another article about Yang-Mills fields in 1969 in the American Physical Society Journal (5).

In the 1980s, it seems he set up shop in his Fallbrook, California home and developed Laguna Research Laboratory, working on government projects with the likes of the Department of Defense, the Department of Health and Human Services, and the Defense Advanced Research Projects Agency, commonly known as DARPA (6). The projects include cost effective therapeutic aerosol devices and memory storage devices capable of learning.

During his work with Laguna Research Laboratory, Hendricus Loos participated in a conference with Neural Information Processing Systems, publishing a paper on Reflexive Associative Memories (7). Correlating documents can also be found in the Defense Technical Information Center (8).

mind control research

Science Fiction or Fact?

Flash-forward to today, and current work information is harder to come by. What information is available is sparse and unnerving.

Shortly after patenting his latest device, Hendricus Loos took on the roll of President at Cuewave Corporation. Jansje Loos filed for the business license (Entity Number: C2396570) in 2003, utilizing the same Fallbrook, California address, as well as an additional residential address in Laguna Beach, California (9).

The company’s own site, www.cuewave.com, is nothing more than a copy of site for an advertising business located in India. Any search for the business yields nothing more than directory listings. The listings themselves provide little additional data, other than the business is listed for “Commercial Physical Research” and has a Standard Industrial Classification (SIC) code of 8731 (10). This classifies them for commercial physical and biological research (11). The license is still active with the Secretary of State and has been for the past 11 years.

Outside of this information, Dr. Hendricus G. Loos – who also goes by Dr. Henry Loos and Dr. Hank Loos – along with his Cuewave Corp and his nervous system manipulation devices are a mystery. The kind of mystery that makes you wonder if the mind control we see in science fiction movies may really be right around the corner.

References & Image Credits:
(1) Patents
(2) Inventor Hendricus Loos
(3) Patent US3009080
(4) World Cat
(5) APS
(6) SBIR
(7) NIPS
(8) US Military
(9) SOS
(10) CueWave Corp
(11) OSHA

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Morphéus : Du harcèlement électromagnétique des populations à la neuro-politique du Nouvel Ordre Mondial

Les armes à micro-ondes sont utilisées contre les populations depuis des dizaines d’années. En Angleterre, dans les années 80, lors des grèves de mineurs, Margaret Thatcher avait fait installer des émetteurs dans les quartiers populaires où ils vivaient, afin de les rendre apathiques.

Il s’agit en l’occurrence d’armes qui émettent des extrêmement basses fréquences (ELF : Extremely Low Frequency) ou à l’inverse des ultra hautes fréquences (UHF), dont le but est d’interférer sur le cerveau humain.

C’est l’Institut Tavistock, spécialisé dans la modification du comportement humain, qui aurait développé ce système à partir des années 50. Dans les années 60, le Dr Ross Adey a travaillé sur le Pandora Project pour la CIA et le MI5, dans le domaine du contrôle mental à distance (RMCT : Remote Mind Control Technology). Il a exploité les ondes ELF (1 à 20 Hz) qui avaient des effets psychologiques et biologiques sur l’homme. Ils ont trouvé que les fréquences de 6 à 16Hz avaient des effets importants sur le cerveau et les systèmes nerveux et endocrinien. Plus tard, il s’est avéré que ces ondes peuvent également endommager l’ADN. Il a combiné des ondes ELF avec des ondes UHF notamment, pour en amplifier les effets nocifs.

Sur la base US de Greenham Common en Angleterre, autour de laquelle des pacifistes (dont une grande majorité de femmes) manifestaient, ces armes furent utilisées. Fin 1984, ces femmes visées par de hauts niveaux de radiations micro-ondes, ont été atteintes de cancer, nombre d’entre elles sont mortes. Ces armes permettent d’induire un cancer à distance en altérant l’ADN.

Ces armes utilisées secrètement contre les civils engendrent des paralysies temporaires, une désorientation, des brûlures dans certains cas d’exposition, des vertiges, des amnésies. Des scientifiques indépendants avaient constaté les hauts niveaux de radiations électromagnétiques autour de la base Greenham Common, preuve de l’utilisation de ces armes contre des manifestantes.

Armes ELF

Les armes à très basse fréquence (ELF) sont étalonnées selon certaines fréquences cérébrales étudiées et connues des militaires. 6,66 Hertz engendre la dépression, 4,5 hertz provoque une attaque cardiaque, d’autre vont moduler l’humeur de la victime irradiée en la rendant schizophrénique, paranoïaque, suicidaire, violente ou apathique.

Ce type d’arme fut utilisé sur les populations chypriotes par l’armée anglaise, mais également sur les catholiques d’Irlande du Nord dans les années 80

MASER

Le système nommé MASER envoie des micro-ondes spéciales qui permettent de faire de la « télépathie synthétique ». Aujourd’hui on peut lire les pensées de quelqu’un à distance après avoir scanné les ondes électromagnétiques émises par le sujet dans différentes situations.

 

Manipulation du système nerveux

On sait aussi, semble-t-il, manipuler le système nerveux d’une cible en diffusant certains type d’ondes.

D’après Tim Rifat, l’Angleterre utiliserait des systèmes manipulant le système nerveux contre des citoyens récalcitrants au moins depuis la fin des années 80. Vicki Casagrande, ingénieure américaine, a expliqué devant une commission sur le harcèlement électromagnétique que les victimes pouvaient être totalement contrôlées à distance : « Les muscles peuvent être relâchés ou contractés, que ce soit légèrement ou violemment. Mais, ces effets peuvent aussi être placés dans le cerveau juste comme une sensation (…) Les victimes peuvent avoir froid par 40°C dehors, ou avoir chaud par -15°C. ».

L’ingénieure Casagrande explique que certaines victimes auraient eu des implants dans le cerveau depuis les années 60, 70.

300 plaintes

Actuellement, dans l’état du Missouri, un élu a recensé 300 plaintes concernant le harcèlement électromagnétique. Certaines des victimes sont simplement harcelées dans le cadre d’expérimentations. Un certain nombre d’associations comme (l’International Committee on Offensive Microwave Weapons) se sont montées pour aider les victimes, ou pour tenter d’alerter l’opinion et les décideurs politiques.

Armes interférométriques

Les armes électromagnétiques évoquées plus haut ont déjà 50 ans ou plus. Elles ont un inconvénient majeur, les sujets finissent par comprendre qu’ils sont victimes d’une attaque électromagnétique. Des systèmes beaucoup plus sophistiqués indolores pour manipuler les cerveaux sont à l’œuvre actuellement. On sait parfaitement simuler artificiellement l’activité interférométrique de n’importe quelle zone du cerveau humain. Avec l’assistance de l’intelligence artificielle, il devient possible de remodeler un cerveau à distance en modifiant l’inconscient puis le conscient d’un individu. De fait, nous voyons la 5G et la densification du smog électromagnétique comme des extensions intégrées de ces technologies. Les cerveaux ainsi baignés et modulés demanderont eux-mêmes plus d’asservissement sans même s’en rendre compte. Illusions de liberté, de fraternité ou d’égalité seront induites par des techno-scientifiques aux commandes du formatage cérébral des populations. C’est l’arme ultime d’asservissement des peuples.

L’asservissement techno-politique

Zbigniew Brzezinski lieutenant de David Rockefeller a toujours affiché sa volonté politique d’asservir les populations à l’aide de technologies :

« La société sera dominée par une élite de personnes libérées des valeurs traditionnelles qui n’hésiteront pas à réaliser leurs objectifs aux moyens de techniques épurées avec lesquelles ils influenceront le comportement du peuple et contrôleront la société dans tous les détails, jusqu’au point où il sera possible d’exercer une surveillance quasi permanente sur chacun des habitants de la planète ».

« Cette élite cherchera tous les moyens pour parvenir à ses fins politiques, comme de nouvelles techniques pour influencer le comportement des masses, ainsi que pour obtenir le contrôle et la soumission de la société ».

Hitler en aurait rêvé mais un homme comme Zbigniew Brzezinski dispose de l’intelligence artificielle et de toutes les sciences psychotroniques modernes pour parvenir à ses fins. Son rêve de contrôle mental des masses est à portée de main avec le concours des transhumanistes.

Laurent Alexandre transhumaniste accompli, décrit notre cerveau comme « un ordinateur fait de viande ». Quant à Marc Roux, président de l’association française transhumaniste, il affirme : « Nous avons aujourd’hui les outils pour intervenir sciemment sur notre propre condition. Nous pensons qu’il peut y avoir de bonnes raisons de modifier notre biologie, même de manière invasive, radicale et irréversible. » En Suisse, le Human Brain Project, largement financé par l’Union européenne, a pour but de créer un cerveau artificiel en travaillant sur les interactions entre les neurones et des processeurs électroniques. Le programme est annoncé sans détour. « L’audacieux programme transhumaniste va se répandre… Cela fait partie de la nature non démocratique de la technologie… » CQFD.

Avènement de la neuro-politique

Le Nouvel Ordre Mondial si cher à la famille Bush a toujours été lié à la possibilité technologique d’imposer secrètement une neuro-politique aux populations. Grâce aux avancées des neuro-sciences et des programmes militaires secrets de Contrôle Mental, la « paix mondiale » pouvait être imposée. La caste mondialiste devait faire monter en puissance tous les systèmes d’interconnexions assistés par intelligence artificielle afin que chaque cerveau n’en soit qu’une interface modulable à souhait.

Si techniquement tout cela est devenu possible, en revanche cette approche induit, par pressions électromagnétiques, une telle destruction qu’elle mène à un lent suicide programmé de l’humanité. Rationnellement, il convient de faire machine arrière. Mais il semble que la rationalité ne soit plus à l’ordre du jour. Nous ne savons plus si la caste mondialiste agit et pense par elle-même ou si elle a été assimilée par sa propre technologie de contrôle neuronal. Face à ce fléau, la révolution consciente des peuples devient le seul garde-fou et le temps nous est compté.

Sources : https://aphadolie.com

LIESI & Morphéus

publié dans Morphéus n°93 mai-juin 2019

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« Attaques acoustiques » : le cerveau de diplomates américains à Cuba a été altéré

L’EXPRESS Plusieurs diplomates américains en poste à La Havane se sont plaints de maux qui restent inexpliqués. Mais une étude assure que « leurs cerveaux ont subi quelque chose ».

Que leur est-il arrivé ? Les cerveaux d’une quarantaine de diplomates américains, victimes de phénomènes mystérieux à Cuba, montrent des différences par rapport à un groupe témoin, ont annoncé mardi des chercheurs, qui les ont analysés par imagerie médicale à la demande du gouvernement américain.

L’étude, publiée par le Journal de l’Académie américaine de médecine (Jama) et menée par des professeurs et médecins de l’université de Pennsylvanie, ne permet pas de dégager une cause aux symptômes observés chez les diplomates entre fin 2016 et mai 2018. Mais elle confirme que « leurs cerveaux ont subi quelque chose qui a causé ces changements », explique Ragini Verma, professeure de radiologie à l’université de Pennsylvanie, et spécialiste de l’imagerie médicale.

« Ce n’est pas imaginaire », avance-t-elle. « Cela s’est bien produit dans leur cerveau. Tout ce que je peux dire c’est que la vérité reste à trouver. » « Ce qu’il s’est passé n’est pas dû à un antécédent médical », ajoute la spécialiste.

Des diplomates en plein « brouillard cognitif »

Entre fin 2016 et mai 2018, des diplomates en poste à La Havane, ainsi que des membres de leurs familles, ont souffert de maux divers incluant des problèmes d’équilibre et de vertige, de coordination, de mouvement des yeux, ainsi que de l’anxiété, de l’irritabilité et ce que des victimes ont appelé un « brouillard cognitif ».

Les Etats-Unis ont rappelé la majorité de leur personnel diplomatique de La Havane en septembre 2017. Certains sont aujourd’hui rétablis, mais d’autres restent en rééducation, selon Ragini Verma.

Washington n’a jamais établi publiquement la nature du phénomène, ni confirmé qu’il pourrait s’agir d’énigmatiques « attaques acoustiques » ou micro-ondes, comme la presse américaine s’en est fait l’écho, sans toutefois apporter aucune preuve. Cuba rejette toute responsabilité. Le Canada a de son côté dénombré 14 « victimes » et également rappelé la majorité de son personnel en janvier.

Pas de « conclusions scientifiques claires », répond Cuba

A la demande du département d’Etat américain, 44 diplomates et membres de leurs familles ont été envoyés à partir de mi-2017 au centre des traumatismes cérébraux de l’université de Pennsylvanie pour subir des examens par imagerie par résonance magnétique (IRM).

Les chercheurs ont comparé les résultats à ceux de 48 personnes comparables de groupes témoins. Les différences sont statistiquement significatives et concernent la matière blanche du cerveau, ainsi que le cervelet, la partie qui contrôle les mouvements.

Un porte-parole du département d’Etat a dit saluer « l’implication de la communauté médicale dans ce problème incroyablement complexe. La priorité du département reste la sûreté, la sécurité et le bien-être de son personnel ». La chercheuse Ragini Verma insiste sur l’importance de suivre l’ensemble des patients régulièrement pour suivre l’évolution des changements dans leurs cerveaux.

Cuba a pour sa part disqualifié cette étude mardi. Celle-ci « ne nous permet pas d’arriver à des conclusions scientifiques finales claires », a déclaré Mitchell Valdés-Sosa, directeur du Centre des neurosciences de l’Etat cubain, lors d’une conférence de presse. L’étude « ne prouve pas, contrairement à ce qui a été spéculé et à ce qui est affirmé dans l’article précédent (de la Jama, publié en mars 2018), qu’un groupe de diplomates a souffert des lésions cérébrales pendant leur séjour à Cuba, » a-t-il déclaré.

 


SCIENCES & AVENIR  Attaque acoustique à Cuba : le cerveau des diplomates américains altéré

En 2017, une affaire digne d’un roman d’espionnage avait fait grand bruit : celle de « l’attaque acoustique » visant des diplomates américains à Cuba. Une étude publiée par le Journal de l’Académie américaine de médecine (Jama) le 23 juillet 2019 avance que les cerveaux d’une quarantaine de ces diplomates montrent des différences par rapport à un groupe témoin.

Certains ont souffert « de légères lésions cérébrales d’origine traumatique »

Les premiers faits suspects ont été signalés fin 2016, mais le gouvernement américain a attendu août 2017 pour évoquer de mystérieux « symptômes physiques » constatés chez plusieurs salariés de l’ambassade des États-Unis à Cuba. Certains ont souffert de « migraines, nausées« , mais aussi « de légères lésions cérébrales d’origine traumatique et d’une perte définitive d’audition« , révélait ensuite le syndicat de la diplomatie américaine. Des problèmes d’équilibre, de vertige, de coordinations mais aussi de mouvements des yeux et d’anxiété ont également été signalés. Le 14 septembre 2017, le nombre d’employés touchés était de 21, avec un dernier « incident » constaté en août, selon Washington. Côté canadien, une source proche de l’ambassade précisait sous couvert d’anonymat que plus de cinq familles avaient été touchées, dont plusieurs enfants. Les États-Unis ont rappelé la majorité de leur personnel diplomatique de La Havane en septembre 2017. Certains sont aujourd’hui rétablis, mais d’autres restent en rééducation.

Washington n’a jamais établi publiquement la nature du phénomène. En 2017, l’agence américaine Associated Press (AP) avait divulgué un enregistrement réalisé par un employé de l’ambassade. Lorsque l’enregistrement leur a été présenté, des victimes de l’attaque l’ont clairement identifié comme le son qu’ils avaient entendu, comme l’expliquait alors Sciences et Avenir dans un précédent article.

« Tout ce que je peux dire c’est que la vérité reste à trouver »

A la demande du département d’Etat américain, 44 diplomates et membres de leurs familles ont été envoyés à partir de mi-2017 au centre des traumatismes cérébraux de l’université de Pennsylvanie pour subir des examens par imagerie par résonance magnétique (IRM). Les chercheurs ont comparé les résultats à ceux de 48 personnes comparables de groupes témoins. Les différences sont statistiquement significatives et concernent la matière blanche du cerveau, ainsi que le cervelet, la partie qui contrôle les mouvements.

L’étude – faite à la demande du gouvernement américain donc – menée par des professeurs et médecins de l’université de Pennsylvanie ne permet pas de dégager une cause aux symptômes observés chez les diplomates entre fin 2016 et mai 2018. Mais elle confirme que « leurs cerveaux ont subi quelque chose qui a causé ces changements« , dit à l’AFP Ragini Verma, professeure de radiologie à l’université de Pennsylvanie, et spécialiste de l’imagerie médicale. « Ce n’est pas imaginaire« , avance-t-elle. « Cela s’est bien produit dans leur cerveau. Tout ce que je peux dire c’est que la vérité reste à trouver. » « Ce qu’il s’est passé n’est pas dû à un antécédent médical« , ajoute la spécialiste. La chercheuse insiste désormais sur l’importance de suivre l’ensemble des patients régulièrement pour suivre l’évolution des changements dans leurs cerveaux.

Cuba a pour sa part disqualifié cette étude. Celle-ci « ne nous permet pas d’arriver à des conclusions scientifiques finales claires« , a déclaré Mitchell Valdés-Sosa, directeur du Centre des neurosciences de l’Etat cubain, lors d’une conférence de presse. L’étude « ne prouve pas, contrairement à ce qui a été spéculé et à ce qui est affirmé dans l’article précédent (de la Jama, publié en mars 2018), qu’un groupe de diplomates a souffert des lésions cérébrales pendant leur séjour à Cuba, » a-t-il déclaré.

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Les méthodes modernes d’élimination des individus : l’élimination sociale

Après le dernier post sur « Kubark : Le manuel secret de manipulation mentale et de torture psychologique de la CIA », voilà un chapitre du livre « Missions, méthodes, techniques spéciales des services secrets au 21 e siècle » concernant Les méthodes d’élimination sociale des individus. Ce qui est décrit est très semblable à l’élimination sociale et économique que j’ai eu à vivre, semblable aussi à ce que décrivent les autres TI. C’est un des buts recherché par le gang stalking. Ça ne sort pas de quelques esprits faibles ou dérangés, ce sont des méthodes éprouvées depuis des siècles.

Les méthodes modernes d’élimination des individus

 

 

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KUBARK

Kubark : Le manuel secret de manipulation mentale et de torture psychologique de la CIA

 

En pleine guerre froide, la CIA sous le nom de code « KUBARK » – rédige un manuel d’interrogatoire secret destiné à ses agents.
Mobilisant les résultats de recherche en psychologie expérimentale, les auteurs formulent les principes d’une pratique scientifique de l’interrogatoire à la violence aseptisée. Au-delà des coups ou de la douleur, il s’agit de manipuler le psychisme du sujet pour le faire craquer. A cette fin, ils énoncent, à l’échelle individuelle, les principes de ce que Noami Klein a appelé « la stratégie du choc », ensuite appliquée par le néolibralisme à l’échelle des sociétés : provoquer brusquement chez le sujet un état de régression psychique afin de le placer sous emprise. Cette contre doctrine contre-insurrectionnelle a ensuite inspiré au travers de la School of Americas de triste mémoire, les tortionnaires des dictatures sud-américaines, mais aussi plus récemment les pratiques d’interrogatoire américaines à Abou Ghraib et Guantanamo.
Ce document confidentiel, rédigé en 1963, fut tenu secret jusqu’en 1997, date à laquelle des journalistes américains purent obtenir sa déclassification au nom de la loi sur la liberté de l’information. De nombreux passages demeurent cependant censurés.
Il s’agit de la première traduction française de ce texte, jusque là inédit.
Connaître les principes d’un pouvoir, ses stratagèmes et ses tactiques est la première condition pour qui veut le déjouer.

Manuel d’interrogatoire contre-espionnage

Déclassifiés en 1997, la CIA avait rédigé en 1963, un manuel de torture à l’usage de ses agents appelé « Kubark Counterintelligence Interrogation3 », ce document est une description approfondie de la façon dont la CIA recommande l’interrogation d’un sujet.

Il sera complété et rebaptisé en 1983 « Manuel d’exploitation des ressources humaines »

Par exemple, dans «Les menaces et les peurs», les auteurs de la CIA notent que «la menace de coercition affaiblit ou détruit généralement une résistance plus efficacement que la coercition elle-même. La menace d’infliger de la douleur, par exemple, peuvent déclencher des craintes plus dommageable que la sensation immédiate de la douleur . »

Bonus « CIA, KUBARK Counterintelligence Interrogation » :
Version 1963 Partie 1 / 2 / 3
Version 1983 Partie 1 / 2

SOURCE : Voltairenet.org


TABLE DES MATIÈRES

Introduction. De la torture en Amérique, par Grégoire Chamayou
Du goulag au labo
À la recherche du « candidat mandchou » – Analyse des « méthodes de contrôle communistes » – Expériences sur l’« isolement radical » – Naissance de la torture « psy »
La torture sans peine ?
Contrainte et vérité : le paradoxe de l’inquisiteur – Douleurs auto-infligées
Redéfinir la torture
L’escamotage de la violence – Définitions réductrices. – L’art de l’intolérable
« Nous avons les moyens de vous faire taire »
Les ratés de l’administration Bush – Une question de pouvoir
Stratégies de pouvoir
La stratégie d’Alice – Le principe de rétrécissement du monde – La stratégie d’autoprédation – Esquisse pour un contre-manuel
Note des traducteurs
I / Introduction

A. Finalité
B. Organisation de l’étude
II / Définitions
III / Considérations légales et politiques
IV / L’interrogateur
V / La personne interrogée

A. Types de sources : les catégories du renseignement
B. Type de sources : les catégories selon la personnalité
C. Autres indices
VI / Procédure pré-interrogatoire et autres préliminaires
A. La procédure pré-interrogatoire
B. Les autres procédures préliminaires
C. Résumé
VII / Préparer l’interrogatoire de contre-renseignement
A. La nature de l’interrogatoire de contre-renseignement
B. Planifier l’interrogatoire
C. Points spécifiques
1. Définition de l’objectif – 2. Résistance – 3. Le cadre de l’interrogatoire – 4. Les participants à l’interrogatoire – 5. La gestion du temps – 6. La fin de l’interrogatoire
VIII / L’interrogatoire de contre-renseignement non coercitif
A. Remarques générales
B. La structure de l’interrogatoire
1. La phase d’approche – 2. La phase de reconnaissance – 3. Les questions détaillées – 4. La conclusion
C. Techniques non coercitives d’interrogatoire d’une source résistante
1. Se tourner vers une autre source – 2. « Personne ne t’aime » – 3. L’œil qui voit tout (ou : « La confession est bonne pour ton âme ») – 4. L’indicateur – 5. Des nouvelles de chez vous – 6. Le témoin – 7. Suspects complices – 8. Ivan est une andouille – 9. Le couple d’interrogateurs – 10. La langue – 11. Spinoza et Mortimer Snerd – 12. Le loup déguisé en brebis – 13. Alice au pays des merveilles – 14. Régression – 15. Le détecteur de mensonges – 16. La graphologie
IX. L’interrogatoire coercitif de contre-renseignement avec des sources résistantes
A. Restrictions
B. La théorie de la coercition
C. L’arrestation
D. La détention
E. La privation sensorielle
F. Menaces et peur
G. La débilité physique
H. La douleur
I. Hyper-suggestibilité et hypnose
J. Les narcotiques
K. Repérer la simulation
L. Conclusion
X / L’aide-mémoire de l’interrogateur
XI / Bibliographie détaillée


EXTRAITS

J’ai maintes fois tenté de réfléchir afin d’organiser ma pensée dans le but de transcrire ce qui m’est infligé. Je suis frappé par la proximité ( notamment le passage sur le jet-lag, notion et état que j’ai personellement nommé lag en reférence aux systèmes informatiques qui sont en état de ralentissement/dysfonctionnement) de ce texte avec mon expérience, ces extraits permettent de comprendre la difficulté de transcrire en mots la force de la torture psychologique. Victime de V2K, c’est une partie de ce qui m’est infligé, avec la différence que quasiment tout ou presque, selon les phases, certaines incluant le théâtre de rue, se passe à distance.

« Contrairement aux idées reçues, le but réel de la torture mise en œuvre par le bourreau n’est assurément pas de faire parler, contrairement à ce qu’il peut prétendre, lui aussi. En fait, si l’on torture c’est pour faire taire. » C’est cela le secret des tortionnaires, le mieux gardé de leurs secrets. Il concerne non pas leurs moyens, mais leurs fins. Pour énoncer le véritable mot d’ordre de la torture, il faut en renverser diamétralement la maxime de façade : ce n’est pas « Nous avons les moyens de vous faire parler », mais bien plutôt : « Nous avons les moyens de vous faire taire. » Ne croyez pas qu’ils veulent votre vérité ; ils veulent votre destruction.
 
Ce document confidentiel, rédigé en 1963, fut tenu secret jusqu’en 1997, date à laquelle des journalistes du Baltimore Sun purent obtenir sa déclassification au nom de la loi sur la liberté de l’information. ( … )
 
Avec le temps, à mesure que la douleur augmente, l’individu prend conscience que, dans une certaine mesure, c’est sa propre détermination à résister qui entraîne la perpétuation de la douleur. Se développe alors un conflit au sein même de l’individu entre sa détermination morale et son désir de s’effondrer afin que la douleur cesse. C’est ce conflit interne additionnel qui tend à rendre cette méthode de torture si efficace pour briser l’individu. » Déjà isolé, le sujet s’enferme dans un combat autodestructeur avec lui-même, devenant alors son propre bourreau. ( … )
 
Mais ces procédés ont encore d’autres vertus politiques. Non seulement ils ne laissent pas de traces compromettantes sur les corps, mais ils ôtent aussi à leurs victimes la possibilité de témoigner de l’intensité de leur calvaire. Une fois mis en mots, les tourments qu’elles ont endurés paraîtront quasiment anodins, sans rien de spectaculairement terribles. Si l’on est, bien sûr, immédiatement révulsé par le récit d’une séance de brûlures à la cigarette, de tabassages ou de viols, on l’est plus difficilement peut-être par le compte rendu de longues heures passées debout contre un mur.
 
Un colonel américain qui avait été soumis en Corée à l’ancêtre de ce genre de tortures no touch expliquait, en 1963, comment l’usage intensif de ces méthodes simples avait suffi à le plonger dans une réalité parallèle, « un monde de délire impossible à décrire », et concluait, amer : « Peut-être aurait-il mieux valu la torture physique, parce que les gens, au moins, comprennent de quoi il s’agit. » ( … )
 
En 1971, des militants présumés de l’IRA avaient été soumis par les autorités britanniques à une série de traitements coercitifs dans lesquels le lecteur reconnaîtra l’esprit du présent manuel. Cinq techniques de base avaient été utilisées : 1) positions de stress et douleur auto-infligée ; 2) cagoule opaque placée en permanence sur la tête des détenus ; 3) exposition de longue durée à des sons à plein volume ; 4) privation de sommeil ; 5) privation de nourriture. À ce régime, certains prisonniers étaient devenus psychotiques au bout de vingt-quatre heures. ( … )
 
Sur ce point, l’historiographie critique de la torture, tout comme la clinique des victimes, sont aujourd’hui parvenues à des conclusions claires. Comme le rappelle la psychothérapeute Françoise Sironi, « le but majeur de la torture n’est pas la recherche du renseignement. L’intention première de la torture est de briser les résistants au système et de terroriser la population entière ».
 
Elle poursuit : « Contrairement aux idées reçues, le but réel de la torture mise en œuvre par le bourreau n’est assurément pas de faire parler, contrairement à ce qu’il peut prétendre, lui aussi. En fait, si l’on torture c’est pour faire taire. » C’est cela le secret des tortionnaires, le mieux gardé de leurs secrets. Il concerne non pas leurs moyens, mais leurs fins. Pour énoncer le véritable mot d’ordre de la torture, il faut en renverser diamétralement la maxime de façade : ce n’est pas « Nous avons les moyens de vous faire parler », mais bien plutôt : « Nous avons les moyens de vous faire taire. » Ne croyez pas qu’ils veulent votre vérité ; ils veulent votre destruction. ( … )
 
Premier principe, première stratégie exportable : la désorientation ou la confusion, ce que KUBARK appelle aussi la méthode d’Alice au pays des merveilles. Son objectif est simple : « Bouleverser les attentes et les réactions conditionnées de la personne interrogée. Elle est habituée à un monde qui fait sens, tout au moins pour elle ; un monde de continuité et de logique, prévisible. Et elle s’y cramponne pour préserver son identité et sa capacité de résistance. » ( … )
 
Dans l’espace clos de la détention, l’entreprise de déstabilisation passe d’abord par une perturbation systématique des régularités temporelles : horloges trafiquées, qui avancent puis retardent, horaires irréguliers, nuits à géométrie variable… Le contrôle total de l’environnement du détenu permet aux interrogateurs, devenus maîtres de l’espace et du temps, de s’attaquer à la texture même du réel, d’en détraquer les rythmes et les pulsations habituels afin de plonger le sujet dans un état de désorientation complète, l’équivalent d’une sorte de jet-lag permanent. Les formes de la sensibilité se disloquent et le monde sort de ses gonds.
 
« Dans cette atmosphère déconcertante, elle comprend rapidement que le type de discours et de pensée qu’elle a toujours considéré comme normal a été remplacé par un étrange et inquiétant non-sens. […] Mais, à mesure que le processus se poursuit, sur plusieurs jours si nécessaire, la source va s’ingénier à donner du sens à une situation devenue mentalement insupportable. » ( … )
 
La stratégie confusionniste prend appui sur la tendance « herméneutique » du sujet : l’élan spontané qui le pousse à faire sens de ce qu’on lui dit. Le risque est évidemment pour lui de s’épuiser dans une tâche d’interprétation sans fin. La stratégie d’Alice procède donc non seulement par désorientation du sujet, mais aussi par saturation de sa puissance interprétative. Face aux non-sens dont on l’inonde, le faire s’égarer jusqu’à la folie dans une spirale d’hypothèses interprétatives aussi vaines qu’infinies. Le laisser désespérément chercher à comprendre là où il n’y a en réalité rien d’autre à comprendre que le fait qu’il n’y a rien à comprendre. ( … )
 
On retrouve ce type de démarche dans les procédés de confusion aujourd’hui massivement mobilisés par la parole politique : dire tout et le contraire de tout, quitte à accoupler sans cesse dans sa bouche des références inconciliables tout en jouissant secrètement des réactions de perplexité que l’on suscite ainsi que des trésors d’inventivité déployés par les commentateurs afin de découvrir le principe de cohérence, la logique secrète qui peut bien commander un tel flot d’absurdités dissonantes. Le secret est qu’il n’y en a pas. Le sens de tels énoncés réside non pas dans un éventuel signifié caché, mais uniquement dans leur fonction tactique de parasitage et de saturation des capacités intellectuelles et politiques des destinataires.
 

Le principe de rétrécissement du monde

 
Deuxième stratégie : celle du rétrécissement ou de la miniaturisation du monde. L’un des principes essentiels de ce manuel est, on l’a vu, d’isoler le sujet.
 
Les auteurs du manuel le savent, et leur premier souci est de produire des individus désaffiliés, isolés des liens qui les constituent. Le sentiment de cette séparation doit être intensifié, par tous les moyens, de sorte que le prisonnier en vienne à se persuader qu’il « est coupé de toutes forces amies capables de le soutenir. Si c’est le cas, il devient lui-même sa seule planche de “salut” ». ( … )
 
Mais on ne veut pas seulement le couper du monde. On lui en recrée aussi un autre à la place : un monde factice, miniature, qui doit se substituer à l’ancien. Un petit monde infernal et glauque, un théâtre d’ombres dans lequel on l’invite à jouer son rôle afin de mieux oublier qui il est : « À mesure que l’ambiance et les repères du monde extérieur se font plus lointains, leur importance pour la personne interrogée se réduit. Ce monde est alors remplacé par la salle d’interrogatoire, ses deux occupants et la relation dynamique qui s’instaure entre eux. Et au fil de la progression du processus, le sujet se fonde de plus en plus sur les valeurs du monde de l’interrogatoire, plutôt que sur celles du monde extérieur. » C’est ce que les auteurs appellent « la substitution du monde de l’interrogatoire au monde extérieur ». Le monde du dehors s’efface et la vie s’étiole pour se mettre aux normes d’un micro-monde, un « petit monde comptant deux habitants », un huis clos en tête à tête entre quatre murs. Principe de rapetissement et de rabougrissement du monde.
L’Australien David Hicks, après des mois passés à Guantanamo, finit par écrire à ses parents : « J’en suis arrivé à un point où je suis totalement confus, complètement perdu – dépassé, si vous voulez […]. Mon monde tout entier est devenu cette petite pièce et tout le reste n’est plus qu’un écho. Je vous aime, David. » ( … )
 
Fabriquer des individus esseulés ou recroquevillés dans de petits mondes aux préoccupations à la fois vitales et mesquines, tout entières accaparées par des nécessités matérielles ; faire s’enfermer mentalement les sujets dans des univers à quelques personnages, dont les micro-drames éclipsent ceux du monde véritable ; nous faire nous taper la tête contre les murs d’existences trop étriquées ; nous faire restreindre notre espace de pensée, de vie et de désir à celui de petites sphères qui nous prennent au jeu de leurs problèmes grossis à la loupe, de leurs vains rapports de forces ou de leurs fixations obsessionnelles dérisoires – voilà autant de phénomènes familiers qui correspondent, hors les murs, dans la sphère de la vie sociale ordinaire, au principe du rapetissement du monde exposé par KUBARK. Ce que nous apprend ce texte, c’est que capturer des sujets dans des micro-mondes est l’un des moyens les plus efficaces pour éroder leurs capacités de résistance, qui, elles, ont par contraste toujours à voir avec la persistance, en chacun de nous, de l’horizon d’un monde commun.
 
Troisième principe stratégique : l’autoprédation, qui correspond au procédé, déjà évoqué, de l’autodouleur où l’on retourne le sujet contre lui-même « jusqu’à finalement en faire l’agent de sa propre défaite».( … )
 
Il n’y a de résistance possible que face à un oppresseur repérable. Pour qui veut supprimer la résistance, la solution la plus simple est encore de faire disparaître l’oppresseur, de le rendre introuvable. Le pari est alors que la lutte, ne se trouvant plus de cible, se retournera contre elle-même. Ce que théorise KUBARK, c’est l’enrôlement actif du sujet contre lui-même : replier le sujet sur lui-même afin d’en faire l’agent de ses propres tourments, le bourreau de soi-même. ( … )
 
De façon plus générale, on reconnaît ici le principe fondamental commun à toutes les stratégies d’autodomination, qui transfèrent aux oppressés la tâche d’autogérer leur oppression. Celles-ci ont aujourd’hui pris une place centrale dans les formes de domination : devenez entrepreneurs de vous-mêmes, soyez votre propre patron, votre propre maître et votre propre contremaître. Vous serez alors les agents actifs, les seuls identifiables, et par conséquent les seuls responsables de votre propre servitude. ( … )

Grégoire Chamayou

VERSION PDF : KUBARK Le manuel secret de manipulation mentale et de torture psychologique de la CIA


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KUBARK
Le manuel secret de manipulation mentale et de torture psychologique de la CIA.
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Émilien et Jean-Baptiste Bernard.
Introduction de Grégoire Chamayou
Zones

INTRODUCTION.
DE LA TORTURE EN AMÉRIQUE

Ce livre, vous n’auriez jamais dû l’avoir entre les mains. « KUBARK » est le cryptonyme de la CIA, le nom de code qu’elle s’était donné pendant la guerre froide. Ce document confidentiel, rédigé en 1963, fut tenu secret jusqu’en 1997, date à laquelle des journalistes du Baltimore Sun purent obtenir sa déclassification au nom de la loi sur la liberté de l’informationnote. De nombreux passages, censurés par l’agence, demeurent caviardés de gris dans notre édition.

La brochure se présentait comme un manuel d’interrogatoire destiné au contre-espionnage : comment faire craquer, sous la question, des agents du camp adverse ? Comment briser des sujets particulièrement résistants ? Différents procédés sont exposés, divisés en « non coercitifs » et « coercitifs » et ordonnés par ordre de pression croissante. Si les premiers correspondent à de simples tactiques de manipulation psychosociales, les seconds relèvent d’une nouvelle doctrine de la torture, une torture qui ne dit pas son nom, une forme de violence insidieuse, hypocritement compatible avec les exigences formelles de la « démocratie ».

Ce livre infect est à remiser dans les rayonnages de la grande bibliothèque des techniques de pouvoir, sur l’étagère où trônent déjà les Manuels de l’inquisiteur rédigés en leur temps pour cuisiner les hérétiques. KUBARK aux côtés d’Eymerich et de Guinote.

Ce qui est livré ici au public, dans un style dont la lourdeur bureaucratique n’a d’égale que la fatuité des prétentions scientifiques, c’est le manifeste fondateur d’une technologie inquisitoriale de notre temps. Cette doctrine a notamment inspiré, au travers de la School of Americasnote de triste mémoire, les tortionnaires des dictatures sud-américaines, mais aussi, plus récemment, les basses œuvres d’Abou Ghraib et de Guantanamo.

DU GOULAG AU LABO

Cette nouvelle doctrine de torture est d’abord née d’une grande peur américaine. Depuis le début des années 1950, les autorités de Washington avaient en effet toutes les raisons de craindre que les services du bloc communiste ne fussent passés maîtres dans l’art de manipuler les esprits.

Plusieurs phénomènes inexpliqués étaient venus attiser leurs inquiétudes. En Hongrie d’abord, on avait vu un homme d’Église – le cardinal Mindszenty, en 1949 – puis un homme d’affaires – Robert Vogeler, en 1950 – confesser publiquement, lors de procès retentissants, des faits d’espionnage et de subversion manifestement tout droit sortis de l’imagination de propagandistes du régime. Plus inquiétant encore, la chose se répéta avec des soldats américains faits prisonniers lors de la guerre de Corée. En 1954, lors d’une grande conférence de presse, une vingtaine d’entre eux annoncèrent leur volonté de demeurer en territoire communiste, reniant ainsi publiquement la mère patrie et l’ensemble du « monde libre » avec ellenote.

À la recherche du « candidat mandchou »

Sensationnalisme journalistique, panique politique, roman d’espionnage et science-fiction s’unirent alors pour forger une figure adéquate à la paranoïa de la guerre froide : celle de l’agent dormant, retourné à son insu et commandé à distance, de façon subliminale, par l’ennemi – c’est le scénario de The Manchurian Candidate (Un crime dans la tête)note, prodigieux navet sorti sur les écrans en 1962, où l’on voit un psychiatre chinois moustachu hypnotiser de braves GI américains, dont le major Bennett Marco, un personnage (fort mal) joué par Frank Sinatra, qui assiste sans broncher au meurtre de l’un de ses camarades, coincé entre les portraits géants de Staline et de Mao, devant un parterre d’apparatchiks galonnés mais se croyant entouré de ladies distinguées dans un jardin botanique.

Comme le résumèrent des psychologues américains bientôt appelés à la rescousse, « peu d’aspects du communisme ont davantage surpris et inquiété le monde occidental que les phénomènes très médiatisés de collaboration, de conversion et d’autodénonciation d’individus, communistes ou non communistes, innocents ou coupables, ayant été enfermés dans des prisons communistesnote ».

Fausses confessions, auto-accusations, tel était le point de départ. Que se passait-il donc dans les geôles staliniennes, dans les cachots hongrois et dans les camps chinois pour que ceux qui en sortent se mettent à faire les perroquets ? Quelle mystérieuse technologie avaient donc réussi à acquérir ces pouvoirs manifestement devenus ventriloques ? En 1950, un journaliste du Miami Daily News avait inventé un néologisme : le brainwashingnote, expliquait-il, vise à « modifier radicalement l’esprit, de façon que son propriétaire se mue en une sorte de marionnette vivante, un être humain-robot, sans qu’aucun signe extérieur ne permette de déceler cette atrociténote ».

On était en pleine guerre froide. La compétition technologique faisait rage et il fallait, d’urgence, trouver la parade. La Brain Warfare, la guerre du cerveau, comme on l’a appelée, avait commencé.

En revenant sur le déroulement des procès de Moscou, l’agence était parvenue à cette conclusion que « le style, le contexte et la façon dont les “aveux” étaient présentés étaient inexplicables à moins d’une réorganisation et d’une réorientation mentales des personnes interrogéesnote ». Mais l’énigme restait entière quant aux procédés employés, car de telles modifications, poursuivait-on, « ne sauraient avoir été induites par des méthodes de torture physique traditionnelles ». C’est donc qu’il en existait d’autres. Toute la question était de savoir lesquelles.

La première hypothèse fut que Chinois et Soviétiques avaient recours à des techniques non conventionnelles, à la fois « plus récentes et plus subtilesnote » que les tortures d’antan – incluant hypnose, électrochocs, substances chimiques et chirurgie psychiatrique. Cette conjecture donna lieu à une première phase de « recherches » qui se traduisirent par une vague d’expériences aussi bizarres que criminelles, principalement à base de drogues hallucinogènes.

En 1950 fut lancé le programme Bluebird, avec pour mission d’« explorer la possibilité de contrôler un individu au moyen de techniques spéciales d’interrogatoirenote ». La CIA s’intéressa aux potentialités d’une drogue récemment redécouverte, le LSD, dont elle administra des milliers de doses à ses cobayes. En 1951, le programme fut rebaptisé « projet Artichoke » – un nom qui évoquait bien le genre d’effeuillage mental qu’elle entendait réserver à ses victimes. À partir de 1953, l’ensemble de ces investigations sur le contrôle de l’esprit fut refondu sous le label MK-Ultra.

Cette première phase d’expérimentations psychopharmacologiques ne déboucha sur aucun résultat probant. On réussit tout juste à transformer certains sujets en légumes, et à en tuer d’autres. Faute d’avoir découvert la poudre à laver les cerveaux, l’agence, pour avoir distribué des montagnes de cachets dans la bataille, avait cependant contribué à faire émerger des recherches d’un tout autre genre, qui se concrétisèrent par les expériences poético-chimiques de la beat generation. Comme l’a écrit David Price, « la CIA s’était mise en quête de sérums de vérité efficaces, mais, dans sa recherche, ce qu’elle avait fini par lâcher dans la nature, ce fut Ken Kesey, Timothy Leary et Allen Ginsbergnote ».

Revenue de ses premiers élans, l’agence finit par admettre qu’il n’existait « pas de potion magiquenote ». On avait fait fausse route. Le secret ne résidait pas dans de nouvelles molécules, mais dans des procédés bien plus ordinaires.

Analyse des « méthodes de contrôle communistes »

Une seconde voie, que l’on espérait plus féconde, passait par l’étude des techniques effectivement employées par les services chinois et soviétiques. En avril 1956, deux professeurs de médecine de l’université Cornell, Harold Wolff et Lawrence Hinkle, remirent à la direction des services techniques de la CIA un rapport confidentiel sur les « méthodes de contrôle communistesnote ». Leur exposé clair et méticuleux des savoir-faire de l’ennemi aboutissait à une conclusion sans appel : « Il n’est pas nécessaire de supposer que les communistes utilisent des méthodes occultes pour le traitement de leurs prisonniersnote. » Une panoplie de techniques simples, très largement héritées du passé tsariste, suffisait pleinement à expliquer les résultats obtenus.

La clé, insistaient-ils, réside dans un principe fondamental, qui constitue « le moyen idéal pour “briser” un prisonniernote » : l’isolement. Comme le confia plus tard un psychologue de la CIA lors de son audition devant le Sénat américain, « l’idée générale à laquelle nous étions parvenus était que le lavage de cerveau recouvrait pour l’essentiel un processus d’isolement des êtres humains consistant à les priver de tout contact, à les soumettre à de longues périodes de stress en rapport avec l’interrogatoire […] sans qu’il soit besoin de recourir à aucun moyen ésotériquenote ».

Cet état de stress dans lequel il était crucial de plonger les prisonniers reçut un nom, qui tenait en trois lettres : le syndrome « DDD », pour Debility, Dependency and Dread. Ce que l’on peut approximativement traduire par débilité (au sens, littéral, de faiblesse physique et psychique), dépendance et détresse. Des sujets affectés du syndrome des trois D voient leur « viabilité se réduire, sont désespérément dépendants de leurs ravisseurs pour la satisfaction de la grande majorité de leurs besoins de base et éprouvent des réactions émotionnelles et motivationnelles de peur et d’anxiété intensesnote ». Ou, pour dire les choses plus simplement : si l’on veut briser quelqu’un, ce qu’il faut, c’est le rendre débile, dépendant et apeuré.

Mais ce que le camp adverse faisait de façon routinière et empirique, il allait s’agir de le refonder sur une base scientifique. Le projet était de faire entrer les « méthodes de contrôle communistes » au laboratoire. S’ouvrit ainsi, à partir du milieu des années 1950, une autre perspective de recherche : dans une démarche de reverse engineering, synthétiser et perfectionner expérimentalement les techniques soviétiques et chinoises.

Pas de recherche sans financements. À cette fin, la CIA créa en 1955 une fondation écran, la Society for the Investigation of Human Ecology. Par ce biais, des millions de dollars purent être déversés sur les campus. Ce furent les noces secrètes du contre-espionnage et des sciences du comportement, des barbouzes et des docteurs en psychologie. Comme l’a montré Richard Price, les bourses, attribuées à des chercheurs qui ignoraient bien souvent l’identité de leur véritable employeur, concernaient une myriade de travaux divers, sans lien apparent, mais qui, mis bout à bout, formaient les pièces d’un gigantesque puzzle dont seul leur commanditaire caché connaissait le plan d’assemblage. La bibliographie placée en annexe du présent manuel est en très grande partie le fruit de cette politique de financement occulte : la CIA a utilisé les résultats de travaux qu’elle avait largement suscités.

Expériences sur l’« isolement radical »

Comment produire du stress ? Comment créer de toutes pièces, à partir d’un sujet normal, un être pétri d’angoisse, pathologiquement dépressif ? Les psychologues du comportement s’étaient déjà intéressés aux effets de l’isolement. Pour les besoins de leurs expériences, ils avaient inventé toute une série de procédés destinés à produire artificiellement, chez l’animal de laboratoire, des états de privation sensorielle. Ces techniques, il s’agissait à présent, mais à des fins non scientifiques, de les transposer à l’homme.

L’espoir vint du Canada. Au début des années 1950, le docteur Donald Hebb, de l’université McGill, avait conduit des recherches prometteuses sur les effets de l’« isolement radical ». Les résultats de ses expériences l’avaient lui-même surpris. Après quelques heures passées à porter un casque isolant sur les oreilles, confinés dans une sorte de caisson fermé, les yeux obstrués, le corps recouvert de mousse, les sujets éprouvaient des difficultés de concentration, des troubles des facultés cognitives, des hallucinations visuelles, l’impression d’être détachés de leur corps – bref, comme il l’avait noté, en très peu de temps, privé de stimuli sensoriels, « l’identité même du sujet avait commencé à se désintégrernote ». Ce type de conclusions avait de quoi intéresser au plus haut point les experts de la CIA. Elles confirmaient ce que l’étude des « méthodes communistes » laissait déjà supposer, à savoir que, « sans douleur, sans drogues, la personnalité peut être gravement déformée, par simple modification de l’environnement perceptifnote ».

Ces expériences, prudentes à l’origine, furent reprises et radicalisées par le docteur Ewen Cameron, directeur de l’Allan Memorial Institute of Psychiatry à Montréal. En 1953, Cameron s’était déjà vanté d’avoir reproduit expérimentalement, sur des sujets humains, l’équivalent de ces « extraordinaires conversions politiques » qui se produisaient à l’Estnote. En 1957, sa demande de subvention pour une étude sur les « effets de la répétition de signaux verbaux sur le comportement humainnote » fut acceptée par la Society for the Investigation of Human Ecology. Son programme de recherche fut intégré au projet MK-Ultra.

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Expérience sur un sujet placé dans une « boîte d’immobilisation »note

 

Comme le souligne Michael Otterman, la CIA avait trouvé en lui une ressource inestimable : un chercheur confirmé, avec à sa disposition un nombre illimité de cobayes humains, de corps vils sur lesquels expérimenter. Il testa pendant des années sur des patients non consentants sa méthode visant à « dépatterner » les sujets, à effacer leur personnalité. Les individus étaient plongés dans des comas artificiels, soumis à des séances d’électrochocs à répétition, enfermés pendant des jours dans des « boîtes de privation sensorielle » et exposés à des messages audio diffusés en boucle du type « Ma mère me hait ». Selon une étude menée en 1967, 60 % des personnes ayant atteint la troisième phase du programme souffraient d’amnésies persistantesnote. Naomi Klein, qui a retrouvé l’une de ces « patientes » et recueilli son témoignage, rapporte les séquelles dont elle souffre plus de cinquante ans après, son calvaire quotidien, mais aussi sa farouche volonté de vivre et de survivrenote.

Hebb, à la fin de sa vie, ne se montrait pas tendre avec son ancien collègue : « Cameron était irresponsable – criminellement stupide. Il n’y avait absolument aucune chance pour que ses expériences puissent aboutir au moindre résultat. Quiconque ayant la moindre idée de la complexité de l’esprit humain aurait pu savoir à l’avance qu’il était impossible d’effacer un esprit adultenote. »

Malgré toutes leurs limites, ces recherches avaient cependant confirmé certains points essentiels aux yeux de la CIA : l’isolement radical et la privation sensorielle désorientaient les sujets, amoindrissaient leurs capacités de résistance et les rendaient hautement réceptifs à la suggestion.

Naissance de la torture « psy »

« L’homme avec lequel traite l’interrogateur, avaient expliqué Hinkle et Wolff, peut être considéré comme un patient que l’on aurait créé intentionnellementnote. » Création intentionnelle de patient – telle était la première étape : prendre un sujet sain, libre, récalcitrant et le plonger dans un état de profonde régression psychique, l’affaiblir, le rendre désespéré, fou de crainte et de fragilité. Une fois ce premier objectif atteint, « l’interrogateur dispose à son égard de tous les avantages et de toutes les opportunités dont un thérapeute peut jouir face à un patient ayant désespérément besoin d’aide ».

« Bien que le traitement des prisonniers en régime communiste, poursuivaient Hinkle et Wolff, n’ait pas été conçu par des psychiatres ou des neurophysiologistes et bien que ceux qui conduisent ces opérations n’aient pas de formation en psychologie, l’interrogateur se comporte effectivement avec son prisonnier en utilisant de nombreuses méthodes identiques à celles d’un médecin dans le traitement de son patientnote. » Les psys qu’ils étaient, lisant les récits de torture, se reconnaissaient dans la position des interrogateurs, jusqu’à s’identifier pleinement à eux. Et réciproquement, dans un mouvement de circularité complète, les interrogateurs de la CIA, s’instruisant sur la pratique des psychiatres, avaient la satisfaction de trouver en eux des confrères. Ainsi, à la lecture d’un traité sur les méthodes de l’entretien psychiatrique, les auteurs du présent manuel s’émerveillent et commentent : « Tout interrogateur parcourant ce livre sera frappé par les parallèles entre l’entretien psychiatrique et l’interrogatoirenote. » Ce rapport de correspondances troublantes entre interrogatoire et psychothérapie, ce jeu de miroirs où les psys se reconnaissent dans les tortionnaires et vice versa, il s’agissait, pour ceux qui travaillaient alors activement à l’alliance des sciences du psychisme et de l’art de la question, de le renforcer et de le systématiser dans la pratique.

Les tortionnaires faisaient-ils de la psychologie sans le savoir ? Qu’à cela ne tienne, on allait en reprendre sciemment les principes afin d’intensifier les effets. Ainsi, ce ne sont pas seulement des techniques de pathogenèse expérimentale qui furent grossièrement détournées pour être importées dans le dispositif de torture, mais aussi certaines de celles de la psychothérapie. Un dispositif double, où le bourreau psychologue produit d’abord activement le mal dont il prétend ensuite soulager le « patient » par des questions qui lui permettront, en évacuant le stress, selon un principe d’homéostasie, et modérant la rationalisation adéquate qui lui sera fournie en échange de sa capitulation, de revenir à un état d’équilibre psychique. L’interrogatoire, en produisant chez le sujet un effet de soulagement analogue à celui d’un traitement par la parole, fera office de remède empoisonné.

On pourrait dire en ce sens que la torture psychologique contemporaine est née de la rencontre du goulag et de la psychologie américaine, dans sa double composante du laboratoire expérimental et de l’entretien thérapeutique, les deux schématiquement transposés sous les aspects de la cellule et de la salle d’interrogatoire. Il faut prendre toute la mesure de l’événement que cela représente dans l’histoire du XXe  siècle : la mobilisation consciente des savoirs « psy » au service d’un programme de dislocation méthodique de la personnalité, dans un mouvement visant à exploiter une détresse psychique sciemment provoquée à des fins d’emprise et de destruction.

Ironie de l’histoire, ce que Michel Foucault a exhumé, à savoir la généalogie clandestine qui relie les savoirs et les techniques « psy » aux technologies inquisitoriales de la confession, de l’aveu et de l’interrogatoirenote, s’était trouvé ici méthodiquement réactivé, rebouclé sur son origine, et pleinement assumé en continuité avec l’intentionnalité destructrice dont ces technologies s’étaient historiquement émancipées. Leur puissance négative, jamais tapie bien loin, était alors ravivée, et ce pour le pire.

LA TORTURE SANS PEINE ?

Il y a une surprise à la lecture de ce texte, qui tient à sa discrétion quant aux procédés de violence physique directe, ceux que l’on associe immédiatement et à juste titre à l’idée de la torture – coups, brûlures ou viols.

La violence s’avance certes parfois en pleine lumière, dans certains passages oubliés par la censure, lorsque les auteurs évoquent les « sévices corporels » et le « matériel médical, chimique ou électrique » nécessaire pour les infligernote. Des remarques sibyllines du type « L’installation électrique doit notamment être testée à l’avance ; des transformateurs et d’autres appareils du même genre seront mis à disposition si nécessairenote » ne laissent guère de doute quant à la destination du courant électrique en question. On ne trouvera cependant ici aucun mode d’emploi détaillé des instruments de torture – ni où placer sur un corps les mâchoires de la gégène, ni comment noyer un sujet à la bassine en lui faisant goûter au sentiment de la mort sans le tuer tout à fait. L’extrême violence se devine de façon inquiétante sous les blocs d’encre noire. Elle rôde à la lisière du texte et montre parfois ses babines, mais elle n’est centrale ni dans le corps de l’ouvrage ni dans la théorie qu’il expose.

Cela s’explique en partie par un réflexe de prudence institutionnelle. Même si ce texte était confidentiel, à stricte destination interne, et qu’aucun équivalent de WikiLeaks n’existait évidemment à l’époque, il était déjà dangereux de mettre certaines choses noir sur blanc. L’agence se souciait des risques de scandale. Le sergent Duncan, qui suivit dans les années 1960 les cours de torture dispensés à Fort Bragg, en Caroline du Nord, témoigne de la circonspection qui y régnait : « Les cours de torture […] étaient placés sous forte protection, avec des gardes postés aux portes. Les matériaux de cours eux-mêmes se conformaient à une politique générale de déni plausible : des euphémismes étaient utilisés pour masquer les buts précis. […] Si quelqu’un vous disait : “Vous enseignez des méthodes de torture”, on répondait : “Non, non, non, non, tout ce que nous enseignons ce sont les pratiques de l’ennemi”, mais, encore une fois, c’était seulement pour pouvoir se couvrir officiellementnote. »

Que les techniques de torture physique ne soient pas détaillées ici par le menu n’implique donc pas qu’elles n’aient été ni enseignées ni employées sur le terrain. Dans la pratique, que ce soit pour le programme Phoenix au Vietnam ou pour les escadrons de la mort qui sévirent dans les dictatures d’Amérique du Sud, les techniques de torture psychologique pouvaient se combiner sans les supplanter avec les méthodes classiques de ce que Marie-Monique Robin a appelé l’« école française » de la torturenote, élaborées en Indochine puis en Algérie, et dont la séquence classique a été exposée par Raphaëlle Branche : coups, pendaison, eau, électricité, viol, exécution sommairenote. Plutôt que comme un modèle concurrent appelé à remplacer l’ancien, il faut concevoir la torture psychologique comme une touche supplémentaire ajoutée à la palette des procédés d’agression disponible, propre à rendre la violence plus implacable encore, car plus complète dans la gamme de ses assauts.

Plus fondamentalement, dans le modèle que KUBARK propose, le recours à la violence physique se trouve théoriquement subordonné à un objectif principal, qui commande désormais l’ensemble du processus : briser les capacités de résistance du sujet. Or, à cette fin, la douleur ne représente que l’un des moyens disponibles – mais ni le seul ni sans doute le plus efficace. Voire au contraire.

Contrainte et vérité : le paradoxe de l’inquisiteur

Il y a un problème fondamental, auquel les tortionnaires ont été confrontés de très longue date, qui émerge comme une contradiction structurelle entre leur finalité affichée – obtenir la vérité – et les moyens qu’ils emploient – la contrainte. En arrachant les aveux par la violence, l’inquisiteur fausse les conditions de véridicité du témoignage. Ce problème très ancien, aussi vieux que la torture elle-même, on pourrait l’appeler le paradoxe de l’inquisiteur Il tient en une formule : « Sous cette contrainte, ils affirment vrai ce qui est fauxnote. »

Alors que la torture se légitime en ce qu’elle prétend pouvoir arracher – de façon certes expéditive, mais efficace – la vérité à des corps qui se refusaient à la dire, alors que la torture se donne, autrement dit, essentiellement comme une méthodologie énergique de la vérité, elle court en permanence le risque, du fait même des moyens qu’elle emploie, de n’obtenir qu’une parole fausse.

L’aveu, en outre, n’apprend rien. Ce que le pouvoir y trouve n’est classiquement que la simple confirmation, sous l’aspect d’une signature au bas d’une déposition rédigée à l’avance, de ce qu’il pensait déjà savoir. La torture-aveu met des mots dans la bouche des torturés ; elle les y fait entrer à coups de boutoir. Elle n’est ni moyen de vérité ni moyen de connaissance.

Ce double vice épistémologique est tenace car il est inscrit dans la logique même du chantage à la douleur, qui pousse le sujet à dire moins ce qu’il pense (véridicité) que ce qu’il pense que l’interrogateur veut entendre de lui. Conformité donc non pas entre ma parole et ma pensée, mais entre cette parole et la pensée supposée du tortionnaire. Dans ce calcul qu’on lui impose, le sujet n’a aucun intérêt à dire sa vérité, mais seulement à faire cesser l’intolérable en crachant ce qu’on veut lui faire dire.

Si la torture a été historiquement bannie des moyens recevables de la preuve, exclue des technologies légitimes pour l’établissement de la vérité judiciaire, ce n’est pas seulement en ce qu’elle s’est révélée contraire aux principes du droit, mais aussi en ce qu’elle est apparue comme antinomique avec les exigences d’un savoir probable. Juridiquement irrecevable, elle était aussi épistémologiquement viciée. Mais la torture, expulsée de la sphère judiciaire, a survécu. Elle a continué sa vie ailleurs, de façon plus ou moins clandestine, au service d’autres formes de la violence étatique. Devenue instrument de l’État colonial, puis arme de l’État sécuritaire, elle fut utilisée, suivant la terminologie officielle, à des fins de « renseignement ». Elle changea ainsi de fonction ; elle adopta un autre rapport au temps. Là où l’interrogatoire judiciaire s’orientait vers le passé en cherchant à établir une preuve de culpabilité, la torture-renseignement s’est tournée vers l’avenir afin d’en conjurer les menaces, car c’est bien lui qu’elle prétend désormais sonder à travers les chairs.

Mais le problème, têtu, a refait surface. Les mêmes raisons qui ont fait de la torture classique un pauvre moyen de preuve en font un piètre moyen de renseignement. Les auteurs du manuel KUBARK en ont du reste pleinement conscience : « La douleur extrême, écrivent-ils, est à peu près assurée de produire de fausses confessions forgées comme moyens pour échapper à la situation de détressenote. »

Les doutes sur l’efficacité de la torture ne forment donc pas seulement l’argument d’une critique externe, mobilisé par ses détracteurs, mais aussi et d’abord une réalité problématique pour ses agents eux-mêmes. Loin d’être dupes, ils se posent le problème. Dans un texte qui a visiblement inspiré les rédacteurs de ce manuel, un agent de la CIA que l’on ne connaît que sous le pseudonyme de Don Compos écrivait, en 1957 : « Abstraction faite des considérations morales et juridiques, la torture physique ou mentale extrême n’est pas un dispositif utile. Maltraiter le sujet est, d’un point de vue pratique, tout aussi à courte vue que de harasser un cheval de coups de fouet avant une course. Il est vrai que presque tout le monde finit par parler à force de pressions physiques, mais l’information que l’on obtient a peu de chance d’avoir la moindre valeur en termes de renseignement, sans compter que le sujet lui-même risque d’être rendu impropre à une exploitation ultérieure. La pression physique permettra le plus souvent d’arracher une confession, vraie ou fausse, mais ce que vise à obtenir un interrogatoire de renseignement, c’est un flux d’informations continunote. » Au-delà même de la question de la véracité, la torture dans ses formes classiques apparaît comme un moyen indigent de renseignement.

Si les spécialistes de la CIA se montrent si diserts sur les vices méthodologiques de la torture traditionnelle, c’est aussi parce qu’ils pensent – et là réside leur prétention théorique centrale – avoir réussi à élaborer une méthode d’interrogatoire coercitif qui surmonte les défauts structurels de l’ancien modèle.

Dans le schéma traditionnel de la torture-aveu, la violence est directement mise en balance avec la parole. C’est un chantage, sous forme d’alternative simple : soit tu parles, soit tu souffres. On prend le corps en otage pour contraindre directement la volonté de son propriétaire. Mais, pour KUBARK, la stratégie est différente : non plus contraindre immédiatement le sujet à lâcher ce qu’il ne veut pas dire, mais l’amener à lui faire vouloir le dire. Non pas desserrer les mâchoires par la force, mais travailler d’abord à autre chose : détériorer en amont, par un assaut sévère, systématique et persistant, les capacités de résistance du sujet. Corroder en quelque sorte le verrou de la volonté jusqu’à le faire se réduire en poussière, pour, une fois l’accès dégagé, achever de convertir les résistants lessivés en collaborateurs, et faire main basse sur leurs trésors avec leur assentiment. Les méthodes coercitives sont destinées à obtenir leur capitulation, et ceci de façon définitive. D’où aussi leur rôle transitoire : une fois le sujet brisé, sa parole coulera d’elle-même, sans qu’aucune violence ne soit plus nécessaire.

Dès lors, croient-ils, l’antinomie classique de la contrainte et de la véracité s’évapore. Voici par exemple ce qu’ils écrivent de l’hypnose, mais qui vaut à leurs yeux de façon plus générale pour tous les moyens coercitifs : « Il n’existe aucune méthode reconnue de manipulation qui garantisse la véracité. Mais si l’hypnose est employée comme un moyen de faire s’aligner volontairement le sujet sur l’interrogateur plutôt que comme un instrument permettant d’extraire la vérité, cette objection se dissipe d’elle-mêmenote. »

Douleurs auto-infligées

Hormis le fait que la coercition risque de fausser la parole du sujet, elle pose encore un autre type de problème. La pression qu’elle exerce tend, au moins dans un premier temps, à renforcer ses capacités de résistance. Les défenses se mobilisant face à l’adversité, comme l’écrivent les rédacteurs du manuel, « une douleur infligée de l’extérieur peut concentrer ou renforcer la volonté de résisternote ». Certes, mais quelle était l’alternative ? Pouvait-on briser un sujet sans violence directe ?

Ceux qui avaient cherché à expliquer l’efficacité des « méthodes de contrôle communistes » avaient montré que le recours à la violence physique n’était pas essentiel dans le processus de broyage des résistances subjectives. Ils avaient aussi et surtout mis en évidence la façon dont la douleur était le plus efficacement administrée : de manière détournée, oblique, indirecte. À pas de loup, en quelque sorte.

Le premier constat était que la menace de la violence comptait autant, voire davantage, que la douleur effective : « La peur sempiternelle de la violence dans l’esprit du prisonnier, notait Biderman, s’avère avoir joué un rôle important pour induire la soumissionnote. » C’est la crainte de la douleur qui compte, plus que la douleur elle-même. Tous les dompteurs le savent.

Le deuxième enseignement était que la façon la plus efficace de faire mal à quelqu’un consistait à lui sous-traiter cette tâche. Un procédé employé dans les geôles communistes avait tout particulièrement retenu l’attention : « Les prisonniers devaient rester debout, ou assis, dans la même position, pendant des périodes extrêmement longues, et, dans un cas extrême, nuit et jour pendant une semainenote. » Prolongées pendant des dizaines d’heures, ces « positions de stress » entraînent une douleur physique intense, mais le véritable principe de leur efficacité réside ailleurs : « Au-delà de ses effets physiologiques, ce type de torture crée un conflit psychologique. Lorsqu’on exige du prisonnier qu’il conserve une même position, cela suscite souvent en lui une volonté initiale de “tenir le coup”. Cet acte de résistance interne lui procure, au premier abord, un sentiment de supériorité morale. Avec le temps, à mesure que la douleur augmente, l’individu prend conscience que, dans une certaine mesure, c’est sa propre détermination à résister qui entraîne la perpétuation de la douleur. Se développe alors un conflit au sein même de l’individu entre sa détermination morale et son désir de s’effondrer afin que la douleur cesse. C’est ce conflit interne additionnel qui tend à rendre cette méthode de torture si efficace pour briser l’individunote. » Déjà isolé, le sujet s’enferme dans un combat autodestructeur avec lui-même, devenant alors son propre bourreau.

Cette méthode de la « douleur auto-infligée » contraste avec la logique de la torture physique traditionnelle : « Dans la situation de torture simple, celle de la technique des “échardes de bambounote” qui a si fortement marqué l’imagination populaire, précise Biderman, la confrontation met clairement aux prises l’individu et son tortionnaire. Pourra-t-il supporter la douleur au-delà du point jusqu’où l’interrogateur est prêt à aller pour la lui infliger ? La réponse, au goût de l’interrogateur, n’est que trop souvent positive. Mais lorsque la personne est sommée de rester debout pendant de longues heures, on introduit un nouveau facteur causal. La source immédiate de la douleur n’est pas l’interrogateur, mais la victime elle-même. La relation se déplace pour devenir, en quelque sorte, un combat de l’individu contre lui-même. L’individu est alors susceptible d’épuiser sa propre force de motivation dans cette compétition internenote. » Ce qui est dénié ici au torturé, c’est la possibilité même de se confronter à une volonté adverse. Privé d’ennemi identifiable, il ne peut plus diriger son hostilité que contre lui-même, dans un combat en forme de dilemme pratique qu’il est voué à perdre. L’antagonisme se trouve par là internalisé, en même temps qu’est délégué à la victime le rôle d’agent de sa propre douleur. C’est ce que Biderman appelle, dans une formule très suggestive, « l’enrôlement actif des énergies de la victime contre elle-mêmenote ».

Ce procédé retors était appelé à devenir l’une des armes de choix dans l’arsenal de la torture américaine. Employée conjointement avec l’isolement et avec la privation sensorielle, la « douleur auto-infligée » travaille à l’implosion de la personnalité des victimes. La cible est moins le corps que le sujet lui-même, dans ce qui le définit fondamentalement le mieux : sa capacité à persévérer et à ne pas se soumettre. Ce texte, avant d’être un manuel d’interrogatoire, est un manuel de dressage humain.

Comme le résume Alfred McCoy qui a étudié l’histoire des techniques de torture américaines dans leur continuité, de KUBARK jusqu’à Guantanamo :

Le paradigme psychologique de la CIA a fusionné deux nouvelles méthodes, celles de la “désorientation sensorielle” et de la “douleur auto-infligée”, qui, combinées, tendent à rendre les victimes responsables de leurs propres souffrances […]. Raffinée par des années de pratique, la méthode repose sur des procédures simples, voire banales – l’isolement, le fait de rester debout, dans la chaleur ou le froid, la lumière ou l’obscurité, le bruit ou le silence – enrôlées aux fins d’une attaque systématique contre tous les sens. La fusion de ces deux techniques, celles de la désorientation sensorielle et de la douleur auto-infligée, crée une synergie de traumatismes physiques et psychologiques dont la somme équivaut à un coup de massue porté sur les éléments constitutifs de l’identité personnelle.

Cette célèbre photographie d’un Irakien encapuchonné, debout sur une boîte, les bras écartés avec des fils attachés à ses mains, trahit l’usage de cette méthode clandestine. La cagoule correspond à la privation sensorielle et les bras étendus à la douleur auto-infligéenote.

REDÉFINIR LA TORTURE

Le grand avantage de ces méthodes est ne pas laisser de traces : ni bleus ni cicatrices. Les victimes n’auront, par la suite, une fois libérées, aucune preuve à exhiber pour attester de leurs mauvais traitements. L’absence de marques garantit aux autorités, via l’escamotage médico-légal des signes de la torture, la possibilité d’un déni plausible. Ce qui avait été trouvé là, c’était une forme subtile de violence : une violence invisible, évanescente, inconstatable. Bref : démocratique.

Lorsque les analystes américains découvrirent la chose chez l’ennemi, ils ne manquèrent pas d’en souligner l’hypocrisie fondamentale : « Les communistes ne considèrent pas ces agressions comme de la “torture”. Typiquement, ils se servent de ces méthodes afin de se conformer aux principes communistes officiels stipulant qu’“aucune force ou torture ne sera utilisée pour arracher des informations à des prisonniers”. Mais ces pratiques, bien sûr, constituent des actes de torture et de coercition physiquenote. » Ironie de l’histoire, plus d’un demi-siècle plus tard, il suffirait de remplacer ici le terme « communistes » par « démocraties tortionnaires » pour obtenir une description adéquate de la duplicité en vigueur en leur sein. Il s’agit, aujourd’hui comme hier, de pratiquer la torture tout en ménageant « l’adhésion formelle des interrogateurs à des normes perverties d’humanité et de légaliténote ».

L’escamotage de la violence

Mais ces procédés ont encore d’autres vertus politiques. Non seulement ils ne laissent pas de traces compromettantes sur les corps, mais ils ôtent aussi à leurs victimes la possibilité de témoigner de l’intensité de leur calvaire. Une fois mis en mots, les tourments qu’elles ont endurés paraîtront quasiment anodins, sans rien de spectaculairement terribles. Si l’on est, bien sûr, immédiatement révulsé par le récit d’une séance de brûlures à la cigarette, de tabassages ou de viols, on l’est plus difficilement peut-être par le compte rendu de longues heures passées debout contre un mur. Cela vaut encore aujourd’hui pour les témoignages de ces détenus de Bagram ou de Guantanamo, torturés par une écoute prolongée à plein volume de Saturday Night Fever des Bee Geesnote. La chose paraîtrait presque risible, tant le moyen, que l’on devine tout juste horripilant, semble bénin. Et pourtant.

Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que ce genre de réaction d’incrédulité amusée a été prévu, voulu par les tortionnaires. Cela fait partie du plan : prolonger la violence de la torture par son indicibilité, c’est-à-dire par la négation publique du vécu des victimes. Un colonel américain qui avait été soumis en Corée à l’ancêtre de ce genre de tortures no touch expliquait, en 1963, comment l’usage intensif de ces méthodes simples avait suffi à le plonger dans une réalité parallèle, « un monde de délire impossible à décrire », et concluait, amer : « Peut-être aurait-il mieux valu la torture physique, parce que les gens, au moins, comprennent de quoi il s’agitnote. »

Cette difficulté à dire et à être entendu illustre la force d’occultation de ces méthodes qui tendent, par l’ordinaire de leurs moyens, à rendre ineffable la violence subie. Outre qu’il n’y aura pas de preuves à montrer pour corroborer le récitnote, le témoignage lui-même sera incommunicable, dans sa signification même. Dans son vécu.

Indécelables et indicibles, ces procédés participent d’une stratégie organisée d’effacement de la violence tortionnaire. À l’opposé, la fonction d’une analyse critique est d’en restaurer l’appréhensibilité. C’est une tâche d’ordre philosophique : de quel concept de la torture avons-nous besoin pour contrer de telles manœuvres de dénégation ?

En 1971, des militants présumés de l’IRA avaient été soumis par les autorités britanniques à une série de traitements coercitifs dans lesquels le lecteur reconnaîtra l’esprit du présent manuel. Cinq techniques de base avaient été utilisées : 1) positions de stress et douleur auto-infligée ; 2) cagoule opaque placée en permanence sur la tête des détenus ; 3) exposition de longue durée à des sons à plein volume ; 4) privation de sommeil ; 5) privation de nourriture. À ce régime, certains prisonniers étaient devenus psychotiques au bout de vingt-quatre heuresnote.

Était-ce, oui ou non, de la torture ? La question de la définition devenait cruciale. Elle engageait un verdict et une condamnation. Problème judiciaire, problème politique. La Cour européenne des droits de l’homme fut saisie de la question. L’avis que formula à cette occasion l’un des magistrats, le juge Evrigenis, était d’une remarquable lucidité : la difficulté, expliquait-il, était de ne pas se laisser abuser par « une notion de torture fondée sur des méthodes destinées à infliger de la souffrance, alors que cette conception de la torture a aujourd’hui été dépassée par l’ingéniosité des techniques d’oppression modernes. La torture ne présuppose plus la violence […]. La torture peut être pratiquée – et est effectivement pratiquée – au moyen de techniques subtiles développées dans des laboratoires pluridisciplinaires et prétendument scientifiques. En utilisant de nouvelles formes de supplices qui n’ont que peu de choses en commun avec la douleur physique que suscite la torture classique, elle vise à produire, ne fût-ce que de façon temporaire, la désintégration de la personnalité d’un individu, l’effondrement de son équilibre mental et psychologique, l’écrasement de sa volonténote. » Ce qu’il faut parvenir à penser, c’est donc quelque chose d’aussi contre-intuitif qu’une « torture sans violence » ou – mais cela revient au même – un concept de violence qui n’implique pas la douleur ou les coups.

La question de la définition de la torture n’est pas scolaire, étroitement lexicographique, mais éminemment politique : selon ce que cette notion va ou non englober, les pratiques correspondantes seront permises ou bannies. En fonction de ce que nous laissons ou non amputer à l’extension sémantique de ce terme, notre sentiment d’horreur ou de répugnance, c’est-à-dire les conditions affectives de notre réception politique de telle ou telle pratique, seront déterminées, orientées dans un sens ou dans l’autrenote.

Les acceptions restreintes du mot « torture » correspondent souvent à des représentations courantes, mais erronées, des rapports entre violence physique et violence psychique. À y regarder de plus près, il n’est pas sûr que l’opposition entre torture physique et torture psychologique soit aussi tranchée qu’on le croit d’abord. Si la torture physique se signale immédiatement en ce qu’elle frappe le corps, elle fait par là nécessairement intrusion aussi dans la vie psychique du sujet. Inversement, les offensives les plus subtilement psychologiques ont des manifestations corporelles. Pas de coup à l’esprit qui ne se marque en retour sur le corps, sur la physionomie des agressés. L’homme est un tout, une unité psychosomatique où traumas physiques et blessures psychiques communiquent. En ce sens, quoique selon des répartitions à dominantes variables, la torture est toujours à la fois physique et psychiquenote.

Également problématique est la hiérarchisation implicite communément admise entre violence physique et violence psychique, la première étant généralement considérée comme plus grave et, partant, plus criminelle que la seconde. Comme le rappelle l’ONG Physicians for Human Rights, si « l’absence de marques physiques peut laisser penser que la torture psychologique est moins grave que la torture physique, ceux qui ont travaillé sur la question de la torture et de la réhabilitation des victimes s’accordent aujourd’hui pour dire que la torture psychologique peut se révéler plus cruelle et causer des dommages plus graves et plus durables que la douleur infligée lors de séances de torture physiquenote ». Contrairement à ce que voudrait nous laisser penser l’idéologie tortionnaire, il n’y a pas de « torture light ».

Définitions réductrices

En même temps qu’ils raffinaient leurs pratiques de torture afin de mieux les camoufler, les « États tortionnaires de droit » tâchaient aussi, à un autre niveau, de redéfinir la catégorie juridique de torture. Il s’agissait de faire jouer à plein une dissociation rhétorique entre la « vraie torture » – condamnable et volontiers condamnée – et d’autres formes, que l’on euphémisait par contraste afin de les rendre acceptables. Aux États-Unis, cette entreprise de toilettage légal, qui avait déjà connu ses heures de gloire sous l’administration Reagan, atteignit, sans surprise, son paroxysme pendant la « guerre à la terreur » : alors même que la panoplie coercitive était remise au goût du jour sous des formes modernisées, les juristes de l’administration Bush s’évertuèrent à redéfinir la notion de torture de façon que celle pratiquée par ses agents, par la magie d’un tour de passe-passe sémantique, n’en soit plus.

Plusieurs artifices définitionnels plus ou moins grotesques furent mobilisés à cette fin, au prix de prouesses sophistiques et de contorsions interprétatives parfois spectaculaires : restriction de l’acception de la torture à l’infliction de « douleurs extrêmes » entraînant des lésions organiques, comme si la torture ne pouvait être que physiquement traumatique ; subordination de la qualification de torture à la durabilité de ses effets, comme si un facteur aggravant pouvait être confondu, pour la qualification des faits, avec un critère nécessaire ; redéfinition de la torture par l’« intention spécifique » des tortionnaires, qui n’étaient à la rigueur qualifiables comme tels que si leurs actes étaient motivés par des fins de jouissance cruelle, comme si la raison d’État n’avait jamais été qu’une affaire de pur sadisme…

Sur le front des luttes pour la définition, la première stratégie mise en place par les États tortionnaires consiste à réserver le mot « torture » pour les cas de douleur physique, extrême, et directement infligée par un tiers. Ce qui revient à exclure à fois les douleurs prolongées mais de basse intensité, les souffrances psychiques et les cas de douleurs « auto-infligées » dont on a pourtant signalé l’importance dans le répertoire des pratiques contemporaines.

Une deuxième tactique réductionniste redéfinit la torture par la durabilité de ses effets. Dans une telle optique, n’est véritablement torture que celle qui laisse des traces – ce qui revient à ignorer délibérément que le souci des tortionnaires est au contraire en général, comme le dit la formule, de ne pas en laisser.

Le troisième piège réductionniste s’efforce de subordonner la qualification de torture à l’« intention spécifique » de ses agents. Pour qu’il y ait eu torture, on exige que les interrogateurs aient sciemment voulu causer des souffrances extrêmes ou entraîner des dommages prolongés. On exige que la douleur ait été leur fin principale, voire leur seul et unique but. Il suffira alors aux tortionnaires, pour s’exonérer de tout crime, de protester de leur bonne foi quant à leur ignorance des effets de leurs actes, ou de faire valoir que les souffrances infligées ne constituaient pas un but en soi, mais seulement des moyens pour un autre objectif – typiquement : obtenir des informations. L’intention déclarée du bourreau devient ainsi la pierre de touche des faits de torture, éclipsant l’expérience de la victime. La position opposée consiste à réaffirmer au contraire, quelle que soit l’intention spécifique du tortionnaire – « obtenir des renseignements », jouir d’une joie cruelle, ou encore exercer une punition ou une vengeance, voire les trois à la fois –, que c’est en tant qu’éprouvé et vécu par le torturé que l’acte voulu par l’autre constitue un fait de torture.

L’art de l’intolérable

Dans un contexte où l’on a appris à torturer sans toucher au corps, tout concept réducteur de la violence fait le jeu des bourreaux. Mais comment définir la torture si ni l’intensité de la douleur, ni la prégnance de ses effets, ni l’intentionnalité spécifique des tortionnaires ne peuvent être retenues comme des critères pertinents ? Pour essayer de formuler une définition englobante, non réductrice, du phénomène, je crois qu’il faut repartir de la situation de torture, de ses éléments constitutifs simples.

Ce qui distingue d’abord la torture en tant que situation de violence spécifique, c’est que la victime y est captive. Enfermé, attaché ou entravé – privé de sa liberté de mouvement –, le torturé est placé dans une position d’extrême vulnérabilité. Il est mis à la merci par un état de capture.

L’autre élément est que ce que le sujet endure lui est imposé contre sa volonté. Ce qu’il subit, son refus ne suffit pas à le faire cesser. Ce critère fondamental distingue la torture de phénomènes qui peuvent lui ressembler extérieurement, par leur décorum, sans être assimilables à elle – par exemple les mises en scène de type BDSMnote. Selon ce même critère, une pratique à l’origine librement consentie peut se muer en torture si elle perdure en dépit du rejet de la personne qui la subit.

Mais si l’on veut ensuite, ce cadre étant posé, déterminer selon des critères objectifs quels actes relèvent ou non spécifiquement de la torture, une autre difficulté se présente, qui tient à l’inventivité des tortionnaires contemporains, au fait qu’ils se sont rendus capables de détourner à peu près n’importe quelle pratique existante en instrument de torture – de la musique à la sexualité, en passant par la solitude ou le silence. À Guantanamo, les interrogateurs ont été secondés par des équipes de psychiatres spécialisés afin de concevoir « des facteurs de stress taillés sur mesure en fonction des vulnérabilités psychologiques et culturelles des individusnote ». Une fois identifiées, ces failles singulières – par exemple une phobie – peuvent être exploitées pour exercer une terreur ciblée. La difficulté conceptuelle correspondante tient aux exigences mêmes de la définition qui impliquent au contraire d’écarter les variations individuelles afin d’identifier les éléments communs aux différentes occurrences du phénomène. Plonger par exemple un individu dans une pièce grouillante d’araignées ou de vers, est-ce un acte de torture ? Cela dépend. La réponse est évidemment conditionnée au fait que cette personne y soit ou non phobique, et à quel degré. Moins que sa nature intrinsèque, c’est ici le type d’effet subjectif produit par le phénomène qui le qualifie comme torture.

Il me semble à partir de là nécessaire de réintroduire dans la définition de la torture ce que les formes contemporaines intègrent précisément elles-mêmes à leur pratique, à savoir la normativité de leurs victimes – la façon dont celles-ci vont, en elles-mêmes, subjectivement, éprouver ce qu’on leur fera. Même s’il est vrai que, dans leur écrasante majorité, les procédés de torture ne présentent pas un caractère d’extrême variabilité individuelle – s’ils produisent, autrement dit, en général à peu près les mêmes effets sur tout le monde –, il n’en reste pas moins que le fait de la torture s’éprouve toujours subjectivement, qu’il se manifeste toujours à l’aune de la normativité, plus ou moins originale, des sujets torturés.

C’est l’intolérable pour soi qui constitue la torture, et ce quel que soit le moyen de susciter cet intolérable. Le plus simple et le plus évident de ces moyens, sans doute aussi le plus universellement partagé, est la douleur, mais les moyens de l’intolérable sont loin de s’y réduire. Peut devenir procédé de torture tout moyen qui se révèle intolérable pour un sujet. D’où cette définition générale de la torture : torturer, c’est imposer à un sujet captif ce qui lui est intolérable.

Définir la torture de cette manière revient à placer au cœur de la définition la normativité du sujet torturé. C’est à lui et lui seul de déterminer l’intolérable et, sur ce point, sa parole et, avant elle, son affect sont souverains. Le principe est intangible : c’est au sujet qu’il revient d’éprouver et de déclarer, depuis sa perspective, ce qui lui est intolérable, et la situation de torture se noue précisément lorsque, en dépit de son rejet, l’intolérable persiste à lui être imposénote.

Cette première définition, compréhensive, de la torture, rien n’exclut ensuite de la compléter par une autre, extensive, c’est-à-dire fondée sur une énumération des cas existants. Le linguiste sud-américain Almerindo E. Ojeda s’est ainsi servi du répertoire des techniques coercitives exposé dans le manuel KUBARK pour établir une liste mise à jour des procédés de la torture psychologique contemporaine. Il trouve treize éléments de base : 1) l’isolement ; 2) la débilitation psychologique ; 3) la désorientation spatiale ; 4) la désorientation temporelle ; 5) la désorientation sensorielle ; 6) la privation sensorielle ; 7) le désespoir provoqué ; 8) l’assaut sensoriel (par exemple par sur-stimulation, comme dans le cas de la torture par son) ; 9) les menaces (dont les simulacres d’exécution) ; 10) les traitements bestiaux (où le sujet est ramené au rang d’animal) ; 11) les humiliations sexuelles et les viols ; 12) les profanations (forcer les victimes à assister ou à accomplir des actes de dégradation de ce qu’elles considèrent comme sacré) ; 13) la manipulation pharmacologiquenote.

L’idée qui sous-tend cette démarche de définition par « items » est que la torture psychologique procède essentiellement par combinaison de procédés et cumul des effets. Moins qu’un moyen isolé, ce sont le plus souvent les assauts conjoints de différentes techniques qui aboutissent à provoquer, chez le sujet, l’intolérable.

Cette double définition de la torture, compréhensive, par l’intolérable, et extensive, par la panoplie des armes en vigueur, fournit, selon nous, un instrument conceptuel utile pour s’opposer aux manœuvres de dénégation en cours.

« NOUS AVONS LES MOYENS DE VOUS FAIRE TAIRE »

Les rédacteurs de ce manuel avaient eu l’ambition, avec leur nouveau modèle, d’échapper aux contradictions structurelles de ce que nous avons appelé le paradoxe de l’inquisiteur. Avec plus d’un demi-siècle de recul, on peut dire que leur prétention a fait long feu. Tel est du moins le bilan que tirent aujourd’hui, au sein même de l’appareil d’État américain, d’éminents spécialistes du renseignement.

Contre les conclusions hâtives du manuel KUBARK, l’interrogateur Steven M. Kleinman rappelle ainsi que « la communauté scientifique n’a jamais établi que les méthodes d’interrogatoire coercitif constituaient un moyen efficace pour obtenir des informations fiables en matière de renseignement. Au fond, poursuit-il, cette thèse repose sur le présupposé infondé selon lequel “soumettre” la cible équivaudrait à la faire “coopérer de façon significative” (c’est-à-dire de façon à obtenir d’elle des informations précises, pertinentes et présentant une valeur potentielle dans une perspective de renseignement)note ».

Aux procédés de coercition, Kleinman oppose les méthodes dites de rapport building, visant à établir une relation, un accord opérationnel avec la source afin d’obtenir sa coopération active. Une approche explicitement référée aux principes de l’interrogateur nazi Hans Scharff, qui se faisait fort de faire parler les sujets sans recourir à la torture, uniquement par un jeu de subtiles manipulations interpersonnellesnote. Kleinman, qui cite aussi le psychologue Robert Cialdini et ses travaux sur la psychosociologie de la persuasion, insiste sur l’efficacité éprouvée de ces techniques d’influence, communes à l’interrogatoire policier et à certaines branches du renseignement, mais aussi aux techniques de vente ou à l’art de la négociation.

Les ratés de l’administration Bush

Cette efficacité est selon lui à mettre en regard des spectaculaires fiascos qui ont marqué le recours intensif aux méthodes coercitives par l’administration Bush après le 11 Septembre. Kleinman explique que ce revival de la torture fut le fruit d’un partenariat improvisé entre des spécialistes des formations « SERE » ordinairement chargés des stages d’« inoculation du stress » à destination du personnel des forces arméesnote et de petites équipes de psychiatres militaires qui reçurent ensemble la mission d’adapter les principes classiques de la torture psychologique américaine aux vulnérabilités spécifiques de l’« esprit arabe ». L’Arabe, avaient-ils lu quelque part, possède naturellement une intense aversion culturelle pour l’« impureté de la femme au moment des règlesnote ». Ils en déduisirent l’invention suivante : des femmes soldats pourraient leur verser un simulacre de sang menstruel sur la tête afin de les humilier de façon décisivenote. De même pour l’homosexualité : le musulman ayant, comme chacun sait, le monopole de l’hétérosexualité la plus arriérée, on lui fera regarder des pornos gays et se vautrer nu sur ses camarades. La tâche de redéfinir une méthode d’interrogatoire coercitif appropriée à ces nouveaux ennemis avait en somme été confiée aux responsables en chef du bizutage militaire dans sa version hard, avec, pour tout équipement intellectuel, des manuels de torture psychologique inspirés des méthodes du KGB des années 1950 à peine revisités par une anthropologie de bazar matinée de gender studies pour les nulsnote. Outre que cela fut d’une efficacité opérationnelle à peu près inexistante au plan du renseignement, l’entreprise se solda par le désastre public que l’on connaît, avec la publication des photographies d’humiliations sexuelles et autres joyeusetés commises entre les murs de la sinistre prison d’Abou Ghraib. L’expérience montra que l’« opinion publique occidentale », quoique réputée culturellement différente au niveau de l’anthropologie, fut universellement choquée par les images de ces séances pourtant civilisationnellement ciblées.

Ironiquement, les « succès » montés en épingle par l’administration Bush pour illustrer l’efficacité de méthodes telles que le waterboardingnote ne tardèrent pas à se révéler de parfaits contre-exemples. En 2004, Dick Cheney n’avait rien trouvé de mieux que de brandir les « aveux » d’un détenu de Guantanamo prouvant un lien de collaboration directe entre Saddam Hussein et Al-Qaeda sur le dossier des armes de destruction massivenote. Comme l’a ensuite confirmé l’ancien chef de cabinet de Colin Powell, l’intensification de la torture à cette période ne s’expliquait pas par un souci de « prévenir une autre attaque terroriste sur les États-Unis, mais de découvrir une preuve flagrante du lien entre Al-Qaeda et l’Iraknote ». Les interrogateurs, sur le « terrain », avaient reçu pour consigne de faire expectorer coûte que coûte à leurs prisonniers des confirmations de la vérité officielle – ou plutôt, mais c’est la même chose, du mensonge d’État qui allait servir à justifier la guerre suivante. De sorte que le recours à la torture-aveu remplissait en somme tranquillement sa fonction habituelle, parfaitement classique dans l’histoire des institutions inquisitoriales.

Mais il faut ajouter que, dans un tel contexte, critiquer la non-adéquation des moyens employés aux fins alléguées, selon la maxime, mille fois répétée, que « la torture ne marche pas », est très insuffisant. La faiblesse de la critique pragmatique de la torture tient à ce qu’elle reconduit le présupposé central de la rhétorique justificatrice adverse, qu’elle croit ou feint de croire que le but de la torture est bien le « renseignement ». Or, en deçà de la pertinence des moyens, il faut aussi s’interroger sur la réalité des fins. Car il y a sinon une énigme : si la torture, y compris sous ses formes les plus modernisées, échoue régulièrement à produire des renseignements fiables, et que ses commanditaires et ses agents ne sont pas loin d’en avoir conscience, comment expliquer sa persistance ? Stupidité institutionnelle et cruauté individuelle sont bien sûr des facteurs que l’on aurait toujours tort de sous-estimer en politique, mais ne suffisent pas à fournir une explication satisfaisante.

Une question de pouvoir

Reprocher à la torture d’être inefficace, mauvaise questionneuse ou piètre épistémologue, c’est peut-être lui faire encore trop de crédit, continuer d’une certaine manière à la prendre trop au sérieux – à la fois trop et pas assez. Pour saisir sa visée effective, il faut, je crois, commencer au contraire par défaire le lien établi entre torture et vérité. Cesser de croire sur parole ce que nous ont répété les tortionnaires jusqu’ici, et que la critique pragmatique de la torture laisse ininterrogé, à savoir qu’ils seraient au fond des praticiens – certes brutaux, mais seulement par nécessité – de la vérité.

Or ce lien entre torture et vérité, qui n’a peut-être jamais existé ailleurs que dans la rhétorique des bourreaux, la généalogie du manuel KUBARK le défait radicalement. Soutirer la vérité n’était qu’une fonction secondaire – et, on l’a vu, problématique – de ces techniques initialement conçues pour manipuler le sujet, pour le remodeler, dans le sens de sa complète soumission, à partir de son affaiblissement radical. La fonction originaire de ces procédés hérités du mythe du lavage de cerveau n’est pas de faire s’exprimer une parole vraie, mais d’agir sur des sujets pour les briser. Une question non pas de connaissance vraie, mais de pouvoir efficace.

Non seulement la torture n’est pas la source principale, ni la plus riche ni la plus fiable de renseignement humain, mais sa fonction tactique, sa vertu militaire propre ne tient pas non plus à sa puissance informative. Ce qu’elle sert avant tout à apprendre en pratique, ce sont des noms et des adresses – autrement dit, les conditions nécessaires à sa propre reproduction, de proche en proche, suivant les maillons d’une longue chaîne de la dénonciation.

Sur ce point, l’historiographie critique de la torture, tout comme la clinique des victimes, sont aujourd’hui parvenues à des conclusions claires. Comme le rappelle la psychothérapeute Françoise Sironi, « le but majeur de la torture n’est pas la recherche du renseignement. L’intention première de la torture est de briser les résistants au système et de terroriser la population entièrenote ».

Elle poursuit : « Contrairement aux idées reçues, le but réel de la torture mise en œuvre par le bourreau n’est assurément pas de faire parler, contrairement à ce qu’il peut prétendre, lui aussi. En fait, si l’on torture c’est pour faire tairenote. » C’est cela le secret des tortionnaires, le mieux gardé de leurs secrets. Il concerne non pas leurs moyens, mais leurs fins. Pour énoncer le véritable mot d’ordre de la torture, il faut en renverser diamétralement la maxime de façade : ce n’est pas « Nous avons les moyens de vous faire parler », mais bien plutôt : « Nous avons les moyens de vous faire taire. » Ne croyez pas qu’ils veulent votre vérité ; ils veulent votre destruction.

Sironi cite aussi cette phrase, prononcée par des tortionnaires et rapportée par un patient : « Si tu parles, nous recommenceronsnote. » Le postulat de la torture-vérité est dangereux, car il est susceptible, en faussant la perspective de ceux qui y sont soumis, de les laisser intellectuellement désarmés face à l’intentionnalité des systèmes tortionnaires. Or se rendre incompréhensible, priver les victimes des moyens intellectuels de comprendre ce qu’on leur veut est l’une des clés de ce type de pouvoirnote.

Mais KUBARK vend la mèche. C’est là tout l’intérêt critique de cette publication : exposer, en pleine lumière, la théorie des bourreaux alors même que la torture tire en partie sa force du fait de dérober à ses victimes le sens et la cohérence de ce qu’elle leur fait subir. Élucider les principes qui animent les stratégies à l’œuvre ne suffit certes pas à en annuler les effets, mais c’est là sans doute l’une des premières conditions pour pouvoir y résister ou y survivre : saisir précisément ce que les tortionnaires cherchent à rendre insaisissable, à savoir leur intentionnalité.

STRATÉGIES DE POUVOIR

De ce manuel de torture, on pourrait dire un peu la même chose que ce que Michel Foucault disait de la prison en tant qu’objet d’étude. Il y voyait un cas de « forme de pouvoir où le pouvoir se montre de la façon la plus manifeste, […] la plus délirante qu’on puisse imaginernote ». L’intérêt de ce type de texte est de livrer, avec une puérilité navrante doublée d’un cynisme absolu, des petits concentrés de pouvoir : des formes exagérées, extrêmes, qui exposent leurs principes grossiers dans un violent mélange de franchise et de stupidité. Effet d’hyperbole et de schématisation.

L’espoir, en analysant ces objets spécifiques, est aussi de parvenir à y déceler, indirectement, des stratégies de pouvoir à portée plus générale, exposées là sous forme épurée et de ce fait plus facilement discernables, mais que l’on retrouvera ailleurs, de façon peut-être plus diffuse, à des échelles différentes et dans d’autres sphères. La perspective est alors de faire un usage détourné de ce manuel, en le lisant, malgré lui et au-delà de lui, comme un petit index de stratégies contemporaines de pouvoir.

Dans La Stratégie du choc, Naomi Klein part de l’un des préceptes exposés par KUBARK, le « choc de la capture » – selon lequel la brutalité de l’arrestation permet de plonger le sujet dans un état de sidération qui affaiblit ses défenses –, pour en faire le paradigme d’un procédé politique plus général. Son hypothèse est que le même genre de stratégie joue parfois à l’échelle des sociétés. Des gouvernants soucieux d’imposer des mesures offensives, telles que des plans de libéralisation massive, procèdent de même : provoquer une secousse violente en prélude à un assaut rapide, afin de mettre à profit une paralysie temporaire des capacités de résistance sociale.

On pourrait repérer, à partir de ce texte, un certain nombre d’autres grands principes stratégiques similaires, qui pourraient chacun faire l’objet d’enquêtes spécifiques. Parmi eux, un principe de confusion, un principe de rétrécissement du monde et un principe d’autoprédation.

La stratégie d’Alice

Premier principe, première stratégie exportable : la désorientation ou la confusion, ce que KUBARK appelle aussi la méthode d’Alice au pays des merveilles. Son objectif est simple : « Bouleverser les attentes et les réactions conditionnées de la personne interrogée. Elle est habituée à un monde qui fait sens, tout au moins pour elle ; un monde de continuité et de logique, prévisible. Et elle s’y cramponne pour préserver son identité et sa capacité de résistancenote. »

Dans l’espace clos de la détention, l’entreprise de déstabilisation passe d’abord par une perturbation systématique des régularités temporelles : horloges trafiquées, qui avancent puis retardent, horaires irréguliers, nuits à géométrie variable… Le contrôle total de l’environnement du détenu permet aux interrogateurs, devenus maîtres de l’espace et du temps, de s’attaquer à la texture même du réel, d’en détraquer les rythmes et les pulsations habituels afin de plonger le sujet dans un état de désorientation complète, l’équivalent d’une sorte de jet-lag permanent. Les formes de la sensibilité se disloquent et le monde sort de ses gonds.

Mais cette stratégie de dissolution des cadres d’appréhension du monde se prolonge aussi dans la sphère du discours et des interactions sociales. Il s’agit alors de priver la cible de ses repères logiques et sémantiques ordinaires : la bombarder de questions absurdes et incohérentes, lui faire des demandes contradictoires et farfelues, prendre un ton de voix qui dément la teneur des propos tenus… « Dans cette atmosphère déconcertante, elle comprend rapidement que le type de discours et de pensée qu’elle a toujours considéré comme normal a été remplacé par un étrange et inquiétant non-sens. […] Mais, à mesure que le processus se poursuit, sur plusieurs jours si nécessaire, la source va s’ingénier à donner du sens à une situation devenue mentalement insupportablenote. »

La stratégie confusionniste prend appui sur la tendance « herméneutique » du sujet : l’élan spontané qui le pousse à faire sens de ce qu’on lui dit. Le risque est évidemment pour lui de s’épuiser dans une tâche d’interprétation sans fin. La stratégie d’Alice procède donc non seulement par désorientation du sujet, mais aussi par saturation de sa puissance interprétative. Face aux non-sens dont on l’inonde, le faire s’égarer jusqu’à la folie dans une spirale d’hypothèses interprétatives aussi vaines qu’infinies. Le laisser désespérément chercher à comprendre là où il n’y a en réalité rien d’autre à comprendre que le fait qu’il n’y a rien à comprendre.

On retrouve ce type de démarche dans les procédés de confusion aujourd’hui massivement mobilisés par la parole politique : dire tout et le contraire de tout, quitte à accoupler sans cesse dans sa bouche des références inconciliables tout en jouissant secrètement des réactions de perplexité que l’on suscite ainsi que des trésors d’inventivité déployés par les commentateurs afin de découvrir le principe de cohérence, la logique secrète qui peut bien commander un tel flot d’absurdités dissonantes. Le secret est qu’il n’y en a pas. Le sens de tels énoncés réside non pas dans un éventuel signifié caché, mais uniquement dans leur fonction tactique de parasitage et de saturation des capacités intellectuelles et politiques des destinataires.

Le principe de rétrécissement du monde

Deuxième stratégie : celle du rétrécissement ou de la miniaturisation du monde. L’un des principes essentiels de ce manuel est, on l’a vu, d’isoler le sujet. La mise à l’isolement commence par la confiscation de tous les effets personnels, parce que ceux-ci sont autant de « symboles de sa vie passée qui peuvent être une source de force morale pour luinote ». Ce que nous sommes, nous le sommes par ce qui nous relie au monde et aux autres. Nos capacités de résistance, de persévérance, notre force de perpétuation dépendent de ce lien, de nos capacités à être affectés par le monde et autrui. Les auteurs du manuel le savent, et leur premier souci est de produire des individus désaffiliés, isolés des liens qui les constituent. Le sentiment de cette séparation doit être intensifié, par tous les moyens, de sorte que le prisonnier en vienne à se persuader qu’il « est coupé de toutes forces amies capables de le soutenir. Si c’est le cas, il devient lui-même sa seule planche de “salut”note ».

Mais on ne veut pas seulement le couper du monde. On lui en recrée aussi un autre à la place : un monde factice, miniature, qui doit se substituer à l’ancien. Un petit monde infernal et glauque, un théâtre d’ombres dans lequel on l’invite à jouer son rôle afin de mieux oublier qui il est : « À mesure que l’ambiance et les repères du monde extérieur se font plus lointains, leur importance pour la personne interrogée se réduit. Ce monde est alors remplacé par la salle d’interrogatoire, ses deux occupants et la relation dynamique qui s’instaure entre eux. Et au fil de la progression du processus, le sujet se fonde de plus en plus sur les valeurs du monde de l’interrogatoire, plutôt que sur celles du monde extérieurnote. » C’est ce que les auteurs appellent « la substitution du monde de l’interrogatoire au monde extérieurnote ». Le monde du dehors s’efface et la vie s’étiole pour se mettre aux normes d’un micro-monde, un « petit monde comptant deux habitantsnote », un huis clos en tête à tête entre quatre murs. Principe de rapetissement et de rabougrissement du monde.

L’Australien David Hicks, après des mois passés à Guantanamo, finit par écrire à ses parents : « J’en suis arrivé à un point où je suis totalement confus, complètement perdu – dépassé, si vous voulez […]. Mon monde tout entier est devenu cette petite pièce et tout le reste n’est plus qu’un écho. Je vous aime, Davidnote. »

Priver le sujet de monde ne signifie pas seulement le couper matériellement de son univers familier et de ses proches, mais aussi de tout horizon de conscience plus vaste, à la fois géographique et historique, affectif et politique : miniaturiser l’espace du pensable et, par voie de conséquence, aussi celui du réel. Lorsque les parois se rapprochent, lorsque le périmètre de conscience s’amenuise, des éléments autrement insignifiants peuvent prendre des proportions immenses. C’est aussi là le mode d’action de l’angoisse – ce qui explique son rôle crucial dans l’exercice de la domination. Lorsque le champ de vision se réduit, s’enclenchent des effets de grossissement, de disproportion de l’importance des choses. Les sujets ne se persuadent jamais davantage de l’omnipotence de leurs maîtres que lorsqu’ils se mettent à penser le monde à l’échelle de la maquette à taille réduite qui a été construite pour eux.

Fabriquer des individus esseulés ou recroquevillés dans de petits mondes aux préoccupations à la fois vitales et mesquines, tout entières accaparées par des nécessités matérielles ; faire s’enfermer mentalement les sujets dans des univers à quelques personnages, dont les micro-drames éclipsent ceux du monde véritable ; nous faire nous taper la tête contre les murs d’existences trop étriquées ; nous faire restreindre notre espace de pensée, de vie et de désir à celui de petites sphères qui nous prennent au jeu de leurs problèmes grossis à la loupe, de leurs vains rapports de forces ou de leurs fixations obsessionnelles dérisoires – voilà autant de phénomènes familiers qui correspondent, hors les murs, dans la sphère de la vie sociale ordinaire, au principe du rapetissement du monde exposé par KUBARK. Ce que nous apprend ce texte, c’est que capturer des sujets dans des micro-mondes est l’un des moyens les plus efficaces pour éroder leurs capacités de résistance, qui, elles, ont par contraste toujours à voir avec la persistance, en chacun de nous, de l’horizon d’un monde commun.

La stratégie d’autoprédation

Troisième principe stratégique : l’autoprédation, qui correspond au procédé, déjà évoqué, de l’autodouleur où l’on retourne le sujet contre lui-même « jusqu’à finalement en faire l’agent de sa propre défaitenote ».

Il n’y a de résistance possible que face à un oppresseur repérable. Pour qui veut supprimer la résistance, la solution la plus simple est encore de faire disparaître l’oppresseur, de le rendre introuvable. Le pari est alors que la lutte, ne se trouvant plus de cible, se retournera contre elle-même. Ce que théorise KUBARK, c’est l’enrôlement actif du sujet contre lui-même : replier le sujet sur lui-même afin d’en faire l’agent de ses propres tourments, le bourreau de soi-même. On lui demandera alors, sur un ton plein de fausse sollicitude : « Mais pourquoi donc te fais-tu ça à toi-même ? » Culpabilisation et autoprédation marchent de pair.

Ces procédés sont troublants car ils s’attaquent aux formations subjectives par l’approfondissement des principes mêmes de la subjectivité. Radicalisez la subjectivité, poussez-la à son comble et vous détruirez les sujets : un individu absolument individuel, privé du monde et d’autrui, perd la possibilité de s’individuer et se dissout ; un sujet rendu perversement autonome, replié sur lui-même dans une circularité parfaite de l’agent et du patient, du bourreau et de la victime, tend de même à imploser de l’intérieur.

Les savants-tortionnaires américains des années 1950 ont retrouvé là, par leurs propres moyens, une subtile vérité philosophique. La meilleure arme contre la subjectivité est la subjectivité elle-même, capturée dans sa réflexivité. Dans un texte de 1888, Nietzsche faisait le portrait d’un Zarathoustra déchu, jadis « chasseur de dieux », désormais devenu pour lui-même sa propre proie, figure de la conscience autophage, prise dans sa propre toile :

Aujourd’hui –
harcelé par toi-même,
ta propre proie,
blessé par ta propre flèche…

Aujourd’hui –
solitaire avec toi-même,
en désaccord avec ton propre savoir,
au milieu de cent miroirs […]
étranglé par tes propres lacs,
connaisseur de toi-même !
bourreau de toi-mêmenote !

De cette découverte philosophique originale, selon laquelle la réflexivité peut se muer en autoprédation dévorante, les apprentis tortionnaires avaient trouvé l’équivalent pratique. Sans le savoir, ils réalisaient techniquement ce que Nietzsche avait deviné philosophiquement. Leur projet conscient était de recruter le soi, la subjectivité, pour en faire le pivot fondamental d’une technologie de pouvoir qui soumettrait les sujets en les faisant s’autodétruire.

De façon plus générale, on reconnaît ici le principe fondamental commun à toutes les stratégies d’autodomination, qui transfèrent aux oppressés la tâche d’autogérer leur oppression. Celles-ci ont aujourd’hui pris une place centrale dans les formes de domination : devenez entrepreneurs de vous-mêmes, soyez votre propre patron, votre propre maître et votre propre contremaître. Vous serez alors les agents actifs, les seuls identifiables, et par conséquent les seuls responsables de votre propre servitude.

Esquisse pour un contre-manuel

Mais une autre question se pose aussi, peut-être, en chacun de nous, à la lecture d’un tel texte comme d’ailleurs à celle de tout récit de torture. Et nous, comment réagirions-nous ? Serions-nous capables de résister ? La question est fictive. Elle se prolonge cependant par une interrogation plus vaste, qui ouvre tout un autre champ d’investigations : si les tortionnaires ont produit une doctrine de l’annihilation des capacités de résistance, quels seraient les principes d’une théorie opposée ? Où sont les antidotes ? La tâche, à partir de là, serait la rédaction d’une sorte d’anti-manuel, la confection d’une méthodologie de la résistance. Un chantier immense, que l’on ne peut ici qu’esquisser de façon fragmentaire.

Les matériaux pour le faire, on les trouverait surtout dans l’expérience ou le témoignage des victimes. Lorsque les Américains entendirent tester in vivo, en 1971, au Vietnam, l’efficacité de leurs nouvelles méthodes de torture sur la personne d’un résistant ennemi, Nguyen Van Tai, ils lui firent construire un espace ad hoc : une « cellule particulière et une chambre d’interrogatoire, toutes les deux complètement blanches, un espace totalement nu, hormis une table, une chaise, un trou percé pour les toilettes, avec des caméras de surveillance et des micros omniprésents pour pouvoir enregistrer tous ses faits et gestes, qu’il dorme ou qu’il veillenote ».

Enfermé et torturé trois ans dans ce cube sans fenêtres que ses tortionnaires avaient baptisé sa « cellule blanche-neigenote », Tai parvint cependant à tenir bon. Pour résister aux assauts de la torture psychologique, il organisa, de façon méthodique et obstinée, de petits contre-poisons quotidiens : « En fin de compte, explique Otterman, Tai réussit à battre en brèche les méthodes de KUBARK en restant physiquement et mentalement actif. Il se réveillait automatiquement tous les jours à 6 heures du matin. Il récitait alors en silence les paroles de l’hymne national nord-vietnamien, effectuait des séries d’exercices physiques, composait des poèmes et des chansons dans sa tête, et saluait une étoile qu’il avait grattée sur son mur pour représenter le drapeau nord-vietnamien. Il répétait cette routine toute la journée, puis à 10 heures, tous les soirs, il se mettait au litnote. » Les rituels de cette petite discipline personnelle jouaient un rôle de contre-stimulation interne. On peut les interpréter comme autant de techniques de contre-conditionnement, mises en œuvre par le sujet lui-même, en réponse au conditionnement externe que l’on essayait de lui faire subir. Il s’efforçait de préserver vivant, par l’exercice quotidien d’une mémoire et d’une créativité muettes, les dimensions d’un monde intérieur. Mais ce monde en lui était aussi un monde hors de lui : celui de la cause et des camarades, celui de la poésie et du chant, celui de la lutte et de l’histoire. Entretenir le souvenir de la conscience du monde était indispensable pour ne pas se laisser enfermer, mentalement aussi, dans le cube blanc que les « interrogateurs » avaient assigné à son existence.

Les méthodes de KUBARK ne peuvent en effet réussir que si les tortionnaires parviennent à miniaturiser complètement la vie du sujet, à la réduire effectivement aux conditions raréfiées d’un environnement contrôlé. Or il y a fondamentalement deux cas de figure où cette tentative est mise en échec, soit par défaut, soit par excès. Par défaut, c’est l’apathie : la victime ne réagit plus à rien, et c’est le risque que les interrogateurs sont parfois soucieux d’éviter, car ils savent qu’il n’y aura alors plus rien à en tirer. Résistance par excès, dans les cas où, comme Tai, le sujet parvient au contraire à préserver en lui, par un travail persévérant sur lui-même, l’horizon d’une histoire et d’un monde irréductibles aux micro-conditions de son isolement tortionnaire.

À quelle échelle l’on parvient encore à penser sa vie, c’est, de façon plus générale, l’une des questions cruciales pour la sauvegarde des capacités de résistance. Il faudrait reprendre chaque précepte de ce manuel et lui opposer un contre-principe. Là où KUBARK fonde son efficacité sur l’isolement, multiplier les liens et les garder présents. Là où KUBARK veut rétrécir l’horizon du monde, conserver la conscience d’un univers. Là où KUBARK se dérobe pour rendre le combat impossible, ne pas retourner l’hostilité contre soi-même. Ne pas se laisser engluer dans les petits mondes. Ne jamais devenir les bourreaux de nous-mêmes.

NOTE DES TRADUCTEURS

Le texte original du manuel KUBARK est truffé de fautes d’orthographe, de grammaire et de construction syntaxique. Par égard pour le lecteur, nous avons choisi de corriger ces erreurs sans les indiquer.

Nous avons également choisi d’atténuer le caractère « bureaucratique » du texte pour en faciliter la lecture, notamment en ce qui concerne les répétitions omniprésentes et les constructions de phrases bancales ou interminables. Il ne s’agissait évidemment pas de donner un cachet littéraire à un texte écrit par des tortionnaires analphabètes, mais d’en permettre une lecture moins heurtée, tout en conservant la tonalité générale.

Par ailleurs, quelques fragments ont été effacés à même le manuscrit après sa rédaction, a priori pour des raisons de confidentialité. Ces coupes de tailles diverses – d’un mot à une vingtaine de lignes – sont indiquées aux passages concernés par le symbole xxxxx xxxxx. Elles nuisent parfois à la bonne compréhension du texte.

I. INTRODUCTION

A. FINALITÉ

Ce manuel n’apprendra à personne comment être, ou devenir, un bon interrogateur. Il peut, au mieux, aider le lecteur à éviter les erreurs classiques des mauvais interrogateurs.

Ce manuel vise à fournir des conseils aux agents de KUBARKnote pour la conduite de leurs interrogatoires, en particulier dans le cadre du contre-renseignement et en ce qui concerne des sources résistantes. Conçu comme un aide-mémoire destiné aux interrogateurs et à tout personnel directement impliqué dans les opérations, il se fonde très largement sur des travaux de recherche et sur des sources publiées, dont des travaux scientifiques menés par des spécialistes dans des champs connexes.

Nul mystère dans l’interrogatoire. Il s’agit simplement d’obtenir les informations souhaitées via des réponses aux questions posées. Comme tous les artisans, certains interrogateurs se révèlent plus habiles que d’autres. Il se peut que cette supériorité soit en partie innée, mais un bon interrogatoire repose d’abord sur la maîtrise des principes du genre, qui sont essentiellement psychologiques et faciles à comprendre. La réussite des interrogateurs efficaces tient en grande partie au fait qu’ils suivent – consciemment ou non – ces préceptes, ainsi que les procédés et techniques qui en découlent. Maîtriser son sujet et connaître les principes de base ne suffit pas à garantir le succès, mais cela permet d’éviter les erreurs caractéristiques des mauvais interrogatoires. L’objectif n’est donc pas d’enseigner au lecteur comment se comporte un bon interrogateur, mais plutôt de lui indiquer ce qu’il lui reste à apprendre pour le devenir.

L’interrogatoire d’une source résistante appartenant à un service de sécurité ou de renseignement adverse (qu’elle soit membre du personnel administratif ou agent de terrain), ou bien à une organisation communiste clandestine, exige un grand professionnalisme. Si la balance penche a priori plutôt du côté de l’interrogateur, l’entraînement, l’expérience, la patience et la résistance de la personne interrogée peuvent rapidement lui faire perdre la main. Il lui faut donc user de tous les moyens à sa disposition. Parmi ceux-ci, les découvertes scientifiques tiennent aujourd’hui une place de choix. Un service de renseignement usant de méthodes modernes et appropriées possède un énorme avantage sur des services adverses qui en seraient restés, pour la conduite de leurs affaires clandestines, à des techniques dignes du XVIIIe  siècle. Il est vrai que les psychologues américains se sont davantage intéressés aux techniques d’interrogatoire communistes – tout particulièrement le « lavage de cerveau » – qu’aux pratiques américaines. Mais ils ont cependant mené des recherches scientifiques sur de nombreux sujets étroitement liés à ces dernières : les effets de l’épuisement et de l’isolement, les détecteurs de mensonges, les réactions à la douleur et à la peur, l’hypnose et l’hypersuggestibilité, l’effet des narcotiques, etc. Ces travaux présentent une importance et un intérêt tels qu’il n’est plus possible de se pencher sérieusement sur la pratique de l’interrogatoire sans se référer aux recherches menées en psychologie ces dix dernières années. L’un des principaux objectifs de cette étude consiste donc à appliquer ces conclusions scientifiques à la pratique des interrogatoires de contre-renseignement. Nous avons essayé de nous y référer en reformulant avec nos propres mots la terminologie employée par les psychologues.

Mais cette étude ne se réduit pas à un résumé et à une interprétation de découvertes psychologiques. L’approche des psychologues est généralement fondée sur la manipulation : ils suggèrent des méthodes pour imposer, de l’extérieur, un contrôle ou un effet d’altération sur les personnes interrogées. Si l’on excepte le cadre de référence communiste, ils n’ont que peu réfléchi au moyen d’induire un contrôle interne – c’est-à-dire de transformer la source elle-même afin de l’amener à coopérer volontairement. Toute considération morale mise à part, il faut rappeler que l’utilisation de techniques de manipulation externes implique un risque sérieux de poursuites, de mauvaise publicité, et d’autres retours de bâton potentiels.

B. ORGANISATION DE L’ÉTUDE

Cette étude, qui traite tout d’abord du thème de l’interrogatoire en général, considéré en lui-même (chapitres i à vi), se penche ensuite sur la façon d’organiser un interrogatoire de contre-renseignement (chapitre vii), puis sur l’interrogatoire de sources résistantes en contexte de contre-renseignement (chapitres viii, ix et x). Certains de ces éléments valent pour toutes les formes d’interrogatoire : les définitions des termes, les considérations juridiques et les passages concernant les interrogateurs et les sources, de même que le chapitre vi consacré aux repérages et autres opérations préliminaires. Une fois établi que la source est effectivement une cible probable du contre-renseignement (en d’autres termes : un membre d’un service d’espionnage ou de sécurité étranger, un communiste ou un partisan de tout autre groupe engagé dans des activités clandestines menaçant la sécurité nationale), l’interrogatoire est planifié et mené en conséquence. Les techniques d’interrogatoire de contre-renseignement sont présentées par ordre d’intensité croissante, celle-ci augmentant à mesure que l’étau se resserre sur la résistance de la source. Le dernier chapitre, qui dresse la liste des choses à faire et à éviter, renoue avec l’approche plus générale des premiers chapitres ; cet aide-mémoire est renvoyé par commodité à la fin de l’ouvrage.

II. DÉFINITIONS

La plupart des mots qui pouvaient présenter des ambiguïtés dans la terminologie du renseignement ont été clarifiés par l’usage ou par des instructions de KUBARK. C’est pourquoi nous n’avons pas jugé nécessaire de définir des notions telles que burn noticenote, transfuge, déserteur ou réfugiénote. Nous avons en revanche intégré d’autres définitions, bien que le contexte suffise généralement à clarifier le sens des mots.

Bonne foi : preuve ou information fiable sur l’identité, l’histoire personnelle (y compris au sein du renseignement) et les intentions ou la sincérité d’une source.

Contrôle : capacité à diriger, altérer ou faire cesser un comportement par l’insinuation, la mention ou l’usage de méthodes psychologiques ou physiques, afin de s’assurer la collaboration de la personne interrogée. Celle-ci peut être volontaire ou involontaire. Le contrôle d’une personne interrogée passe communément par le contrôle de son environnement.

Débriefing : fait d’obtenir une information en questionnant une source contrôlée et consciente, souvent volontaire.

Évaluation : analyse et synthèse des informations obtenues, généralement à propos d’une ou plusieurs personnes, à des fins d’expertise. L’évaluation des individus est fondée sur la collecte et la compilation de données psychologiques et biographiques.

Extraction d’informations : fait de collecter des informations sans manifester d’intention ou d’intérêt particuliers pour celles-ci. L’extraction d’informations s’effectue au cours d’un échange écrit ou oral avec une personne n’ayant pas forcément l’intention de les fournir, placée ou non sous contrôle.

Interrogatoire : fait d’obtenir des informations en questionnant directement une ou plusieurs personnes dans des conditions de contrôle partiel ou total, ou estimées telles par les personnes interrogées. Alors que l’entretien, le débriefing ou l’extraction permettent simplement de collecter des informations auprès de sujets coopératifs, l’interrogatoire est généralement réservé aux sources suspectes ou résistantes, voire les deux.

Interrogatoire de contre-renseignement : interrogatoire conçu pour obtenir des informations sur des activités clandestines hostiles, ainsi que sur les personnes et groupes impliqués. Les interrogatoires de contre-renseignement de KUBARK sont presque toujours destinés à en apprendre davantage sur des services de renseignement ou de sécurité étrangers, ou sur des organisations communistes. La sécurité nationale étant partie prenante des activités de contre-renseignement, les interrogatoires conduits pour mettre au jour des plans clandestins ou des activités dirigés contre la sécurité de KUBARK ou de PBPRIMEnote en relèvent également. Contrairement aux interrogatoires de police, l’interrogatoire de contre-renseignement n’a pas pour but d’incriminer la personne interrogée dans la perspective d’un procès. Pour un service de contre-renseignement, des aveux de complicité ne sont pas un objectif en soi, mais plutôt le préalable à la découverte d’autres informations.

Interrogatoire de renseignement : fait d’obtenir des informations en interrogeant, sans forcément la placer sous contrôle, une personne qui a conscience de la nature de ses réponses, et peut-être de leur importance, mais qui ignore la plupart du temps les objectifs de l’interrogateur et ses liens spécifiques avec les services de renseignement.

III. CONSIDÉRATIONS LÉGALES ET POLITIQUES

La législation qui a donné naissance à KUBARKnote lui a explicitement dénié toute compétence en matière de maintien de l’ordre ou de pouvoir de police. La détention dans un environnement contrôlé, parfois pour une période prolongée, est pourtant souvent essentielle à la réussite de l’interrogatoire de contre-renseignement d’une source récalcitrante.

xxxxx x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x  

La nécessité éventuelle de cette détention doit évidemment être déterminée aussi tôt que possible.

La légalité de la détention et de l’interrogatoire, ainsi que des méthodes employées, xxxxx x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x xxxxx

La détention soulève très couramment un problème de légalité : KUBARK ne dispose d’aucune autorité légale indépendante pour détenir qui que ce soit contre sa volonté.

xxxxx x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x xxxxx

La précipitation dans laquelle certains interrogatoires ont pu être menés par le passé n’était pas seulement le fait de l’impatience. Certains services de sécurité, particulièrement ceux du bloc sino-soviétique, ont tout loisir de se livrer à leurs activités : le temps travaille pour eux, et leurs méthodes pour réduire la résistance font le reste. Ce n’est généralement pas le cas pour KUBARK. À moins que la personne en passe d’être interrogée puisse être considérée comme coopérative et appelée à le rester indéfiniment, la première étape, dans la planification d’un interrogatoire, consiste donc à déterminer combien de temps elle pourra être retenue. Le choix des méthodes utilisées dépend en partie de la réponse à cette question.

xxxxx x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x xxxxx

La détention et l’interrogatoire des transfuges dépendent des dispositions de xxxxx x   la directive nº 4 ainsi que des directives afférentes émanant de la direction de KUBARK. xxxxx x x x x x x x x x x x xxxxx. Le manuel de référence xxxxx x x x x   et aux xxxxx x x x x x x x x   pertinents. Les personnes concernées par l’interrogatoire de transfuges, de déserteurs, de réfugiés ou de personnes rapatriées doivent connaître ces références.

Le type d’informations visées par un interrogatoire de contre-renseignement est énoncé dans une directive de la direction de KUBARK, et le manuel de référence approfondit de façon plus détaillée cette question xxxxx x x x x x x x x x x xxxxx.

L’interrogatoire de citoyens de PBPRIME soulève des problèmes particuliers. En premier lieu, de tels interrogatoires ne peuvent être conduits que pour des motifs relevant de la sphère de responsabilité de KUBARK. Par exemple, le xxxxx x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x mais ne doit normalement pas être directement impliqué. L’activité clandestine, hors du territoire national et au nom d’une puissance étrangère, d’un citoyen de PBPRIME relève des prérogatives de KUBARK en matière d’interrogatoire et d’investigation. Mais tout interrogatoire, entretien ou investigation mené à l’étranger sur un citoyen de PBPRIME se trouvant suspecté ou convaincu d’être engagé dans des activités clandestines menaçant les intérêts et la sûreté de PBPRIME requiert l’autorisation préalable et personnelle du directeur de KUDESKnote ou de son adjoint.

Le 4 octobre 1961, des amendements aux lois sur l’espionnagenote ont prévu des applications de celles-ci à l’extérieur du territoire national ; il est dès lors devenu possible de poursuivre devant des tribunaux fédéraux tout citoyen de PBPRIME contrevenant, à l’étranger, aux dispositions de cette législation. ODENVYnote a demandé à être informé – par avance si les délais le permettent – de toute investigation entreprise dans ce contexte. Un employé de KUBARK ne pouvant être cité comme témoin devant un tribunal, il faut conduire chaque enquête de manière que les preuves obtenues puissent être correctement produites si le cas débouche sur un procès. xxxxx x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x   les politiques étatiques et les procédures pour la conduite d’investigations concernant des citoyens de PBPRIME à l’étranger.

Les interrogatoires conduits par la coercition ou sous la contrainte physique sont particulièrement susceptibles de se révéler illégaux et de mettre KUBARK dans une position délicate. Une autorisation préalable, émanant du niveau de responsabilité KUDOVEnote, est donc obligatoire pour mener l’interrogatoire d’une source contre sa volonté et dans les circonstances suivantes :

1) si des sévices corporels sont infligés ;

2) si du matériel médical, chimique ou électrique, ou des méthodes en rapport, sont utilisés pour induire la coopération ;

3) xxxxx x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x

Un interrogateur de contre-renseignement confronté à une source non coopérative briefée par une agence hostile sur les restrictions légales qui s’appliquent aux opérations des services d’ODYOKEnote doit s’attendre à la voir recourir à des stratégies efficaces de temporisation. La personne interrogée sait que KUBARK ne pourra pas la détenir longtemps. Et qu’il lui suffit donc de résister pendant une courte période. Nikolai Khokhlovnote a par exemple expliqué avoir eu cette idée en tête au moment de s’envoler vers Francfort pour sa mission d’assassinat : « Si je tombe entre les mains des autorités occidentales, il me suffit de rester circonspect, silencieux, et de nier ma visite à Okolovich. Je sais que je ne serai pas torturé et que, au regard des procédures judiciaires en vigueur à l’Ouest, je peux me permettre une attitude courageuse » [17]note. L’interrogateur en butte à une résistance experte prendra garde de ne pas perdre son sang-froid et de ne pas brusquer la source, au risque de commettre des actes illégaux qui pourraient plus tard être utilisés contre lui. Puisque le temps joue en sa faveur, il doit s’organiser pour en disposer à satiété.

IV. L’INTERROGATEUR

Un certain nombre d’études traitent des aptitudes que l’interrogateur est supposé posséder. La liste de ces qualités tient presque de l’énumération sans fin : attitude professionnelle, énergie, compréhension et compassion, culture générale étendue, connaissance du terrain, « connaissance pratique de la psychologie », maîtrise des ficelles du métier, vivacité intellectuelle, persévérance, intégrité, discrétion, patience, QI élevé, expérience, flexibilité, etc., etc. Certains textes vont jusqu’à s’intéresser aux bonnes manières de l’interrogateur et à sa tenue vestimentaire, l’un précisant même les qualités requises pour sa secrétaire.

Il ne servirait à rien de répéter ici un tel catalogue, tant les aptitudes en question valent indistinctement pour un officier, un agent, un policier, un vendeur ou un bûcheron – elles s’appliquent en fait à n’importe quelle profession. La littérature scientifique n’évoque d’ailleurs aucune étude ou investigation sérieuse susceptible de valider objectivement ce genre de liste en mettant en évidence les dénominateurs communs aux bons interrogateurs.

Les quatre compétences essentielles d’un interrogateur pourraient néanmoins se résumer ainsi : il lui faut posséder 1) assez d’expérience et d’entraînement opérationnel pour déterminer rapidement la piste à suivre ; 2) une bonne maîtrise de la langue utilisée ; 3) une connaissance approfondie du pays natal de la personne interrogée (et de ses services de renseignement, si elle en fait partie) ; 4) une réelle compréhension de la personnalité de la source.

Les stationsnote, ainsi que certaines bases, peuvent recourir à un ou plusieurs interrogateurs satisfaisant ces conditions, individuellement ou en équipe. Pour peu qu’ils soient assez nombreux, l’interrogateur doit être choisi en fonction de la source : les chances de succès en seront accrues (à l’inverse, une présélection trop rigide se révélera nuisible). En effet, comprendre le caractère et les motivations de la personne interrogée représente certainement la plus importante – et la moins répandue – des quatre qualités mentionnées précédemment. Cette question sera d’ailleurs largement traitée un peu plus loin. Mais il convient de faire dès à présent quelques remarques sur ce point, fondamental pour tout interrogateur souhaitant nouer de bons rapports avec sa source – clé du succès pour les interrogatoires non coercitifs.

L’interrogateur ne doit jamais oublier qu’il ne poursuit pas le même objectif que la personne interrogée. Non que celle-ci soit naturellement mauvaise et encline à la rétention d’information ou au mensonge ; ce qu’elle espère tirer de la situation ne correspond simplement pas aux attentes de l’interrogateur. Le but de ce dernier est d’obtenir des données utiles – des faits sur lesquels la source détiendrait des informations. Mais il est rare qu’au début de l’interrogatoire (et parfois pour longtemps) celle-ci se montre enthousiaste à l’idée de passer à table. Elle souhaite plutôt tirer le meilleur parti possible des circonstances. Ce qui l’obsède alors ? Non pas la question « Comment puis-je aider PBPRIME ? », mais plutôt : « Quelle impression suis-je en train de donner ? » ; et dans la foulée : « Que va-t-il m’arriver maintenant ? » Il en va différemment de l’agent infiltré ou provocateur envoyé dans des installations de KUBARK après avoir été entraîné à résister à l’interrogatoire ; lui se sentira parfois assez confiant pour se montrer indifférent à son sort. Dès le début, il cherchera plutôt à engranger des informations sur l’interrogateur et son service.

L’interrogateur chevronné peut gagner beaucoup de temps en devinant les besoins émotionnels de la personne interrogée. Confrontés au représentant officiel d’un pouvoir inconnu et à sa puissance diffuse, la plupart des gens céderont plus rapidement s’ils se sentent traités en individus. Le simple fait de saluer par son nom une personne interrogée à l’ouverture de la session lui fait prendre conscience d’une donnée rassurante : elle est considérée comme un être à part entière, non comme une éponge que l’on presse à volonté. Cela ne signifie pas qu’il faille laisser des personnalités égotistes s’installer durablement dans la chaleureuse prise en compte de leur individualité. Mais montrer clairement que leur personnalité n’est pas niée permet d’apaiser cette crainte d’être rabaissée qui affecte de nombreuses sources à leur premier interrogatoire. Une fois cela posé, la session peut évoluer vers des sujets d’ordre impersonnel. Elle ne sera plus perturbée ou interrompue – pas autant, tout du moins – par des réponses hors de propos, destinées à prouver que la personne interrogée est un membre respectable du genre humain plutôt qu’à fournir des informations.

Bien qu’il soit souvent nécessaire de ruser pour amener les gens à révéler ce que nous voulons, spécialement lors des interrogatoires de contre-renseignement, l’interrogateur doit d’abord se demander : « Comment puis-je lui donner envie de me dire ce qu’il sait ? » Et non : « Comment puis-je le piéger de manière qu’il me révèle ce qu’il sait ? » Si la personne interrogée se montre, pour des raisons idéologiques, vraiment hostile, il convient alors de recourir aux techniques de manipulation. Mais supposer une hostilité – ou, pire, user de stratégies de pression dès la première rencontre – peut compliquer la tâche, même avec des sources qui auraient bien réagi à la reconnaissance initiale de leur individualité et de leur bonne volonté.

Une autre remarque préliminaire à propos de l’interrogateur : il lui faut laisser sa personnalité au vestiaire. Il ne doit en aucune manière se sentir réjoui, flatté, frustré, exaspéré ou touché émotionnellement par l’interrogatoire. Il aura parfois intérêt à afficher un sentiment calculé, mais cela reste une exception, à utiliser dans un but précis ; même en de telles circonstances, l’interrogateur doit garder un contrôle total. La situation d’interrogatoire induit une grande intensité dans les échanges interpersonnels ; il s’agit donc d’y apporter un contrepoint par une attitude que le sujet puisse clairement considérer comme juste et objective. L’agent qui s’implique personnellement et qui s’investit émotionnellement dans les situations d’interrogatoire rencontrera à l’occasion des succès (parfois spectaculaires), mais son rendement moyen sera souvent mauvais.

On estime généralement que l’interrogateur doit être un « connaisseur avisé de la nature humaine ». En fait, xxxxx x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x xxxxx

[3] L’étude en question expose plus avantnote (dans le passage commençant par « Nous cherchions à déterminer à quel point il est possible de porter un jugement fiable sur quelqu’un à partir d’observations superficielles. Une fois différents jugements collectés au cours des recherches, un consensus s’est dégagé : certaines personnes se révèlent plus douées pour l’exercice – ce n’est pas un simple coup de chance […]. » Néanmoins, « le degré de fiabilité du jugement porté est si faible qu’il a été difficile de déterminer quels étaient les individus les plus performants en la matière […]. ») [3] Pour résumer, l’interrogateur aura tendance à surestimer ses capacités à cerner une personnalité donnée, surtout s’il a été peu (ou pas du tout) formé à la psychologie moderne. Les erreurs dans l’évaluation et la prise en main d’un sujet résultent ainsi plus souvent d’un avis expéditif fondé sur une confiance excessive en son propre jugement que d’une opinion nuancée en l’absence d’éléments qui restent encore à obtenir.

De nombreux débats ont opposé les spécialistes de l’interrogatoire aux experts en psychologie. Certaines données disponibles suggèrent que ces derniers posséderaient un léger avantage. En matière de contre-renseignement, ce débat reste toutefois purement académique.

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Assigner les interrogateurs peu expérimentés à un poste de garde ou à d’autres tâches en rapport direct avec l’interrogatoire permet de les préparer au mieux : ils peuvent ainsi observer le processus de près avant de s’en charger. L’utilisation d’interrogateurs débutants en tant qu’intervieweurs (cf. chapitre vi) est également recommandée.

Toute approche fondée sur la conviction, fréquemment exprimée par les novices, que l’interrogatoire est avant tout un conflit d’intelligences entre deux personnes doit être nuancée ; l’interrogateur de contre-renseignement confronté à une source entraînée et résistante doit se réserver la possibilité de recourir à diverses formes d’assistance – y compris déléguées par le Quartier général (ces dernières sont abordées dans le chapitre viii). La forte personnalisation de la situation d’interrogatoire devrait inciter le questionneur de KUBARK à ne pas viser une victoire personnelle, mais à se focaliser sur son véritable objectif : récolter toutes les informations nécessaires par tous les moyens autorisés.

note Si possible, l’interrogateur doit être épaulé par un analyste qualifié qui sera chargé de passer au crible sa « séance » du jour ; l’expérience a montré qu’une telle démarche permet de pointer les éléments à approfondir et à clarifier, pour une approche exhaustive du sujet interrogé.

V. LA PERSONNE INTERROGÉE

A. TYPES DE SOURCES :
LES CATÉGORIES DU RENSEIGNEMENT

Pour un service de renseignement, les catégories de personnes fournissant le plus fréquemment – une fois questionnées – des informations utiles sont les voyageurs ; les rapatriés ; les transfuges ; les déserteurs et les réfugiés ; les sources transférées ; les agents, dont les agents provocateurs, doubles et infiltrés ; les escrocs et les mythomanes.

1. Les voyageurs sont généralement interviewés, débriefés ou questionnés via des techniques d’extraction de l’information. S’ils subissent un véritable interrogatoire, c’est qu’ils sont soupçonnés ou convaincus d’appartenir à l’une des catégories suivantes.

2. Les rapatriés sont parfois soumis à un interrogatoire, bien que d’autres techniques aient davantage cours en ce qui les concerne. Puisque le sujet se trouve placé sous la juridiction du gouvernement qui l’accueille, cet interrogatoire éventuel sera fréquemment délégué à un service de liaison plutôt qu’à KUBARK. Si KUBARK le conduit quand même, les étapes préliminaires suivantes se révèlent indispensables :

a) un enregistrement de contrôle, avec transmission de copies au niveau local et au Quartier général ;

b) un test de bonne foi ;

c) une évaluation du type et de la valeur des contacts entretenus par le rapatrié à l’extérieur de son propre pays ;

d) une estimation préalable de ses motivations (en tenant compte de son orientation politique), de sa fiabilité et de ses capacités en tant qu’observateur et commentateur ;

e) une évaluation de toutes ses relations dans les milieux communistes et dans ceux du renseignement – avec un service ou un parti de son propre pays, du pays dans lequel il est détenu ou interrogé, ou d’un autre. Ici, chaque détail a son importance.

3. Les transfuges, déserteurs et réfugiés sont généralement interrogés suffisamment longtemps pour que puisse être effectué un test préliminaire de bonne foi. L’expérience des années d’après-guerre a démontré : 1) que les transfuges soviétiques ne faisaient presque jamais défection à cause du seul travail de persuasion des services occidentaux, ni même en grande partie à cause de lui ; 2) qu’ils quittaient généralement l’URSS pour des raisons personnelles plutôt qu’idéologiques ; 3) qu’ils étaient souvent des agents du RISnote.

xxxxx x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x xxxxx

Toutes les analyses menées sur le flux de transfuges et de réfugiés ont prouvé que les services de renseignement hostiles sont conscients des avantages de ce canal pour infiltrer leurs agents dans les pays cibles.

4. Les sources transférées, qu’un autre service adresse à KUBARK pour interrogatoire, sont généralement suffisamment connues de ce service pour qu’un dossier ait été constitué. KUBARK doit si possible s’en procurer une copie, ou un équivalent parfaitement documenté, avant d’accepter le transfert.

5. Les agents sont plus fréquemment débriefés que soumis à un interrogatoire.

xxxxx x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x   en tant qu’outil d’analyse. Si l’appartenance de l’agent à l’une des catégories listées ci-dessous est ensuite établie, ou fortement suspectée, il convient de pousser les investigations plus avant et – éventuellement – de procéder à un interrogatoire.

a) L’agent provocateur : nombre d’agents provocateurs sont des défecteursnote se faisant passer pour des déserteurs, des réfugiés ou des transfuges pour infiltrer des groupes d’émigrés, les services de renseignement d’ODYOKE ou d’autres cibles désignées par des services hostiles. De telles impostures sont parfois mises au jour grâce aux dénonciations de véritables réfugiés ou à des informations obtenues grâce à des documents, des officiers locaux ou d’autres sources de même type ; mais, le plus souvent, c’est la maîtrise de l’interrogatoire qui permet de les détecter. Une section ultérieure de ce manuel traite ainsi des tests préliminaires de bonne foi. Les résultats de ces tests débouchent rarement sur une conclusion définitive. Pour soutirer des aveux et des révélations complètes, il faut fréquemment en passer par un interrogatoire approfondi. Une fois cela fait, et pour peu que son statut soit pris en compte de façon adéquate (lors de l’entretien, puis de la rédaction des rapports), l’agent provocateur peut – indifféremment – être questionné dans une optique de renseignement formel et opérationnel ou de contre-renseignement.

b) L’agent double est communément interrogé parce qu’il existe une certitude, ou une forte suspicion, qu’il sert de « taupe » pour un service ennemi. De même qu’avec un agent provocateur, des investigations préliminaires méthodiques se révéleront très utiles à la suite de la session. C’est là un principe essentiel des interrogatoires : avant même le début de la confrontation, le questionneur doit disposer de toutes les informations pertinentes qu’il lui est possible de recueillir sans mettre en alerte la future personne interrogée.

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d) Les escrocs et les mythomanes : on les interroge davantage pour des raisons prophylactiques que dans une optique de contre-renseignement. L’objectif est d’empêcher – ou de faire cesser – des nuisances contre KUBARK ou d’autres services d’ODYOKE. En matière de contre-renseignement, les escrocs et mythomanes ont peu d’informations judicieuses à fournir, mais ils savent comme personne vous faire perdre du temps. Les interroger est donc rarement concluant. Si l’interrogatoire se prolonge, il se révélera tout bonnement improductif. Il pourrait en aller différemment des monnayeurs professionnels d’information, dotés de nombreux contacts dans le monde du renseignement, mais ils sont habituellement en cheville avec le service de sécurité du pays où ils résident – ils ne pourraient sinon mener impunément leurs activités.

B. TYPES DE SOURCES : LES CATÉGORIES SELON LA PERSONNALITÉ

Il existe un grand nombre de systèmes conçus pour ranger les êtres humains dans des petites cases. La plupart sont d’une pertinence douteuse. Certains schémas de ce type sont d’ailleurs présentés dans les manuels d’interrogatoire. Il existe deux typologies principales : le classement selon des critères psychologico-émotionnels et celui fondé sur des critères géographico-culturels. Les partisans du premier système de classification font valoir que les modèles psychologico-émotionnels de base ne varient guère selon l’époque, le lieu ou la culture. Les tenants de l’autre école soutiennent qu’il existe un caractère de type national ainsi que des déclinaisons infranationales de celui-ci. Les manuels s’appuyant sur ce deuxième principe recommandent ainsi d’adapter les approches selon les différentes cultures, réparties par zones géographiques.

C’est indéniable : la source ne peut être comprise si son environnement n’est pas pris en compte, si on fait abstraction de son contexte social. Certaines des bourdes les plus éclatantes commises lors d’interrogatoires (ou lors d’opérations semblables) ont ainsi résulté de la méconnaissance du cadre de vie de la personne interrogée. En outre, les schématisations fondées sur des critères émotionnels et psychologiques dépeignent parfois des cas plus extrêmes et atypiques que la moyenne des personnes communément soumises aux interrogatoires. De telles typologies sont même remises en cause par les psychiatres et psychologues professionnels. Les interrogateurs qui les adoptent et qui décèlent chez une source une ou deux caractéristiques du « type A » sont susceptibles de la classer à tort dans la catégorie A, fondant la suite de leur analyse sur cette erreur.

Il existe cependant de bonnes objections à l’adoption, dans le cadre d’un interrogatoire, d’un classement s’appuyant sur des notions culturelles et géographiques (alors que cette approche peut se révéler utile dans le contexte d’une opération KUCAGEnote). Les pièges liés à l’ignorance de la culture propre à la source ont xxxxx x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x xxxxx

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La solution idéale consisterait à éviter toute forme de catégorisation. Les schémas étiquetant les gens sont par essence erronés. Appliqués de manière arbitraire, ils ont toujours débouché sur des aberrations. Tout interrogateur sait qu’une réelle compréhension de l’individu est beaucoup plus précieuse qu’une connaissance approfondie de l’étiquette qui lui a été apposée. Dans une optique d’interrogatoire, la façon dont le sujet s’éloigne de son modèle type peut d’ailleurs se révéler plus parlante que la manière dont il s’y conforme.

Mais KUBARK ne dispose pas du temps ou du personnel nécessaire pour sonder chaque source en profondeur. Dans les phases préliminaires de l’interrogatoire, comme dans le cas d’un interrogatoire expéditif, il nous faut donc recourir à une forme de classification sommaire, malgré les raccourcis afférents. Au fond, il en va des moyens de catégorisation comme des autres outils disponibles : ils n’ont une utilité que s’ils sont reconnus à leur juste valeur – un ensemble d’étiquettes facilitant la communication, mais qui ne sont pas forcément très adaptées aux gens ainsi labellisés. Si une personne interrogée s’obstine à mentir, l’interrogateur peut en prendre note et la congédier sous l’étiquette de « menteur pathologique ». Elle est pourtant – pas moins que d’autres sources – susceptible de détenir de précieuses informations de contre-renseignement (ou autre). Loin de se contenter d’une rapide classification, l’interrogateur à même de les lui extorquer saura s’intéresser à ses raisons de mentir autant qu’à ses mensonges eux-mêmes.

Maintenant que ces réserves ont été énoncées, nous allons décrire – ci-dessous – neuf types de personnalité. Ceux qui jugent utiles ces catégories psychologico-émotionnelles ont tout intérêt à s’en servir, les autres s’en dispenseront. Elles se fondent sur l’idée que le passé d’une personne se reflète toujours, même faiblement, dans son comportement et sa morale. Les vieux singes peuvent apprendre de nouveaux tours, non de nouvelles manières de les assimiler. Les gens changent ? Certes. Mais ce qui apparaît comme un nouveau comportement ou cadre psychologique ne constitue généralement qu’une variation sur un thème plus ancien.

Nous ne prétendons pas que notre système de classification est exhaustif ; certaines personnes interrogées n’entreront dans aucune case. Et, comme toutes les typologies, ce système est perverti par les chevauchements – une partie des sources afficheront des caractéristiques propres à plusieurs catégories. L’interrogateur ne doit donc pas oublier que le fait de trouver chez quelqu’un certaines caractéristiques d’un groupe ne justifie nullement d’en conclure que cette personne « appartient » à ce groupe. Il doit aussi garder à l’esprit qu’aucune catégorisation – même pertinente – ne permet à elle seule de comprendre quelqu’un ; elle représente simplement une aide à cette compréhension.

Les neufs principaux groupes relevant des catégories psychologico-émotionnelles adoptées pour ce manuel sont les suivants :

1. La personnalité disciplinée-obstinée se montre économe, ordonnée et froide. La plupart du temps, elle est assez intellectuelle. Peu impulsive, elle réfléchit avant d’agir et pense de manière logique. Prendre une décision lui demande souvent beaucoup de temps. Les personnes relevant de cette catégorie ne feront pas de réels sacrifices pour une cause, mais s’en serviront plutôt comme moyen temporaire d’obtenir un gain personnel permanent. Elles se veulent impénétrables, et se montrent rétives à confier leurs plans et complots, lesquels ont fréquemment pour objet le renversement d’une forme d’autorité. Elles sont également obstinées, même si elles peuvent prétendre coopérer, voire se persuader qu’elles le font. Pour ne rien arranger, elles se complaisent dans le ressentiment.

La personnalité disciplinée-obstinée se considère comme supérieure. Ce sentiment se teinte parfois d’une forme de pensée irrationnelle faisant la part belle à toutes sortes de superstitions et fantasmes quant à la maîtrise de son environnement. Elle peut même revendiquer ses propres critères moraux et entretient parfois secrètement son complexe de supériorité en provoquant des traitements injustes à son égard. Autre caractéristique : elle tentera toujours de se réserver une porte de sortie en évitant de s’impliquer réellement. Elle est aussi – et a toujours été – obsédée par les biens qu’elle possède. Généralement avare, elle ne jette rien, éprouve un fort sentiment de propriété et se montre aussi ponctuelle que soignée. Son argent et toutes ses possessions revêtent à ses yeux une dimension particulière : ils font partie intégrante de sa personnalité. Ses poches sont souvent remplies de monnaie tintinnabulante, de souvenirs, d’un trousseau de clés et d’autres objets dotés d’une valeur réelle ou symbolique.

Les gens appartenant à ce groupe ont généralement été des enfants rebelles, enclins à toujours faire l’inverse de ce qu’on leur demandait. S’ils peuvent avoir appris – une fois adultes – à dissimuler leur résistance sur un mode passif-agressif, leur détermination à tracer leur propre route reste intacte ; ils ont simplement compris qu’il valait parfois mieux procéder de manière indirecte. Peur et haine profondes de l’autorité, ancrées depuis l’enfance, sont ainsi souvent habilement camouflées à l’âge adulte. Au cours d’un interrogatoire, une telle personnalité peut passer facilement et rapidement aux aveux, confessant même des actes qu’elle n’a pas commis, de manière à lancer l’interrogateur sur une fausse piste et à l’empêcher de mettre le doigt sur un élément important (plus rarement, elle peut agir de la sorte parce qu’elle se sent coupable).

L’interrogateur ayant affaire à une personnalité disciplinée-obstinée doit éviter d’endosser le rôle de l’autorité hostile. Les menaces et gestes agressifs, les poings tapant sur la table, les accusations de tentatives d’évasion ou de mensonges, et toutes les tactiques autoritaires du même style ne feront qu’accentuer de vieilles angoisses et déclencher les mécanismes de défense afférents. Pour désamorcer toute animosité, l’interrogateur doit donc privilégier une approche bienveillante. Il a aussi intérêt à prêter un soin particulier à la propreté de la salle et de sa propre personne. Les personnes relevant de cette catégorie aiment souvent collectionner des pièces de monnaie ou d’autres objets : passer un peu de temps à en discuter peut permettre de briser partiellement la glace. Avec de telles sources, il est de toute façon fondamental de nouer de bonnes relations.

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2. La personnalité optimiste se montre presque toujours insouciante, impulsive et inconstante ; elle manque de fiabilité. Elle semble perpétuellement nager dans le bonheur. Confrontée à une défaillance, elle peut se montrer magnanime, se comportant avec les autres comme elle aimerait qu’on le fasse avec elle. Elle est parfois alcoolique ou droguée. Résistant mal à la pression, ce genre de personne ne réagit pas au défi en intensifiant ses efforts, mais plutôt en se défilant pour éviter le conflit. Si elle est convaincue que « la situation va se débloquer » et que « tout finira par s’arranger », c’est qu’elle ressent le besoin de fuir sa propre responsabilité et de se réfugier sous les auspices d’un destin bienveillant.

Une telle personne a généralement bénéficié, par le passé, d’une trop grande indulgence. Elle est parfois le plus jeune membre d’une famille nombreuse ou l’enfant d’une femme d’âge mûr (ce qu’on appelle un « bébé de la dernière chance »). Si elle a rencontré de grandes frustrations à la sortie de l’enfance, elle peut se montrer irritable, aigrie et constamment exigeante.

Dans le cadre d’un interrogatoire, les personnalités optimistes répondent mieux à une approche aimable et paternelle. Si elles refusent de se livrer, la technique du bon et du mauvais flic, abordée plus loin dans ces pages, portera généralement ses fruits. Alors que des stratégies de pression ou une hostilité affichée les pousseront à rentrer dans leur coquille, des marques de bienveillance les encourageront à se confier. Ces personnes espèrent souvent des promesses et ont tendance à ériger l’interrogateur en protecteur résolvant tous les problèmes. Ce dernier doit donc éviter de s’engager inconsidérément sur des points précis, au risque sinon que la rancœur de la personnalité optimiste se révèle ensuite difficile à gérer.

3. La personnalité avide et exigeante se colle aux autres comme une sangsue et s’y cramponne obstinément. Extrêmement dépendante et passive, elle exige constamment que les autres prennent soin d’elle et se plient à ses volontés. Lorsqu’elle s’estime lésée, elle ne cherche pas à se faire justice, mais tente de persuader quelqu’un de prendre fait et cause pour elle – « Va lui montrer que ça ne se passe pas comme ça ! » Sa loyauté peut largement fluctuer dès lors qu’elle estime que le protecteur choisi l’a laissée tomber. Les transfuges appartenant à cette catégorie se sentent aigris parce que leurs désirs n’étaient pas satisfaits dans leur pays d’origine, mais ils s’estimeront rapidement tout aussi maltraités dans une nouvelle patrie et se retourneront de la même manière contre son gouvernement ou ses représentants. De telles personnes sont fréquemment sujettes à la dépression. Elles peuvent aussi retourner leur désir de vengeance contre elles-mêmes ; jusqu’au suicide, dans les cas extrêmes.

Les sujets au caractère avide et exigeant ont souvent souffert très jeunes d’un manque d’affection ou de sécurité. Devenus adultes, ils continuent à chercher des parents de substitution pour s’occuper d’eux, parce qu’ils estiment que les leurs ne l’ont pas fait.

Un interrogateur confronté à une telle personnalité doit faire en sorte de ne pas la repousser, sous peine de détruire toute forme de relation avec elle. Mais il ne doit pas pour autant accéder aux requêtes impossibles à satisfaire, ou qui ne devraient pas l’être. Adopter une posture de père ou de grand frère est ainsi une bonne manière de rendre le sujet coopératif. S’il avance des exigences exorbitantes, une faveur de moindre importance constituera souvent un substitut satisfaisant, la demande initiale correspondant davantage au besoin d’être rassuré qu’à une revendication spécifique. Il est donc probable que toute manifestation de sollicitude à l’égard de la source la tranquillise.

Dans ses rapports avec les personnes relevant de cette catégorie – ainsi qu’avec la très grande majorité de celles listées ici –, l’interrogateur doit rester conscient des limites et pièges de la persuasion rationnelle. S’il l’incite à coopérer en faisant appel à la logique, il doit d’abord s’assurer que la résistance de la source se fonde bien sur celle-ci. Si cette opposition se révèle (en partie ou totalement) émotionnelle plutôt que rationnelle, son approche se montrera infructueuse. Une résistance émotionnelle ne peut être vaincue que par une manipulation du même ordre.

4. La personnalité anxieuse et égocentrique est engagée dans une lutte perpétuelle pour dissimuler combien elle est habitée par la crainte. Il s’agit souvent d’une tête brûlée qui compense son anxiété en prétendant que le danger n’existe pas. Un sujet de ce genre pourrait tout aussi bien être acrobate aérien ou artiste de cirque, afin de « prouver » sa valeur devant des foules. Ou un don Juan. Il a tendance à fanfaronner, et ment souvent pour satisfaire son besoin d’être approuvé et admiré. Soldat ou officier, il a pu être décoré pour faits de bravoure ; le cas échéant, ses camarades ont peut-être compris que ses exploits résultaient surtout du plaisir pris à s’exposer au danger et de la jouissance anticipée de la récompense, de l’approbation et des applaudissements. La personnalité anxieuse et égocentrique est d’ordinaire aussi vaniteuse que sensible.

Les personnes correspondant à cette description sont réellement plus craintives que la moyenne. Les raisons de cette anxiété, intense mais dissimulée, sont trop complexes et subtiles pour être discutées ici.

Pour l’interrogateur, les opportunités offertes par cette anxiété masquée comptent de toute façon davantage que ses causes ; elle peut en effet être utilisée avec succès pour manipuler la source. En général, son besoin de faire bonne impression sautera rapidement aux yeux. Ce genre de personne se montre souvent volubile. Il ne sert à rien de provoquer son ressentiment ou de la faire taire en ignorant et en ridiculisant ses fanfaronnades, voire de la stopper net en lui intimant de ne pas se disperser. Tabler sur sa vanité, spécialement en vantant son courage, peut en revanche se révéler une tactique efficace pour peu qu’elle soit habilement menée. Si la source dissimule des faits importants, tels que ses contacts avec des services hostiles, la convaincre que la vérité ne lui nuira pas et souligner la dureté et la stupidité d’un adversaire capable d’impliquer une personne si valeureuse dans une mission si mal préparée l’amènera probablement à les divulguer. Il n’y a de toute façon pas grand-chose à gagner – mais beaucoup à perdre – à relever ses mensonges sans intérêt. Tant qu’elles ne font pas perdre trop de temps, les vantardises flagrantes à propos d’actions héroïques, de prouesses sexuelles ou d’autres « preuves » de courage et de virilité doivent donc être accueillies en silence ou par des commentaires bienveillants, mais évasifs. Si l’usage opérationnel d’une telle source est envisagé, son recrutement peut parfois s’effectuer via une question de ce genre : « Je me demande si vous seriez capable de vous charger d’une mission dangereuse ? »

5. La personnalité tourmentée par le remords est fortement, et de manière irrationnelle, obsédée par sa mauvaise conscience. Sa vie tout entière semble guidée par l’objectif de se délivrer de son sentiment de culpabilité. Elle paraît parfois déterminée à expier ; à d’autres moments, elle insiste sur le fait que tout ce qui a mal tourné est la faute de quelqu’un d’autre. Dans les deux cas, elle est constamment en quête de preuves ou de signes indiquant que la culpabilité des autres est plus lourde que la sienne. Son désir de démontrer qu’elle a été injustement traitée tourne souvent à l’obsession. En fait, il arrive qu’elle provoque sciemment des mauvais traitements dans le but de purifier sa conscience par la punition. Les joueurs compulsifs qui n’éprouvent pas de réel plaisir à gagner, mais sont soulagés par la défaite appartiennent à cette catégorie. Comme les gens avouant des crimes qu’ils n’ont pas commis. Il arrive même que ces personnes commettent réellement des crimes dans le but de les confesser et d’être punis. Les masochistes relèvent également de cette catégorie.

De nombreux complexes de culpabilité trouvent leur origine dans des torts imaginaires ou réels infligés par le sujet à des gens – parents ou autres – qu’il estimait devoir aimer et honorer. De tels individus ont parfois été largement réprimandés et punis durant leur enfance. Ou alors ils étaient des enfants « modèles » qui réprimaient en eux toute pulsion hostile.

Les personnalités tourmentées par le remords sont difficiles à interroger. Elles peuvent très bien « confesser » une activité clandestine ennemie ou d’autres faits concernant KUBARK sans même y avoir été mêlées ; les accusations de l’interrogateur sont ainsi susceptibles de déclencher des aveux factices. Elles gardent aussi parfois le silence face aux accusations, se délectant de la « punition ». Même les soumettre à des tests LCFLUTTERnote se révèle globalement inutile. Et les difficultés liées à leur interrogatoire varient tellement d’un cas à l’autre qu’il est presque impossible de lister une série de principes généraux convaincants. Le meilleur conseil à donner à l’interrogateur, une fois que des données de la procédure préinterrogatoire (cf. chapitre vi) ou les préoccupations excessives du sujet pour tout jugement d’ordre moral ont attiré son attention, est peut-être celui-ci : il doit considérer comme suspecte et subjective toute information de la source touchant à sa propre considération morale. Par ailleurs, des personnes habitées d’un fort sentiment de culpabilité peuvent passer de la résistance à la coopération si on leur inflige une punition, tant elles éprouvent de plaisir à être châtiées.

6. La personnalité qui échoue devant le succèsnote est très proche de celle tourmentée par le remords. Elle ne supporte pas le succès et échoue à franchir chaque étape essentielle de son existence – elle est même souvent victime d’accidents. Son existence pourrait se résumer à ce schéma typique : autrefois considérée comme prometteuse, elle fut sur le point de réussir une mission ou une prouesse importante, mais ne l’a jamais menée à terme. Elle apprécie les ambitions tant qu’elles restent de l’ordre du fantasme et se débrouille toujours pour qu’elles ne se réalisent jamais. Alors que ses proches la pensent souvent sur le point de réussir, quelque chose finit toujours par se mettre en travers de sa route. Il s’agit en réalité d’un complexe de culpabilité, semblable à celui décrit précédemment. La conscience de la personne fuyant la réussite lui interdit les plaisirs de l’accomplissement et de la reconnaissance. Et elle évacue fréquemment ses sentiments de culpabilité en reportant la responsabilité de tous ses échecs sur quelqu’un d’autre. Elle peut aussi éprouver un fort besoin de souffrance, être en quête de danger ou de blessure.

Ces personnes « ne pouvant supporter la bonne fortune » ne posent pas de problème particulier quand elles sont soumises à l’interrogatoire. Sauf si les questions touchent à leur sentiment de culpabilité ou aux raisons de leurs échecs passés : elles exposeront alors des distorsions subjectives de la réalité au lieu de faits. L’interrogateur aguerri saura se méfier de ce manque de fiabilité.

7. La personnalité schizoïde ou marginale vit la plupart du temps dans un monde de fantasmes. Elle semble parfois incapable de faire la distinction entre la réalité et ses projections. Le monde réel lui paraît vide et dépourvu de sens en comparaison de l’univers plein de significations mystérieuses qu’elle s’est forgé. Elle se montre extrêmement intolérante envers toute forme de frustration advenant dans le monde extérieur, et y réagit en se retirant dans son univers intérieur. Elle ne s’attache pas réellement aux autres, même si elle peut leur attribuer des valeurs ou significations symboliques et privées.

Les enfants élevés dans des foyers au sein desquels l’affection et l’attention ordinaires faisaient défaut, ou encore dans des orphelinats ou des communautés en marge de l’État, ont plus de chances d’appartenir à cette catégorie une fois adultes. Parce que leurs efforts juvéniles pour se lier aux autres ont été rejetés, ils n’ont plus assez confiance pour s’attacher et se replient sur eux-mêmes. Tout lien noué avec un groupe ou un pays se révélera donc peu fiable et, en règle générale, éphémère. Dans le même temps, les personnalités schizoïdes ont pourtant besoin de l’approbation du reste du monde. Même si elles se retirent de la réalité, elles ne veulent pas se sentir abandonnées.

Soumise à l’interrogatoire, une personne de ce genre mentira volontiers pour susciter de la sympathie. Elle dira à l’interrogateur ce qu’il veut – selon elle – entendre, pour le seul plaisir de voir un sourire illuminer son visage. Parce qu’elle n’est pas toujours capable de faire la distinction entre le réel et l’imaginaire, elle n’aura même pas forcément conscience de mentir. Mais son besoin d’être approuvée donne une prise à l’interrogateur. Alors que des accusations de mensonge ou d’autres marques de mépris pousseront le sujet schizoïde à rentrer dans sa coquille, on peut l’amener à dire la vérité : il suffit de le convaincre qu’il n’a rien à gagner à rapporter des faits erronés et rien à perdre à exposer des faits réels.

À l’image de la personnalité tourmentée par le remords, le schizoïde n’est pas vraiment fiable lorsqu’il est confronté à des tests LCFLUTTER : son fonctionnement psychologique le pousse à confondre faits et fantasmes. Il a également peu de chances de faire un bon agent en raison de son incapacité à se confronter à la réalité et à nouer de vraies relations.

8. La personnalité qui s’estime exceptionnelle pense que le monde lui a fait beaucoup de torts. Elle est convaincue d’avoir souffert d’une grave injustice, généralement à une période précoce de sa vie, et de mériter réparation. Cette injustice est parfois le fait d’un destin aveugle, qu’il s’agisse d’une difformité physique, d’une maladie très douloureuse ou d’une opération subie durant l’enfance, voire de la perte précoce d’un parent ou des deux. Persuadée que ces malheurs n’étaient pas justifiés, elle s’estime victime d’un destin inique que quelqu’un ou quelque chose doit corriger. Et elle juge prioritaire cette exigence de justice. Si cette revendication est ignorée ou repoussée, elle adopte une posture rebelle, à la manière habituelle des adolescents. Ceci parce qu’elle est convaincue que la justesse de ses réclamations saute aux yeux et que tout refus de les honorer relève forcément d’une malveillance délibérée.

Lors d’un interrogatoire, de tels individus sont susceptibles d’exiger de l’argent, de l’aide pour s’installer ailleurs, et d’autres traitements de faveur totalement disproportionnés eu égard à la valeur de leurs contributions. Une réponse ambiguë à de telles demandes sera interprétée comme un accord. De toutes les catégories abordées ici, la personnalité qui s’estime exceptionnelle est celle qui aura le plus tendance à porter devant les tribunaux ou à divulguer dans la presse une injustice dont elle tient KUBARK pour responsable.

La meilleure ligne de conduite à adopter face à ce type de personnes est d’écouter attentivement leurs plaintes (sans toutefois perdre trop de temps) et de ne prendre aucun engagement qui ne saurait être pleinement tenu. Pour peu qu’ils appartiennent à cette catégorie, les transfuges de services de renseignement ennemis, les agents doubles et provocateurs, de même que les individus ayant entretenu un réel contact avec un service sino-soviétique, peuvent se montrer très réceptifs si l’interrogateur suggère qu’ils ont été injustement traités. En revanche, tout recours opérationnel et planifié à de telles personnalités doit tenir compte du fait qu’elles n’éprouvent aucune loyauté envers une cause collective et qu’elles peuvent se retourner avec véhémence contre leurs supérieurs.

9. La personnalité moyenne ou normale peut très bien afficher certaines des caractéristiques précédemment listées. Il est même probable qu’elle endosse la majorité d’entre elles, voire la totalité, au fil de son existence. Mais aucune ne dominera sur la longueur. Les traits propres à tout homme, tels que l’obstination, l’optimisme irréaliste ou l’anxiété, ne deviendront ainsi jamais prépondérants ou impérieux – si ce n’est pendant une courte période. D’autant que le rapport de la personnalité moyenne au monde qui l’entoure est davantage le fruit d’événements réels que celui de l’application d’une grille de lecture subjective et rigide, ainsi qu’il en va pour les autres personnalités abordées.

C. AUTRES INDICES

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Il y a des chances pour que le véritable transfuge (à distinguer de l’agent ennemi qui feint d’en être un) se soit précédemment opposé à l’autorité. Les transfuges quittant leur pays d’origine parce qu’ils ne parviennent pas à s’entendre avec leurs supérieurs – immédiats ou plus lointains – auront malheureusement aussi tendance à se rebeller dans leur nouvel environnement (cette dimension joue en général un rôle majeur dans les cas de seconde défection). C’est pourquoi les transfuges appartiennent souvent à l’une des catégories suivantes : personnalité disciplinée-obstinée, personnalité avide et exigeante, personnalité schizoïde, ou personnalité qui s’estime exceptionnelle.

Des expériences et des analyses statistiques menées à l’université du Minnesota ont cherché à déterminer le rapport entre l’angoisse et les tendances d’affiliation (l’envie d’être avec d’autres personnes) d’une part, l’angoisse et la position ordinale (le rang parmi les naissances familiales) d’autre part. Bien que provisoires et spéculatives, certaines de leurs conclusions peuvent servir dans le cadre d’un interrogatoire [30]. Comme nous l’indiquons dans la bibliographie, les chercheurs ont en effet déterminé que l’isolement crée habituellement de l’angoisse, que l’angoisse intensifie le désir de se trouver en compagnie de personnes partageant les mêmes peurs, et que les enfants uniques et ceux occupant la position d’aînés sont non seulement angoissés, mais montrent également moins de volonté ou de capacité à résister à la douleur. Une autre hypothèse de cette étude est applicable au cadre de l’interrogatoire : la peur augmenterait surtout les besoins d’affiliation chez les enfants uniques et les premiers-nés. Mais ces différences sont moins prononcées chez les personnes ayant grandi dans des familles nombreuses : les enfants uniques sont plus susceptibles de se replier sur eux-mêmes et d’entretenir leur angoisse que les premiers-nés, lesquels tentent souvent de se corriger. Concernant les autres points importants – l’intensité de l’angoisse et le besoin émotionnel de s’affilier –, aucune différence d’importance entre « premiers » et « uniques » n’a été mise au jour.

Déterminer la « position ordinale » du sujet avant de lui poser des questions peut donc se révéler utile pour l’interrogateur. Mais deux points incitent à la prudence. Ces conclusions ne sont pour l’instant que des hypothèses provisoires. Et même si elles se vérifient sur des panels plus importants, ces données – à l’image de celles compilées dans les tableaux d’espérance de vie – ne sauraient revêtir, une fois appliquées à des individus, une valeur prophétique.

VI. PROCÉDURE PRÉINTERROGATOIRE ET AUTRES PRÉLIMINAIRES

A. LA PROCÉDURE PRÉINTERROGATOIRE

xxxxx x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x   certaines stations importantes sont en mesure de conduire des examens psychologiques avant le début de l’interrogatoire, avec pour objectif de fournir à l’interrogateur une étude du type de personnalité et du caractère de la personne interrogée. À moins d’être à peu près certain que l’interrogatoire aura une importance limitée ou que la source coopère pleinement, il est recommandé de recourir à cette procédure dès que le personnel et l’équipement disponibles le permettent.

Cette procédure préinterrogatoire doit être menée par des intervieweurs, et non par des interrogateurs. Il convient aussi que les sujets ne soient pas préparés à l’interrogatoire par les employés de KUBARK qui les interrogeront plus tard.

xxxxx x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x xxxxx

L’assistance d’un psychologue professionnel peut se révéler précieuse pour certains tests psychologiques. Des examens effectués en Corée sur des prisonniers de guerre américains libérés au cours des opérations Big Switch et Little Switchnote indiquent que les personnes qui affichent des réactions émotionnelles normales au test de Rorschachnote (et aux tests équivalents) se montreraient plus coopératives que celles apparaissant apathiques, repliées sur elles-mêmes et dénuées d’émotions. Les réponses des soldats ayant résisté coûte que coûte ont cependant les mêmes caractéristiques que celles de ceux ayant cédé ; elles diffèrent dans la nature et l’intensité de leur motivation, et non de leurs émotions. « Une analyse mêlant comptes rendus objectifs de tests et informations biographiques, menée sur un échantillon de 759 rapatriés de l’opération Big Switch, a révélé que les hommes ayant collaboré se distinguaient de ceux qui ne l’ont pas fait sur les points suivants : ils étaient plus vieux, avaient poussé plus loin leurs études, décrochaient de meilleurs résultats aux tests d’intelligence effectués après leur rapatriement, avaient servi plus longtemps dans l’armée avant d’être capturés et réalisaient de meilleurs scores sur l’échelle de déviance psychopathique. Cependant, les 5 % de non-collaborateurs qui, au sein de cet échantillon, ont résisté activement – ceux que les Chinois considéraient comme « réactionnaires » ou qui ont ensuite été décorés par l’armée – différaient des autres non-collaborateurs précisément sur les mêmes points que le groupe des collaborateurs. Ils ne pouvaient en fait être distingués de ces derniers par aucune variable, à l’exception de l’âge : les résistants étaient plus vieux que les collaborateurs » [33].

Une simple estimation préliminaire – si elle est bien menée – peut se révéler très utile à l’interrogateur : elle lui permettra en effet d’adapter sa tactique dès le début. Pour parfaite illustration, le Dr Moloney remarque que l’AVHnote avait réussi à faire craquer le cardinal Mindszentynote parce que les services hongrois avaient assorti leurs méthodes d’interrogatoire à sa personnalité. « Nul doute que la conviction de Mindszenty de s’assurer sécurité et puissance via la reddition devant la puissance suprême – son idée de Dieu – le prédisposait à coopérer avec le système de renseignement communiste. La capitulation de l’individu devant le système autoritaire lui semblait naturelle, tout autant que le principe même du martyre » [28].

La procédure préinterrogatoire posera moins de difficultés si le responsable s’intéresse à la source, et non aux informations qui pourraient être en sa possession. La plupart des gens – y compris des agents provocateurs entraînés à débiter à la chaîne de fausses informations – évoqueront avec une certaine liberté des événements remontant à leur enfance ou les relations avec leurs familles. Même l’agent provocateur qui s’inventerait un père fictif laissera échapper certains sentiments réels en détaillant ses relations avec son substitut imaginaire. Si la personne responsable de la procédure sait comment mettre à l’aise la source potentielle, comment progresser avec précaution en toutes circonstances, celle-ci ne se méfiera pas d’une conversation informelle sur sa personnalité.

La personne conduisant la procédure préinterrogatoire a pour objectif de pousser la source à parler d’elle. Une fois celle-ci lancée, l’intervieweur ne doit plus la stopper – par des questions, des gestes ou d’autres interruptions – tant qu’elle n’en aura pas dit assez pour qu’il soit possible de cerner globalement sa personnalité. Pour que le sujet bavarde librement, il faut que le comportement de l’intervieweur respire la sympathie et la patience. Son visage ne doit pas révéler un intérêt particulier pour un domaine donné ; il lui faut juste paraître sympathique et compréhensif. Beaucoup de personnes ayant commencé à parler d’elles en viendront rapidement à évoquer des expériences passées. S’il se contente d’écouter et de lâcher à l’occasion une remarque modérée et encourageante, l’intervieweur peut en apprendre beaucoup sur la source. Des questions de routine au sujet de professeurs, patrons ou dirigeants la conduiront par exemple à dévoiler des informations intéressantes sur ce qu’elle ressent envers ses parents et supérieurs, ainsi que – par association d’idées – sur d’autres points revêtant à ses yeux une importance émotionnelle.

L’interrogateur doit essayer de se mettre à la place du sujet. Plus il en saura sur sa région d’origine et sur son milieu culturel, moins il sera susceptible de le déranger par une interruption malvenue. Des remarques telles que « Ça a dû être une sale période pour vous et pour votre famille », « Oui, je vois bien ce qui vous mettait en colère » ou « Cela me semble passionnant » sont suffisamment anodines pour ne pas distraire la personne interrogée, tout en apportant les signes attendus d’une écoute bienveillante. Prendre position pour la source et contre ses ennemis sert le même objectif ; des commentaires sur le mode « C’était injuste, ils n’avaient pas le droit de vous traiter ainsi » faciliteront l’établissement de bonnes relations et l’encourageront à en dire plus.

Dès cette étape, il importe de repérer les anomalies les plus flagrantes. Les personnes souffrant de maladies mentales prononcées manifesteront de sévères délires, hallucinations et altérations des faits ; elles expliqueront aussi leur comportement de manière étrange. Afin d’éviter de gaspiller du temps et de l’argent, il convient de les congédier ou d’aborder au plus vite la question de leur maladie avec des spécialistes.

Le second objectif de cette procédure, proche du premier, est d’émettre un avis éclairé sur le comportement attendu de la source au cours de l’interrogatoire à venir. Estimer les probabilités que la personne interrogée se montre coopérative, ou au contraire récalcitrante, se révèle essentiel pour organiser l’interrogatoire : des méthodes très différentes seront utilisées dans l’un ou l’autre cas.

Dans les stations ou les bases qui ne peuvent mettre en place de procédures préinterrogatoires au sens strict, il convient de faire précéder tout interrogatoire important par une interview de la source. Conduite par une autre personne que l’interrogateur, celle-ci doit fournir un maximum d’informations et d’évaluations avant que l’interrogatoire ne commence.

À moins qu’un effet de choc apparaisse nécessaire, la transition entre l’interview préinterrogatoire et l’interrogatoire lui-même ne doit pas être abrupte. Lors de la première rencontre avec la personne interrogée, l’interrogateur a tout intérêt à passer un peu de temps à poursuivre ce dialogue modéré et bienveillant qui caractérisait l’interview. Même s’il connaît déjà les données issues de la procédure préinterrogatoire, il doit aussi appréhender le sujet dans ses propres termes. Et s’il se comporte immédiatement de manière agressive, il donne à la première session d’interrogation (et, dans une moindre mesure, aux sessions suivantes) un tour trop arbitraire. Ainsi que l’a remarqué un expert : « Celui qui agit sans tenir compte de la puissance disjonctive de l’angoisse dans les relations humaines n’apprendra jamais à mener un interrogatoire » [34].

B. LES AUTRES PROCÉDURES PRÉLIMINAIRES

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Les procédures préliminaires visant à préparer des sources appartenant à une autre catégorie sont généralement moins difficiles. Il suffit de respecter les principes suivants :

1. Toutes les informations pertinentes disponibles doivent être exhumées et étudiées avant le début de l’interrogatoire – et même avant qu’il ne soit planifié. Un gramme d’investigation peut être plus utile qu’un kilo de questions.

2. Il convient de faire aussi rapidement que possible la distinction entre les sources qui seront envoyées à xxxxx x x x x x x x x x  x x x x x x x x x x x x x x x   site organisé et équipé pour l’interrogatoire, et celles prises en charge par la base ou la station avec laquelle le contact a initialement été établi.

3. La procédure conseillée pour conduire l’estimation préliminaire d’un agent de type défecteur reste la même xxxxx x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x xxxxx

Les points clés sont répétés ici par souci de commodité. Ces tests préliminaires ont pour objectif de compléter l’examen technique des documents du défecteur, le questionnaire substantiel sur le pays dont il dit être originaire et sur sa profession, ainsi que les autres investigations classiques. Si elles sont posées, les questions suivantes doivent l’être aussi vite que possible, immédiatement après le premier contact, alors que le défecteur est encore stressé et avant qu’il ne se soit fait à sa nouvelle routine :

a) le défecteur peut être sommé d’identifier tous ses amis et connaissances vivant dans les environs – voire dans l’ensemble du pays où il a fait défection pour se placer sous l’autorité de PBPRIME. Toutes les pistes doivent être explorées au plus vite. Les agents provocateurs sont parfois chargés de « retourner leur veste » dans leur zone cible, et leurs amis et connaissances déjà sur place peuvent se révéler être des éléments ennemis ;

b) lors de la première session de questions, l’intervieweur doit être à l’affût des formulations ou concepts caractéristiques d’une activité de renseignement ou d’une appartenance au Parti communiste. Il lui appartient de consigner de tels indices dès lors qu’un interrogatoire en bonne et due forme est prévu ;

c) il faut utiliser les techniques LCFLUTTER dès que possible. Si ce n’est pas le cas, le défecteur est informé qu’il subira ces tests à une date ultérieure. Les refus doivent être consignés, de même que toute indication montrant que le sujet a été briefé sur ces techniques par un autre service. Il convient de noter la manière dont il réagit à la proposition autant que sa réponse elle-même ;

d) si les techniques LCFLUTTER, la procédure préinterrogatoire, l’investigation ou toute autre méthode établissent que le sujet a une expérience dans le domaine du renseignement, il faut obtenir les informations basiques listées ci-dessous :

xxxxx x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x xxxxx [7].

xxxxx x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x xxxxx

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4. xxxxx x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x xxxxx

5. Tout document susceptible de peser dans l’interrogatoire à venir mérite d’être analysé. Ceux issus de pays du bloc soviétique ou qui semblent – d’une manière ou d’une autre – inhabituels ou étranges sont généralement envoyés à des spécialistes ou à des membres du Quartier général pour analyse technique.

6. S’il apparaît au cours de la procédure préinterrogatoire, ou lors de toute autre phase préliminaire, que la source a déjà été interrogée, l’interrogateur doit en être informé. Les agents sont par exemple habitués à être questionnés de manière répétitive et professionnelle, de même que les individus ayant été arrêtés plusieurs fois. Les personnes accoutumées à être interrogées se montrent très sophistiquées dans leur pratique et repèrent facilement les doutes, les pièges évidents et autres faiblesses.

C. RÉSUMÉ

La procédure préinterrogatoire et les autres préliminaires aident l’interrogateur – ainsi que sa base et sa station xxxxx xxxxx – à déterminer si la source éventuelle est susceptible : 1) de détenir des éléments utiles au contre-renseignement en raison de son association avec un service étranger ou avec le Parti communiste ; 2) de coopérer, de manière volontaire ou involontaire. Muni de ces estimations ainsi que des indices – quels qu’ils soient – fournis par la procédure préinterrogatoire sur la personnalité du sujet, l’interrogateur est prêt à s’organiser.

VII. PRÉPARER L’INTERROGATOIRE DE CONTRE-RENSEIGNEMENT

A. LA NATURE DE L’INTERROGATOIRE DE CONTRE-RENSEIGNEMENT

À long terme, l’objectif d’un tel interrogatoire est d’obtenir de la source toutes les informations utiles au contre-renseignement dont elle dispose. À court terme, il s’agit de s’assurer de sa coopération avant la fin du processus ou, si elle regimbe, de briser sa capacité de résistance afin qu’une attitude coopérative prenne le relais. Les techniques utilisées pour réduire la résistance à néant, pour s’assurer une réponse positive et pour susciter – au final – une coopération volontaire sont abordées dans le chapitre viii de ce manuel.

Il n’y a pas deux interrogatoires identiques. Tout interrogatoire est façonné par la personnalité de la source et par celle de l’interrogateur, parce qu’il est par essence un processus interpersonnel. Le but de la procédure préinterrogatoire est de tester les forces et faiblesses du sujet ; c’est aussi l’un des objectifs majeurs de la première étape de l’interrogatoire. Une fois que ces forces et faiblesses ont été établies et comprises, il devient possible de dresser un plan d’interrogatoire réaliste.

Planifier l’interrogatoire de contre-renseignement d’une source résistante demande une compréhension (formalisée ou non) des dynamiques de l’aveu. L’étude d’Horowitz sur la nature de ce dernier est ici instructive. Le chercheur se demande d’abord pourquoi quelqu’un passe aux aveux : « Pourquoi ne pas nier effrontément lorsqu’on est confronté à une accusation ? Pourquoi avouer sa culpabilité quand ne rien confesser conduit au pire à la même situation finale – et éventuellement à une meilleure […] ? » Horowitz répond que les aveux obtenus sans usage de la coercition sont généralement le fruit des conditions suivantes :

1. La personne est accusée, explicitement ou implicitement ; elle le ressent comme tel.

2. Sa liberté psychologique – le sentiment de pouvoir faire ce qu’elle veut – est par conséquent tronquée. Cette sensation ne naît pas nécessairement de la détention ou d’une autre réalité externe.

3. L’accusé est sur la défensive parce qu’il est sur un terrain instable. Il ignore ce dont a connaissance l’accusateur. Il en résulte que l’accusé « ne sait pas quel comportement adopter dans sa situation ; quel rôle jouer, en somme ».

4. Il perçoit l’accusateur comme représentant l’autorité. Tant qu’il n’est pas persuadé que les pouvoirs de celui-ci excèdent de loin les siens, il ne risque pas de se sentir pris au piège et de se mettre sur la défensive. En revanche, s’il « est convaincu que l’accusation s’appuie sur une preuve “tangible”, la balance entre les forces externes et les siennes se met à pencher en sa défaveur : sa position psychologique se fait alors plus précaire. Il est intéressant de noter que, dans de telles situations, l’accusé a tendance à esquiver les questions ou à donner des réponses exagérées ; à afficher son émotion et son hostilité ; à se montrer suffisant ; à contrer l’accusation ; à se justifier […] ».

5. On doit lui faire croire qu’il est coupé de toute force amie capable de le soutenir. Si c’est le cas, il devient lui-même sa seule planche de « salut ».

6. « Une autre condition indispensable – même si insuffisante à provoquer l’aveu – est que la personne accusée se sente coupable. Peut-être parce que la sensation de culpabilité provoque la haine de soi. » Il est certain que si elle ne ressent aucune culpabilité, la personne interrogée n’avouera pas un acte que d’aucuns pourraient regarder comme démoniaque ou mauvais, mais qu’elle considère en fait comme normal. Dans ce cas, peu importe que toutes les conditions précédemment mentionnées soient remplies : seul l’usage de la coercition pourra alors déclencher un passage aux aveux.

7. L’accusé est finalement poussé si loin sur le chemin de la confession qu’il lui apparaît plus facile de continuer que de faire machine arrière. Les aveux deviennent ainsi le seul moyen de se sortir du bourbier et de retrouver la liberté [15].

Ces extraits de l’étude d’Horowitz constituent une bonne base pour améliorer les procédures visant à faire avouer des sources dont l’opposition est à l’origine modérée, qui n’ont jamais été détenues ou soumises à un interrogatoire, et qui n’ont pas été formées aux techniques de résistance par un service de renseignement ou de sécurité ennemi. Des agents ou des communistes – novices ou insatisfaits – peuvent être amenés à coopérer ou à passer aux aveux sans que l’accusation ait recours à d’autres moyens de pression externes que la situation elle-même, via les éléments subjectifs décrits précédemment.

Il importe de comprendre que l’interrogatoire, comme situation et comme processus, exerce de lui-même une pression externe significative sur la personne interrogée. Au moins tant que cette dernière n’y est pas habituée. Certains psychologues associent même cet effet aux relations tissées durant l’enfance. Par exemple, Meerlo affirme que tout échange verbal répète, de manière plus ou moins marquée, le modèle des premières interactions orales entre l’enfant et ses parents [27]. Une personne subissant un interrogatoire aura tendance à se représenter celui qui le mène comme un parent ou un symbole parental. C’est-à-dire comme un objet appréhendé avec défiance et auquel on répond par une résistance ou – au contraire – par une soumission docile. Si l’interrogateur ne perçoit pas cette identification inconsciente, un conflit confus entre deux comportements artificiels peut en résulter : les sentiments exprimés à haute voix camouflent alors les luttes intérieures plus discrètes qui se trament entre les deux personnalités. À l’inverse, l’interrogateur comprenant ces réactions et sachant comment les tourner à son avantage ne sera pas forcément obligé de recourir à des moyens de pression plus forts que ceux qui découlent directement du cadre de l’interrogatoire et de sa fonction.

La pression qu’ils s’infligent à eux-mêmes et le simple effet de la situation d’interrogatoire ne suffisent évidemment pas toujours à faire céder les sujets résistants. C’est là que les techniques de manipulation – adaptées à la personnalité de la source et conçues pour l’influencer de l’extérieur – entrent en scène. L’une des hypothèses fondamentales de ce manuel est que ces méthodes permettent de faire régresser quelqu’un au niveau de faiblesse et d’immaturité nécessaire à la dissolution de sa résistance et à l’apparition d’une dépendance. De l’isolement jusqu’au recours à l’hypnose ou aux narcotiques, toutes les techniques utilisées pour faire basculer un interrogatoire ont d’abord pour effet d’accélérer le processus de régression. À mesure que la personne interrogée glisse de la maturité à un état plus infantile, ses traits de personnalité (artificiels et structurels) s’effacent. Ce délitement s’effectue à rebours de l’ordre chronologique : les traits de personnalité développés le plus récemment – ceux dont on fait usage pour se défendre – sont les premiers à faire défaut. Comme l’ont souligné Gill et Brenman, la régression est essentiellement une perte d’autonomie [13].

Mener avec succès l’interrogatoire d’une source résistante suppose également de lui fournir une bonne raison de capituler. Une fois la régression enclenchée, une pression interne croissante s’exerce sur la plupart des sources résistantes – celle-ci résulte de deux besoins contradictoires : garder le silence et parler. Pour échapper à cette tension, la personne interrogée cherchera à se saisir de toute justification lui permettant de sauver la face. Cette explication doit apaiser sa mauvaise conscience autant que la crainte de s’attirer les foudres d’anciens supérieurs et associés si elle est renvoyée en territoire communiste. Il incombe à l’interrogateur de fournir la bonne excuse au moment adéquat. Là encore, une bonne compréhension de la personne interrogée se révèle cruciale : toute justification, raison ou excuse doit être adaptée à sa personnalité.

Le processus d’interrogatoire est un continuum : chaque nouvel événement influence ceux à venir. En raison de sa nature interpersonnelle, ce processus n’est pas réversible. Il est donc déconseillé de débuter un interrogatoire de contre-renseignement de manière expérimentale, avec l’idée de multiplier les approches infructueuses jusqu’à découvrir la bonne méthode. Les échecs de l’interrogateur, ses tâtonnements dans des voies sans issue renforcent la confiance de la source et augmentent sa capacité de résistance. Pendant que l’interrogateur lutte pour arracher au sujet des éléments qui auraient dû être établis avant le début de l’interrogatoire, lui en apprend de plus en plus sur celui qui pose les questions.

B. PLANIFIER L’INTERROGATOIRE

Le fait même de planifier l’interrogatoire est le plus important ; les détails du plan sont secondaires. Puisqu’il n’en existe pas deux semblables, il n’est de toute façon pas réaliste de programmer – dès le départ et dans toutes ses composantes – un interrogatoire de A à Z. Mais celui-ci peut et doit être planifié de A à F, ou de A à M. Les probabilités d’échec d’un interrogatoire de contre-renseignement non planifié sont beaucoup trop élevées pour pouvoir être tolérées. Pis, une approche « nez dans le guidon » est susceptible de ruiner toute chance de succès, même si des méthodes appropriées sont ensuite utilisées.

La place du sujet dans la typologie du renseignement a beau ne pas être déterminante dans le processus de planification, elle revêt tout de même une certaine importance. Le schéma d’interrogatoire d’un voyageur diffère ainsi de celui des autres catégories, parce que le temps manque généralement pour lui poser des questions. Dans ces conditions, les tests de bonne foi sont souvent moins approfondis. Les voyageurs sont d’ordinaire considérés comme raisonnablement fiables si leur identité et leur non-appartenance à d’autres services de renseignement ont été établies, si l’examen de leur dossier ne révèle aucune information défavorable, si la présentation qu’ils font de leur cadre de vie ne comporte pas d’omission ou de contradiction suggérant qu’ils dissimulent des faits importants, s’ils ne tentent pas d’obtenir des informations sur l’intervieweur ou son commanditaire, et s’ils fournissent des renseignements détaillés qui semblent fiables ou ont été vérifiés.

xxxxx x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x xxxxx

En général, les transfuges peuvent être momentanément interrogés sans qu’un autre service s’en mêle. Mais il est probable qu’un service de renseignement d’ODYOKE fasse rapidement pression pour participer xxxxx x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x xxxxx. Dès le départ, il importe donc d’estimer la durée pendant laquelle des tests et analyses pourront être menés de manière unilatérale – sans pour autant fouler aux pieds les droits et intérêts des autres entités de la communauté du renseignement. S’il s’agit de transfuges soviétiques, il faut aussi garder à l’esprit l’importante proportion de ceux qui se sont révélés par le passé être des agents sous contrôle. Selon certaines estimations, ce pourcentage a pu atteindre un niveau aussi élevé que xxxxx x x x x   au cours des quelques années postérieures à 1955 [22].

L’absence de pouvoir exécutif de KUBARK est particulièrement regrettable en ce qui concerne l’interrogatoire d’un individu suspect d’être un agent, ou de tout autre sujet dont on estime qu’il va résister. Il est généralement difficile de mener avec succès un interrogatoire de contre-renseignement sur une source résistante si le service en charge n’est pas en mesure de contrôler le sujet et son environnement aussi longtemps que nécessaire.

xxxxx x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x xxxxx

C. POINTS SPÉCIFIQUES

1. Définition de l’objectif

Avant même de commencer à poser des questions, l’interrogateur doit savoir exactement ce qu’il veut apprendre, pourquoi il estime que la source détient l’information, quelle est l’importance de cette dernière et la meilleure manière de l’obtenir. Toute confusion à ce niveau, de même que toute séance de questions fondée sur la présomption que l’objectif prendra forme en cours de route, conduit presque invariablement à une interaction vaine et à un échec final. Si le but spécifique de l’interrogatoire ne peut être clairement établi, une investigation prolongée s’impose avant de passer à l’étape suivante.

2. Résistance

Si une résistance est prévue, ses caractéristiques et son intensité doivent être estimées. Il convient ainsi de déterminer à l’avance si l’information recherchée peut menacer – voire mettre à mal – les intérêts de la personne interrogée, de quelque manière que ce soit. Si c’est le cas, l’interrogateur doit se demander s’il est possible d’obtenir par une autre source la même information, ou une confirmation de celle-ci. Questionner immédiatement le sujet, sur une base factuelle imparfaite, représentera en général une perte de temps, et non un gain. En revanche, si la source ne considère pas l’information recherchée comme sensible, il vaut mieux lui poser directement la question plutôt que de ruser pour la pousser aux aveux et ainsi susciter un conflit inutile.

L’analyse psychologique préliminaire permet de savoir si le sujet risque de résister. Elle permet aussi de déterminer si cette résistance résultera de la crainte que ses intérêts personnels soient menacés ou tiendra à sa nature profonde – la source refusera de coopérer parce qu’elle appartient à la catégorie disciplinée-obstinée ou à un type approchant. Le choix des méthodes utilisées pour surmonter cette résistance est également fonction de la personnalité de la personne interrogée.

3. Le cadre de l’interrogatoire

La pièce dans laquelle se déroule l’interrogatoire ne doit offrir aucune distraction. Il faut ainsi éviter les couleurs vives pour les murs, le plafond, les tapis et les meubles. Et il convient, sauf s’ils sont ternes, de retirer tous les éléments picturaux des parois. Le choix d’installer ou non un bureau dans la pièce n’a rien à voir avec le confort de l’interrogateur ; il s’agit plutôt d’anticiper les réactions du sujet face à des éléments soulignant la supériorité et le caractère officiel. Mais une simple table se révélera parfois plus utile. Il peut aussi se révéler judicieux de fournir à la personne interrogée une chaise rembourrée plutôt qu’un siège en bois et aux montants rigides : si le sujet est longuement interrogé avant d’être privé de confort physique, le contraste augmentera l’impression de désorientation. Certains manuels d’interrogatoire insistent lourdement sur la disposition de l’éclairage : la source de lumière devrait être placée derrière l’interrogateur et éblouir directement le sujet. Là encore, il ne s’agit pas d’une règle catégorique. Si la source coopère, l’effet est inhibiteur ; si elle résiste, cette technique peut la rendre encore plus entêtée. Comme tous les autres détails, celui-ci doit être adapté à la personnalité de la personne interrogée.

Une bonne planification impose de se prémunir de toute interruption. Si la pièce est également utilisée pour d’autres activités, un écriteau « ne pas déranger » – ou son équivalent – doit être accroché à la porte tant que la séance se poursuit. L’effet provoqué par l’irruption d’un individu ayant oublié son stylo ou souhaitant inviter l’interrogateur à déjeuner peut se révéler dévastateur. C’est également pour cette raison que la pièce ne doit pas disposer de téléphone ; à n’en pas douter, il sonnerait au pire moment. Il constituerait en outre un lien évident avec l’extérieur ; sa présence permettrait à la personne interrogée de se sentir moins isolée, et plus apte à résister.

La pièce dans laquelle se déroule l’interrogatoire offre les conditions idéales pour photographier à son insu la personne interrogée ; il suffit, par exemple, de dissimuler l’appareil derrière un tableau.

Si un lieu jusqu’ici inusité est utilisé pour l’interrogatoire, il convient de l’explorer minutieusement afin de s’assurer que tous les éléments de l’environnement peuvent être mis à contribution en cas de besoin. L’installation électrique doit notamment être testée à l’avance ; des transformateurs et d’autres appareils du même genre seront mis à disposition si nécessaire.

Des aménagements permettent généralement d’enregistrer les interrogatoires ou de les retransmettre dans une autre pièce – voire les deux. Beaucoup d’interrogateurs expérimentés n’aiment pas prendre des notes. Le fait de ne pas s’encombrer de cette tâche leur permet de se concentrer sur ce que les sources disent, sur la manière dont elles le disent et sur ce que révèle leur comportement quand elles parlent ou écoutent. Il existe une autre bonne raison de ne pas prendre de notes : cela distrait – ou inquiète – la personne interrogée. À l’inverse, il suffit parfois de quelques sessions sans prise de notes pour que le sujet se berce de la douce illusion que ses paroles ne seront pas conservées. Un autre avantage de l’enregistrement tient à ce qu’il est possible de le faire réécouter plus tard ; certaines personnes sont déroutées lorsqu’elles entendent leur propre voix à l’improviste. Le fait d’enregistrer permet aussi d’éviter que le sujet déforme ensuite ses propos ou revienne sur ses aveux.

xxxxx x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x xxxxx

Un enregistrement constitue par ailleurs un outil précieux pour les interrogateurs souhaitant se perfectionner. Ils peuvent ainsi étudier leurs erreurs et leurs techniques les plus efficaces. Des interrogatoires particulièrement instructifs, ou des parties de ceux-ci, peuvent aussi servir à former d’autres personnes.

Dans la mesure du possible, il est également conseillé d’installer un équipement audio pour transmettre les échanges dans une autre pièce utilisée comme poste d’écoute. Le principal avantage de ce procédé est qu’il permet à la personne supervisant l’interrogatoire d’en noter les points essentiels et de mettre en place des stratégies plus élaborées : remplacer un interrogateur par un autre, organiser au moment adéquat une interruption dramatique, etc. Il convient aussi d’installer derrière le sujet une petite ampoule clignotante ou d’avoir recours à un autre dispositif permettant, sans que la source en ait conscience, de signaler à la personne posant les questions qu’elle doit quitter la pièce pour concertation, ou que quelqu’un est sur le point d’entrer.

4. Les participants à l’interrogatoire

Les personnes interrogées sont normalement questionnées séparément. Cet isolement permet de recourir à nombre de techniques qui ne seraient autrement pas envisageables. Il intensifie également chez la source l’impression d’être privée de tout soutien amical. Confronter deux suspects l’un à l’autre – ou davantage – en vue de susciter des accusations ou des aveux est un procédé particulièrement dangereux s’il n’a pas été précédé de sessions d’interrogatoire individuelles lors desquelles le retournement de l’un d’entre eux a eu lieu ou, au moins, des aveux les impliquant tous deux ont été évoqués. Les techniques à utiliser dans le cadre d’interrogatoires isolés sur des sources liées sont abordées dans le chapitre ix.

Le nombre d’interrogateurs intervenant lors d’un interrogatoire est variable : un seul dans certains cas, une équipe importante dans d’autres. La taille de cette dernière dépend de plusieurs considérations – principalement de l’importance du cas traité et de l’intensité de la résistance de la source. Bien que la plupart des sessions se résument à un interrogateur et à une personne interrogée, certaines des techniques décrites plus loin exigent la présence de deux, trois ou quatre interrogateurs. Les duos se révèlent particulièrement susceptibles d’entretenir des antipathies et conflits involontaires empiétant sur les rôles qui leur ont été assignés. De telles rivalités doivent donc être éliminées avant qu’elles ne se développent, lors de la planification ; la source cherchera sinon à les tourner à son avantage.

Les membres de l’équipe qui n’ont pas de fonction particulière peuvent être avantageusement employés au poste d’écoute. Des interrogateurs novices constateront qu’écouter le déroulement d’un interrogatoire peut avoir une haute valeur éducative.

Une fois la séance de questions lancée, l’interrogateur est supposé intervenir à un double niveau. Il lui revient en effet de concilier deux tâches apparemment contradictoires : nouer une relation avec le sujet et préserver son rôle d’observateur extérieur. S’il doit donner à la source récalcitrante une impression de puissance et de menace (de manière à éradiquer sa résistance et à créer les conditions nécessaires à l’établissement de bons rapports), il lui faut aussi – en son for intérieur – rester détaché et analyser les réactions du sujet et l’efficacité de sa propre prestation. Les mauvais interrogateurs confondent souvent ce fonctionnement sur deux niveaux avec un jeu d’acteur, alors qu’il y a une différence essentielle. L’interrogateur qui feint de ressentir un sentiment ou qui simule une certaine attitude envers la personne interrogée risque en effet de ne pas se montrer très convaincant ; la source ne tardera pas à découvrir la supercherie. Même les enfants percent rapidement à jour ce genre de simulacres. Pour être persuasive, la sympathie ou la colère doit être authentique. Pour être utile, elle doit aussi ne pas empiéter sur l’observation précise et détachée que conduit l’interrogateur. En dépit des apparences, le fait de mêler deux niveaux de comportement n’a rien de difficile ni même d’inhabituel. La plupart des gens adoptent occasionnellement cette attitude, se comportant à la fois comme acteurs et comme observateurs ; leur faculté critique ne disparaît que si la situation les bouleverse et que les émotions l’emportent. À force d’expérience, l’interrogateur peut même devenir un expert en la matière. Mais s’il s’estime émotionnellement impliqué – et donc incapable de faire preuve d’une totale objectivité –, il doit le signaler : on le remplacera. Malgré toutes les précautions prises durant la planification pour sélectionner un interrogateur dont l’âge, le cadre de vie, les compétences, la personnalité et l’expérience correspondent au mieux, il arrive en effet que le questionneur et le sujet ressentent, dès leur première rencontre, une attraction ou une antipathie immédiate ; celle-ci peut être si forte qu’elle impose un changement d’interrogateur. Aucun agent ne devrait rechigner à notifier à son supérieur son implication émotionnelle. Celle-ci ne constitue en rien une preuve de manque de professionnalisme ; ne pas en faire part, si.

Tout autre élément susceptible de provoquer un changement d’interrogateur doit être anticipé dès le début, et contré. Durant la première partie de l’interrogatoire, la relation entre celui qui pose les questions et la source est plus importante que les informations obtenues ; si un changement d’interrogateur brise ce lien, le remplaçant devra quasiment repartir de zéro. En réalité, il commencera même avec un handicap, parce que la source résistera plus efficacement : elle a déjà été interrogée. La base ou la station xxxxx x x x x   ne doit donc pas nommer au poste d’interrogateur en chef une personne dont la disponibilité ne s’étendrait pas jusqu’à la fin estimée du processus.

5. La gestion du temps

Avant que l’interrogatoire commence, il est nécessaire de calculer approximativement le laps de temps requis et celui dont disposeront ensemble l’interrogateur et la personne interrogée. Si la source n’est pas placée en détention, son emploi du temps habituel doit être examiné à l’avance de manière que l’entretien ne soit pas interrompu à un moment essentiel parce qu’elle a un rendez-vous ou qu’elle doit se rendre à son travail.

Extraire des informations d’un sujet récalcitrant constitue la partie la plus délicate du processus ; un interrogatoire ne doit donc pas débuter avant que toutes les données pertinentes – disponibles auprès de sources sympathisantes ou qui coopèrent – aient été recueillies.

Si la source est placée en détention, ses sessions d’interrogatoire ne doivent pas être organisées selon un emploi du temps régulier : la désorientation met à mal la capacité de résistance. On peut laisser le sujet tranquille pendant des jours ; on peut aussi le renvoyer à sa cellule, l’autoriser à dormir cinq minutes, puis lui infliger un interrogatoire qui sera conduit comme si un intervalle de huit heures séparait les deux sessions. Chaque séance doit ainsi être programmée pour perturber les repères temporels de la source.

6. La fin de l’interrogatoire

La fin d’un interrogatoire doit être prévue avant que la séance de questions commence. Le type de questions posées, les méthodes employées et même les objectifs visés peuvent dépendre de ce qui se passera une fois le processus terminé.

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Si la personne interrogée – suspectée d’être un agent ennemi sans pour autant mériter une vraie surveillance de contre-renseignement – est relâchée dans la nature, il importe d’éviter tout dénouement trop vague ; celui-ci serait susceptible de l’alerter sur nos doutes, mais n’apporterait aucune information valable. Les plus mauvais interrogatoires sont ceux qui déraillent vers un vide contre-productif.

Un certain nombre de détails pratiques relatifs à la fin du processus doivent également être pris en compte. Les documents seront-ils rendus au sujet interrogé et, si oui, seront-ils disponibles à temps ? Sera-t-il payé ? S’il s’agit d’un mythomane ou d’un agent ennemi, a-t-il été photographié ? Ses empreintes digitales ont-elles été relevées ? De futurs contacts sont-ils nécessaires ou souhaitables ? A-t-on prévu des dispositions pour le recontacter ? Est-ce qu’un document stipulant qu’il renonce aux poursuites a été signé ?

Nous avons souligné que la réussite dans l’interrogatoire d’une source résistante repose généralement sur deux procédés essentiels : il faut à la fois induire sa régression et lui offrir des échappatoires convenables. Si ces deux conditions sont remplies, pourquoi ne pas profiter de la docilité de la source pour essayer de la retourner ? Pour peu qu’on lui ait fourni une justification préservant son amour-propre, sa conscience ou les deux, un sujet ayant finalement avoué sera en effet souvent disposé à franchir un dernier palier : accepter les valeurs de l’interrogateur et faire cause commune avec lui. Cette conversion est impérative si un usage opérationnel est envisagé. Et même si la personne interrogée n’a plus d’utilité, son stock d’informations étant épuisé, on aura tout intérêt à passer un peu plus de temps avec elle pour lui inculquer de nouvelles valeurs. Tous les services non communistes ont régulièrement affaire à d’anciennes sources mécontentes qui les submergent d’exigences et de menaces, ou lancent des procédures hostiles quand leurs demandes ne sont pas satisfaites. C’est particulièrement vrai des transfuges, souvent hostiles à toute forme d’autorité : leurs menaces posent problème, comme le fait qu’ils portent l’affaire devant des tribunaux locaux, orchestrent la publication d’articles vengeurs ou fassent appel à la police locale. De façon plus large, tout individu ayant subi une forme de coercition externe lors de l’interrogatoire est susceptible de créer ultérieurement des problèmes. C’est pourquoi le temps passé à renforcer l’adhésion d’une source au monde de l’interrogateur ne représentera jamais qu’une fraction de celui requis pour étouffer ses éventuelles tentatives de représailles. Un converti peut en outre se révéler un atout utile et durable (cf. également les remarques de la section VIII. B. 4.).

VIII. L’INTERROGATOIRE DE CONTRE-RENSEIGNEMENT NON COERCITIF

A. REMARQUES GÉNÉRALES

Le terme « non coercitif » désigne les méthodes d’interrogatoire ne reposant pas sur la contrainte du sujet via une force supérieure et extérieure. Cela ne signifie pas pour autant que l’interrogatoire non coercitif soit conduit sans pression. Au contraire, l’objectif est d’en exercer un maximum ; au moins autant que nécessaire pour rendre le sujet coopératif. La différence est que cette pression s’exerce dans l’esprit même de la personne interrogée, sapant progressivement sa résistance, augmentant son envie de céder, jusqu’à finalement en faire l’agent de sa propre défaite.

La manipulation psychologique du sujet pour le faire coopérer, sans pour autant user de moyens externes le forçant à céder, paraît plus compliquée qu’elle ne l’est en réalité. L’interrogateur bénéficie d’un avantage initial évident. Dès le début, il en sait beaucoup plus sur la source que celle-ci n’en connaît sur lui. Il peut susciter et amplifier ce sentiment d’omniscience de multiples manières. Par exemple, en montrant à la personne interrogée un épais dossier arborant son nom de famille. Même si le dossier en question ne contient que des feuilles vierges, la familiarité affichée par l’interrogateur lorsqu’il se réfère à la personnalité du sujet peut parfois convaincre celui-ci qu’il sait tout de lui et que toute résistance est inutile.

Si la personne interrogée est maintenue en détention, l’interrogateur peut également manipuler son environnement. En la coupant simplement de tout contact humain, il « monopolise l’environnement social de la source » [3]. À la manière d’un père autoritaire, il décide quand la personne interrogée sera envoyée au lit, quand et ce qu’elle va manger, si elle sera récompensée pour bonne conduite ou punie pour son mauvais comportement. L’interrogateur peut façonner – et façonne réellement – le monde du sujet, créant un univers non seulement différent de celui auquel il est accoutumé, mais également bizarre en lui-même. Un monde où tous les repères temporels, spatiaux et sensoriels sont bouleversés. L’interrogateur peut ainsi radicalement modifier l’environnement de la personne interrogée. Une source refusant obstinément de s’exprimer sera par exemple maintenue seule en détention avant de se voir proposer, en toute amitié, une promenade en forêt inattendue. Elle se sentira alors si joyeuse et soulagée qu’elle ne pourra s’abstenir d’innocents commentaires sur la météo et les fleurs. Ceux-ci se mêleront bientôt aux souvenirs, de sorte qu’un précédent d’échanges verbaux aura été établi. Les Allemands et les Chinois ont déjà mis cette tactique en pratique.

L’interrogateur choisit aussi la clé émotionnelle – ou les clés émotionnelles – à faire jouer lors de l’interrogatoire, ou lors de n’importe quelle partie de celui-ci.

En raison de ces avantages et d’autres non mentionnés, « xxxxx x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x xxxxx » [3].

B. LA STRUCTURE DE L’INTERROGATOIRE

Un interrogatoire de contre-renseignement comprend quatre parties : l’approche, la reconnaissance, les questions détaillées et la conclusion.

1. La phase d’approche

La plupart des sujets résistant à l’interrogatoire tiennent tête au contre-renseignement pour une ou plusieurs des quatre raisons suivantes. La première est une réaction négative à la personnalité de l’interrogateur. Une prise de contact ratée ou une profonde antipathie peut pousser une source à ne pas coopérer, quand bien même elle n’aurait rien de significatif ou de préjudiciable à dissimuler. La deuxième raison tient à ce que certaines sources sont résistantes « par nature » – c’est-à-dire en raison d’un conditionnement antérieur – à toute attitude conciliante vis-à-vis de l’autorité. La troisième réside dans la conviction de la personne interrogée que l’information exhumée lui sera dommageable ou se révélera compromettante : la coopération avec l’interrogateur aurait pour elle des conséquences plus douloureuses que les effets de sa non-collaboration. La quatrième se fonde sur l’idéologie : la source s’est identifiée à une cause, à un mouvement politique ou à une organisation, ou encore à un service de renseignement concurrent. Peu importe son attitude à l’égard de l’interrogateur, sa propre personnalité ou ses craintes pour l’avenir : la personne se consacrant sans réserve à une cause hostile se montrera en général beaucoup plus résistante à l’interrogatoire.

L’un des objectifs principaux de la phase d’approche est de confirmer l’étude de caractère dressée pendant la procédure pré-interrogatoire, ainsi que de permettre à l’interrogateur de mieux comprendre la personnalité de la source. À moins que le temps presse, celui-ci ne devrait donc pas se préoccuper du fait que le sujet s’éloigne des buts de l’interrogatoire et en revienne à des préoccupations personnelles. Des informations importantes, restées dissimulées pendant la procédure préinterrogatoire, peuvent alors émerger. À mesure que la source parle, le compte rendu dressé pendant cette procédure prend vie : la case se fait individu. Et des monologues apparemment décousus, à propos de questions personnelles, précèdent parfois des aveux significatifs. Certaines personnes ne peuvent se résoudre à fournir des informations qui les présentent sous un jour défavorable avant un long préliminaire justificatif leur donnant le sentiment d’avoir préparé le terrain : l’interrogateur va alors comprendre pourquoi elles se sont comportées ainsi. Si le sujet veut absolument sauver la face, il serait contre-productif de le contraindre à aller droit au but. De son point de vue, il s’intéresse au sujet important : « Pourquoi ? » Il se sentirait offensé et pourrait refuser définitivement de coopérer si on le pressait un peu trop d’évoquer plutôt le « quoi ».

Il y a un autre avantage à laisser le sujet parler librement, même de façon décousue, lors de la première partie de l’interrogatoire : l’interrogateur est libre d’observer. La communication passe en effet largement par des moyens non verbaux. Un interrogateur compétent sait écouter les voix avec attention, apprenant beaucoup d’elles. Un interrogatoire n’est pas une représentation seulement verbale, mais aussi vocale ; la voix révèle la tension, la peur, l’aversion de certains sujets, et d’autres précieux pans d’information. Observer la bouche du sujet, généralement plus révélatrice que les yeux, peut en apprendre beaucoup. Les gestes et les attitudes racontent également quelque chose. Si un sujet a tendance à gesticuler à un moment, est physiquement détendu à un autre et reste impassiblement assis à un troisième, il est probable que ces postures constituent autant d’images physiques de sa tension mentale. À l’interrogateur de noter in petto les thèmes qui déclenchent de telles réactions.

Un manuel d’interrogatoire liste les indicateurs physiques suivants et recommande que les interrogateurs en notent les manifestations, non comme preuves concluantes, mais en tant qu’outils d’examen :

1. Un visage cramoisi est un indice de colère ou d’embarras, mais pas forcément de culpabilité.

2. Des sueurs froides constituent un puissant signe d’effroi et de choc.

3. Une figure blafarde indique la peur et montre en règle générale que l’interrogateur a touché juste.

4. Une bouche humide dénote de la nervosité.

5. La tension nerveuse se lit aussi dans le fait de triturer un mouchoir ou de serrer étroitement les mains.

6. Le stress émotionnel ou la tension sont susceptibles de provoquer un emballement du cœur, perceptible au pouls ou à la gorge.

7. Un léger halètement, le fait de retenir son souffle ou une voix tremblante peuvent trahir le sujet.

8. L’agitation peut prendre de multiples formes physiques ; toutes constituent de bons indices de nervosité.

9. Un homme en proie au stress émotionnel ou à la tension nerveuse rapprochera involontairement ses coudes de ses flancs. Il s’agit d’un mécanisme de défense instinctif.

10. Lorsque les jambes sont croisées, les oscillations du pied peuvent servir d’indicateur. La circulation du sang dans la jambe inférieure se trouve alors partiellement coupée, causant ainsi un léger mouvement du pied libre à chaque battement de cœur. Plus le rythme cardiaque augmente, plus l’agitation du pied se fait prononcée et perceptible.

Les silences sont également significatifs. Un processus d’auto-évaluation – mené à la vitesse de l’éclair – s’enclenche chaque fois qu’une personne évoque un sujet important à ses yeux. Celui-ci est plus intense si elle s’adresse à un étranger, et spécialement si elle répond à des questions posées par un étranger. Son but est alors de dissimuler toute information pointant sa culpabilité ou pouvant nuire à son amour-propre. Si les questions et réponses se rapprochent de sujets sensibles, les premières conclusions de cette auto-évaluation débouchent sur des blocages mentaux. Ceux-ci suscitent à leur tour des silences anormaux, des bruits incompréhensibles destinés à donner un répit à celui qui les émet, ou d’autres interruptions du même genre. Il n’est pas facile de distinguer les blocages innocents – choses refoulées par souci de prestige personnel – des blocages coupables, qui sont liés aux éléments que l’interrogateur veut connaître. Mais l’instauration de bons rapports [entre l’interrogateur et la personne interrogée] conduira à faire cesser les blocages innocents, ou au moins aboutira à leur réduction a minima.

Nouer de bons rapports est le deuxième objectif principal de la phase d’approche. L’interrogateur sait parfois à l’avance, grâce aux résultats du processus préinterrogatoire, que le sujet ne sera pas coopératif. À d’autres moments, la probabilité qu’il résiste est évaluée dès le début du processus. Par exemple, les agents ennemis sont souvent déterminés à résister ; ils en ont aussi les moyens, grâce à une couverture fictive ou à d’autres justifications. Dans tous les cas, les chances de voir la source fléchir augmentent à mesure que ses rapports avec l’interrogateur s’améliorent. En d’autres termes, un déficit en ce domaine peut la pousser à conserver par-devers elle une information qu’elle aurait sinon divulguée ; à l’inverse, de bons rapports peuvent provoquer un changement d’attitude chez un sujet d’abord décidé à ne rien révéler. L’interrogateur ne doit donc pas adopter un comportement hostile en réaction à l’animosité, ou entrer en quelque manière que ce soit dans le jeu des attitudes négatives qui pourraient lui être opposées. Pendant cette première phase, son attitude doit rester sérieuse, mais aussi modérément amicale (sans ostentation) et ouverte. La meilleure façon de couper court à des réflexions agressives de la source – du type « Je sais ce que tu es en train de chercher, pauvre minable, et je peux te dire tout de suite que tu ne l’obtiendras pas » – est de répondre imperturbablement : « Pourquoi ne pas me dire ce qui te met autant en colère ? » À ce stade, l’interrogateur doit éviter de se laisser entraîner dans un rapport conflictuel. Peu importe le niveau de provocation contenu dans l’attitude ou les mots de la personne interrogée. L’interrogateur ne doit pas protester faussement qu’il est son « copain » ou se laisser aller à l’énervement, mais plutôt manifester un calme intérêt pour ce qui l’a excitée, marquant dès le départ doublement son avantage : il a établi une supériorité qui lui sera utile par la suite, une fois l’interrogatoire avancé, et il a augmenté ses chances de nouer de bons rapports.

La durée de la phase d’approche est variable : elle dépend du temps nécessaire pour que de bons rapports s’établissent ou pour déterminer qu’une coopération volontaire est impossible. Cela peut être une question de secondes – littéralement – ou au contraire une difficile et fastidieuse bataille. Mais, quoi que cela coûte en termes de temps et de patience, les efforts pour rendre l’interrogateur sympathique à la source doivent se poursuivre tant que tous les moyens raisonnables d’y parvenir ne sont pas épuisés (à moins, bien entendu, que l’interrogatoire n’en vaille pas la peine). Au risque – sinon – que l’interrogatoire ne produise pas des résultats optimaux, voire se termine en eau de boudin. L’interrogateur ne doit pas non plus se décourager s’il estime qu’aucun homme sain d’esprit ne s’incriminerait en fournissant le type d’information recherchée. Les exemples de confessions et d’autres aveux de culpabilité découlant avant tout de la substitution du monde de l’interrogatoire au monde extérieur sont en effet légion. En d’autres termes, à mesure que l’ambiance et les repères du monde extérieur se font plus lointains, leur importance pour la personne interrogée se réduit. Ce monde est alors remplacé par la salle d’interrogatoire, ses deux occupants et la relation dynamique qui s’instaure entre eux. Et, au fil de la progression du processus, le sujet se fonde de plus en plus sur les valeurs du monde de l’interrogatoire, plutôt que sur celles du monde extérieur, pour décider de révéler ou de dissimuler des faits (à moins que les séances de questions ne constituent qu’une brève interruption dans le cours normal de sa vie). Dans ce petit monde comptant deux habitants, un choc des personnalités – à bien distinguer d’un conflit de finalités – prend vite des proportions exagérées, comme une tornade qui s’engouffrerait dans un tunnel. L’amour-propre de la personne interrogée et celui de l’interrogateur sont alors en jeu, et la première va dorénavant lutter pour maintenir le second à l’écart de ses secrets pour des raisons subjectives : elle refuse farouchement de passer pour un perdant, un être inférieur. Au final, de bons rapports ne garantissent nullement que le sujet n’optera pas pour la dissimulation ; ils garantissent en revanche que la résistance sera moins virulente, moins désespérément intense que si la confrontation prenait une tournure personnelle.

Lors de la phase d’approche, l’interrogateur qui devine que ce qu’il entend relève de la fable devrait résister à son impulsion – bien naturelle – de le clamer haut et fort. Chez certaines personnes, le besoin de sauver la face est si bien entremêlé à celui de préserver leur couverture que les accuser de mensonge aura pour seul effet d’intensifier leur résistance. Il est donc préférable de laisser à la source une voie de sortie, une possibilité de corriger son histoire sans paraître stupide.

S’il est décidé, plus avant dans l’interrogatoire, de confronter la personne interrogée aux éléments prouvant qu’elle a menti, la citation qui suit peut se révéler utile :

La séquence lors de laquelle le témoin malhonnête est confronté à ses contradictions est déterminante. Attendez d’avoir préparé le terrain pour abattre votre meilleure carte, de façon que le témoin ne puisse ni nier ni expliquer les faits auxquels il est confronté. On voit souvent les preuves les plus irréfutables – qu’elles se présentent sous forme écrite ou de déclaration sous serment – tomber totalement à plat, simplement à cause de la façon maladroite dont elles ont été amenées. Si vous avez en votre possession une lettre dans laquelle le témoin prend sur certains points de l’affaire une position contraire à celle qu’il vient d’énoncer sous serment, il convient d’éviter cette erreur classique consistant à lui montrer la lettre pour identification, puis à la lui lire avant de demander : « Qu’avez-vous à répondre ? » Pendant la lecture, le témoin rassemblera en effet ses esprits et préparera une réponse à la question qu’il aura anticipée, en sorte que tout l’effet dommageable de la missive sera perdu […]. La bonne manière d’en user est d’amener tranquillement le témoin à répéter la déclaration qu’il a faite dans son témoignage oral et qui contredit celui de sa lettre. Puis de lui lire cette dernière. Il n’a alors plus aucune explication [à fournir]. Il a exposé des faits, il n’y a plus rien à préciser [41].

2. La phase de reconnaissance

Si la personne interrogée collabore dès le début, ou si de bons rapports pendant la phase d’approche l’y conduisent, la phase de reconnaissance ne sert à rien ; l’interrogateur doit directement passer aux questions détaillées. Mais, si la source rechigne encore, un temps d’exploration s’impose. Des hypothèses ont normalement déjà été dressées quant à ce qu’elle refuse de divulguer. Elle serait par exemple un intrigant, un agent du RIS – ou toute autre fonction qu’elle souhaite dissimuler. Ou encore, elle aurait connaissance de semblables activités menées par quelqu’un d’autre. Dans tous les cas, l’objectif de la phase de reconnaissance est de mettre rapidement cette hypothèse à l’épreuve et – plus essentiel encore – de sonder les raisons, l’étendue et l’intensité de la résistance.

Pendant la phase d’approche, l’interrogateur a identifié les zones probables de résistance en notant les sujets ayant suscité des réactions physiques ou émotionnelles, des difficultés de langage ou tout autre signe de blocage. Il lui revient désormais de sonder ces zones. Tout interrogateur expérimenté sait que l’anxiété d’une personne interrogée qui se refuse à divulguer une information augmente quand les questions s’en rapprochent. Plus les thèmes abordés sont rassurants, plus la source se montre volubile. Mais, à mesure que les questions la mettent de plus en plus mal à l’aise, la personne interrogée devient moins communicative – voire mutique. Pendant la phase d’approche, l’interrogateur a accepté ce mécanisme de protection. Mais il doit maintenant revenir sur chacune de ces zones sensibles jusqu’à ce qu’il en ait déterminé l’emplacement précis et qu’il ait estimé l’intensité de leurs défenses. Si la résistance est faible, un brin d’insistance devrait en venir à bout ; les questions détaillées suivront dans la foulée. Mais, si l’opposition est forte, il convient d’introduire un nouveau sujet de discussion : les questionnements plus poussés sont en effet réservés à la troisième phase de l’interrogatoire.

Deux écueils sont particulièrement susceptibles d’émerger pendant la phase de reconnaissance. L’interrogateur n’a jusqu’alors pas poursuivi plus avant son questionnement quand il rencontrait une résistance. C’est désormais le cas, et les rapports peuvent se durcir. Certaines personnes interrogées prendront pour elles ce changement et personnaliseront l’affrontement. L’interrogateur doit résister à une telle évolution. S’il y cède, s’engageant dans une bataille d’ego, il risque de ne pas être capable de mener sa tâche à son terme. Il ne doit pas non plus se laisser aller à son inclination à recourir à la ruse et à la coercition pour régler l’affaire ici et maintenant. L’objectif essentiel de la phase de reconnaissance est de déterminer le genre et le degré de pression qui seront nécessaires dans la troisième phase. L’interrogateur ne devrait pas user de sa puissance de feu tant qu’il ne sait pas ce qui l’attend.

3. Les questions détaillées

Si de bons rapports ont été établis et si la personne interrogée n’a rien de significatif à dissimuler, la séance de questions détaillées ne pose que des problèmes de routine. La plupart des considérations de base sont les suivantes.

L’interrogateur doit savoir exactement ce qu’il veut. Il lui faut noter ou avoir clairement à l’esprit toutes les questions auxquelles il cherche à répondre. Il arrive fréquemment que la source recèle un large panel de données n’ayant qu’une maigre – voire aucune – valeur informative, pour seulement quelques renseignements précieux. Elle aura naturellement tendance à parler de ce qu’elle connaît le mieux. L’interrogateur ne doit ici pas se montrer impatient, mais au contraire laisser la conversation emprunter des chemins de traverse. Ce qui importe, c’est ce dont nous avons besoin – et non ce que la personne interrogée peut fournir le plus facilement.

Il est en même temps primordial de tout faire pour que la personne interrogée ne puisse deviner précisément, via le déroulement de l’interrogatoire, où se situe notre déficit d’information. Ce principe est particulièrement important si la source mène une vie ordinaire, rentre chaque soir à la maison et n’est interrogée qu’une à deux fois par semaine ; ou si sa bonne foi n’est pas établie. Quelles que soient les circonstances, il faut éviter de divulguer précisément ce qui nous intéresse et ce que nous savons. Même si la source est des plus coopérative, lui tendre une série de questions dans l’ordre et lui demander d’inscrire les réponses est une piètre façon de procéder (cette restriction ne s’applique pas à l’écriture d’une notice autobiographique ou concernant un sujet ne faisant pas l’objet de controverses avec la source). Lorsque la personne interrogée use de techniques de dissimulation, il est normal de perdre du temps sur des sujets de peu d’intérêt (ou n’en ayant aucun). L’interrogateur peut même, à l’occasion, se montrer complice en prenant des notes – ou en feignant d’en prendre – quand il s’agit de faits auxquels la personne interrogée semble accorder de l’importance, mais qui n’ont pas valeur de renseignement. De ce point de vue, un interrogatoire peut être considéré comme réussi lorsqu’un agent franchement hostile doit se contenter de rapporter à son camp le cadre général de nos intérêts, échouant à les déterminer précisément sauf à y inclure des informations fausses.

Il est conseillé de rédiger chaque compte rendu d’interrogatoire le jour même de celui-ci ou, au moins, avant la prochaine session ; cela permet de remédier rapidement aux imperfections et de pointer à temps les insuffisances et les contradictions.

Il peut aussi se révéler payant de pousser la personne interrogée à prendre note des sujets à aborder, qui lui viendraient à l’esprit pendant qu’elle est en train de répondre, afin qu’elle ne perde pas de vue le fil de la discussion. Le fait de coucher sur papier des éléments ou des idées vagues les fixe dans l’esprit de la source. Les sujets émergeant à l’improviste sont d’ordinaire oubliés s’ils ne sont pas notés ; ces digressions ont aussi tendance à nuire au déroulement de l’interrogatoire si elles sont abordées sur-le-champ.

Les questions de débriefing doivent normalement être formulées et énoncées précisément, de façon à entraîner une réponse positive. Le questionneur ne peut se contenter d’une réponse purement négative sans creuser plus avant. Par exemple, la question « Connaissez-vous l’usine X ? » est plus susceptible d’induire une dénégation que « Avez-vous un ami qui travaille à l’usine X ? » ou « Pouvez-vous me dire à quoi elle ressemble ? ».

Il est essentiel de déterminer si la connaissance que la source a d’un sujet a été acquise de première main, si elle a été obtenue indirectement ou si elle est fondée sur des extrapolations. Si l’information a été obtenue de manière indirecte, il est nécessaire d’identifier la source primaire et le canal par lequel elle lui est parvenue. Si la déclaration repose sur des hypothèses, il convient d’évaluer les faits sur lesquels la conclusion est fondée.

À mesure que la séance de questions détaillées progresse, il importe de relever les données biographiques additionnelles qui ne manqueront pas d’émerger. Ces points doivent figurer dans le compte rendu, mais il est préférable de ne pas abandonner un thème impersonnel pour suivre la piste biographique. Ces éléments pourront être abordés plus tard, à moins qu’ils ne fassent surgir de nouveaux doutes sur la bonne foi de la source.

Au fur et à mesure que se poursuit l’interrogatoire détaillé, et spécialement à partir de la moitié du processus, l’interrogateur risque davantage de céder à l’impatience et de se montrer trop sérieux, voire brusque. Alors qu’il se préoccupait du bien-être du sujet à l’ouverture de la session, il peut avoir tendance à le prendre de moins en moins en compte, voire à l’évacuer complètement. Les souvenirs ou digressions sont également susceptibles de le faire réagir plus abruptement. S’il s’intéressait il y a peu à la personne elle-même, il ne cherche désormais plus qu’à lui faire dire ce qu’elle sait. Pour peu qu’elle entretienne de bons rapports avec l’interrogateur, la source détectera et ressentira rapidement ce changement d’attitude – c’est particulièrement vrai s’il s’agit d’un transfuge en proie à des changements déstabilisants et à un profond trouble émotionnel. Toute source a ses hauts et ses bas, qu’elle soit fatiguée, patraque, ou que des problèmes personnels l’aient nerveusement affectée. D’autant que l’étrange intimité de la salle d’interrogatoire et l’existence de bons rapports avec l’interrogateur la pousseront souvent à parler de ses doutes, peurs et autres ressentis personnels. Il ne faut pas l’interrompre brutalement ni se montrer impatient – sauf si cela dure trop longtemps ou s’il apparaît que toute conversation portant sur des sujets personnels n’est rien d’autre qu’un écran de fumée délibéré. Dès lors que l’interrogateur juge la source coopérative, il devrait d’ailleurs lui manifester, du début à la fin du processus, un intérêt constant. Il n’en va pas de même pour la personne interrogée : à moins que l’interrogatoire ne tire à sa fin, elle se montrera de plus en plus fermée ou hostile à l’encontre de l’interrogateur. Si ce dernier souhaite maintenir les relations en l’état, il doit donc impérativement conserver la même attitude calme, sereine et ouverte pendant tout le processus.

La séance de questions détaillées prend fin quand : 1) toutes les informations utiles au contre-renseignement ont été obtenues ; 2) la qualité décroissante des réponses et d’autres engagements plus pressants en imposent l’arrêt ; 3) la base ou la station prend acte d’un échec partiel ou total. Une interruption pour toute autre raison que la première ne peut être que temporaire. C’est une lourde erreur que de penser en avoir fini avec une personne qui a résisté avec succès à l’interrogatoire ou dont tout le potentiel n’a pas été exploité lors de celui-ci. KUBARK doit au contraire suive son évolution, parce que les gens et les circonstances changent. Tant qu’une source est en vie et ne nous a pas communiqué tout ce qu’elle sait d’utile à nos objectifs, son interrogatoire n’est pas réellement terminé ; il est seulement interrompu, parfois pendant des années.

4. La conclusion

La fin d’un interrogatoire ne marque pas celle des responsabilités de l’interrogateur. Du début du processus jusqu’à la dernière question, il est nécessaire de prendre en compte – pour s’en prémunir – les différents dommages que peut causer une ex-source vindicative. Nous l’avons dit, le manque d’autorité exécutive de KUBARK à l’étranger et son besoin opérationnel d’anonymat nous rendent particulièrement vulnérables aux attaques devant les tribunaux ou dans la presse. La meilleure défense face à celles-ci repose sur la prévention, à travers le recrutement du sujet ou sa collaboration prolongée avec KUBARK. Même si la coopération réelle est terminée, cela permet de prévenir le déclenchement d’hostilités. La source qui résistait initialement peut devenir coopérative en s’identifiant à l’interrogateur et à ses centres d’intérêt, ou verser dans une telle identification en raison même de sa coopération. Dans les deux cas, il y a peu de risques qu’elle provoque de sérieux dommages à l’avenir. Les difficultés majeures proviennent le plus souvent de personnes interrogées ayant réussi à ne rien révéler.

Les étapes suivantes sont considérées comme des éléments de routine pour la fin de l’interrogatoire :

a) xxxxx x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x xxxxx

d) xxxxx x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x xxxxx

e) xxxxx x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x xxxxx

f) xxxxx x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x xxxxx

C. TECHNIQUES NON COERCITIVES D’INTERROGATOIRE D’UNE SOURCE RÉSISTANTE

Si la source se montre résistante au cours de la procédure pré-interrogatoire, de la phase d’approche ou de celle de reconnaissance, il est possible d’appliquer des méthodes non coercitives pour saper son opposition et la pousser à coopérer. Bien que ces méthodes soient classées ici selon un ordre (approximatif) croissant de pression induite, cela ne signifie pas qu’il faille les essayer toutes jusqu’à ce que l’une d’elles porte ses fruits. Au contraire, une grande part de l’habileté et du succès de l’interrogateur expérimenté tient dans sa faculté à faire correspondre la méthode à la source. L’usage de techniques infructueuses ne fera en revanche qu’augmenter la volonté et les capacités de résistance de la personne interrogée.

Ce principe influe aussi sur l’éventuelle décision d’employer des méthodes coercitives et détermine le choix de celles-ci. Si l’interrogateur estime qu’une source résolument résistante possède l’aptitude et la détermination nécessaires pour déjouer toute technique non coercitive ou toute combinaison de ces techniques, il est préférable de ne pas y avoir recours du tout.

L’efficacité de la plupart des méthodes non coercitives dépend de leur effet traumatisant. Le contexte d’un interrogatoire est en lui-même dérangeant pour la majorité des personnes qui le subissent pour la première fois. Il importe donc d’accroître ces effets, de bouleverser radicalement les automatismes émotionnels et psychologiques de la personne interrogée. Quand cet objectif est atteint, sa résistance se trouve déjà sérieusement affaiblie. Il existe en outre un laps de temps – parfois extrêmement bref – pendant lequel la personne interrogée perd tous ses moyens, subissant une sorte de choc psychologique ou de paralysie. Ce phénomène est le fruit d’un choc traumatique, plus ou moins intériorisé, qui provoque en quelque sorte l’implosion du monde tel que le connaît la source, ainsi que de l’image qu’elle se fait d’elle-même en ce monde. Les interrogateurs expérimentés reconnaissent cet effet quand il se produit, et savent que la personne interrogée est alors beaucoup plus ouverte aux suggestions et bien plus susceptible de plier qu’elle ne l’était juste avant.

Les méthodes non coercitives (aussi bien que coercitives) ont fréquemment pour effet de provoquer un sentiment de culpabilité chez la personne interrogée. Des zones de culpabilité parsèment la topographie émotionnelle de la plupart des gens, et un interrogateur peut souvent déterminer leur emplacement en se contentant de noter les refus de suivre certaines trames du questionnaire. Que les causes de ce sentiment de culpabilité soient réelles ou imaginaires n’affecte en rien les conséquences de son amplification. Le fait de ressentir de la culpabilité accroît d’ordinaire l’anxiété de la source et son désir de coopération – cette dernière étant vue comme un moyen de fuite.

En résumé, les techniques à suivre dépendent de la personnalité de l’individu interrogé ; leur efficacité est accrue si elles sont appliquées au bon moment, avec une rapide exploitation de l’état de choc (quelques-uns des points suivants sont extraits d’un ouvrage de Sheehan [32]).

1. Se tourner vers une autre source

L’information souhaitée peut parfois être obtenue d’une autre source – coopérative – si la personne interrogée se montre récalcitrante. Il revient à l’interrogateur de décider si des aveux de celle-ci sont vraiment indispensables à la poursuite de son objectif ou si cette information, qui pourrait être en possession d’autres sources, constitue un but en soi. La tâche consistant à extorquer la vérité à une source refusant de la livrer ne devrait être entreprise que s’il n’est pas possible d’obtenir la même information ailleurs et plus facilement, ou si des considérations opérationnelles rendent nécessaires des aveux de cette source en particulier.

2. « Personne ne t’aime »

Une source dissimulant des faits dont la divulgation n’aurait pas de graves conséquences personnelles peut parfois être convaincue de parler si on lui fait comprendre que toutes les informations collectées à son sujet proviennent d’autres personnes. Ici, l’interrogateur montre qu’il est animé par un désir de justice. Il reconnaît donc que certains des accusateurs ont pu se montrer partiaux ou malveillants. Mais il constate aussi que les faits demeureront forcément biaisés si la personne interrogée ne rétablit pas l’équilibre. La source se doit à elle-même de s’assurer que l’interrogateur entende aussi sa version des faits.

3. L’œil qui voit tout (ou : « La confession est bonne pour ton âme »)

L’interrogateur, qui connaît déjà un pan de son histoire, explique à la source que le but de l’interrogatoire n’est pas d’obtenir davantage d’informations : il sait déjà tout. Son véritable objectif est de tester sa sincérité (fiabilité, sens de l’honneur, etc.). L’interrogateur pose donc quelques questions dont il connaît la réponse. Si la personne interrogée ment, il l’avertit d’un ton ferme et froid qu’il s’en est rendu compte. En présentant habilement les éléments en sa possession, il peut ainsi convaincre une source naïve que ses secrets sont éventés et que toute résistance supplémentaire serait aussi vaine que risquée. Si cette technique ne porte pas rapidement ses fruits, elle doit être abandonnée avant que la personne interrogée ne découvre ce que l’interrogateur sait en réalité.

4. L’indicateur

La détention rend possible un certain nombre de ruses. Celle consistant à placer un indicateur comme compagnon de cellule de la source est si connue, spécialement dans les pays communistes, que son utilité est réduite, voire inexistante. Moins répandue est l’astuce consistant à placer deux indicateurs dans la cellule. L’un, A, essaye de temps en temps de soutirer quelques informations à la source ; l’autre, B, reste tranquille. Au moment idoine, alors que A est absent, B avertit la source de ne rien lui dire, parce qu’il soupçonne A d’être un indicateur. Quant à la suspicion envers un compagnon de cellule unique, elle peut parfois être réduite à néant pour peu que celui-ci montre à la source un micro dissimulé qu’il a « trouvé », et qu’il lui suggère de ne communiquer avec lui que par chuchotements et à l’autre extrémité de la pièce.

5. Des nouvelles de chez vous

L’interrogateur peut parfois mettre une personne interrogée dans de bonnes dispositions en l’autorisant à recevoir quelques missives familiales soigneusement sélectionnées. De même, permettre à la source d’envoyer des lettres, surtout si on lui fait croire qu’elles seront transmises clandestinement et sans que les autorités en aient connaissance, peut donner accès à des informations qu’il serait malaisé d’obtenir par des questions directes.

6. Le témoin

Quand une personne interrogée nie ce dont elle a été accusée par d’autres, qu’il s’agisse d’espionnage au profit d’un service hostile ou d’autres activités, il paraît tentant de la confronter à son ou ses détracteurs. Mais une confrontation rapide a deux défauts : elle peut renforcer la détermination à nier et elle gâche les chances d’user de méthodes plus subtiles.

L’une de ces dernières consiste à déplacer la personne interrogée dans un bureau adjacent. Puis d’amener, sous escorte et jusqu’au premier bureau, un accusateur qu’elle connaît personnellement ou bien n’importe qui susceptible de savoir ce qu’elle dissimule ; il peut même s’agir d’une personne amicale envers la source et non coopérative avec les interrogateurs. Il est essentiel que la personne interrogée sache que ce témoin est en possession d’informations l’incriminant, ou qu’elle l’en suspecte. On fait alors passer sans ménagement le témoin devant la source ; les deux ne sont pas autorisés à se parler. Un garde et une sténographe restent ensuite en compagnie de la personne interrogée dans le bureau adjacent. Environ une heure plus tard, l’interrogateur ayant précédemment questionné la personne interrogée ouvre la porte et demande à la sténographe de venir, avec son bloc et ses crayons. Elle revient un moment après et se met à taper le texte de son bloc, réalisant plusieurs copies carbone. Puis elle s’interrompt, montre du doigt la source et demande au garde comment s’épelle son nom. Elle peut aussi s’enquérir directement auprès de la personne interrogée de l’orthographe correcte d’un nom de rue, de prison ou d’un officier d’un service de renseignement communiste, ou de n’importe quel élément étroitement lié à l’activité dont elle est accusée. La sténographe emporte son travail terminé dans l’autre pièce, en revient, puis demande au téléphone que quelqu’un vienne faire office de témoin légal : un autre homme apparaît alors et entre dans le bureau. On peut avoir fait sortir par une porte arrière, au début de la procédure, la personne jouant le rôle de l’indicateur ; ou la laisser poursuivre son rôle, si elle est coopérative. Quoi qu’il en soit, deux interrogateurs, accompagnés ou non de l’indicateur, sortent alors du bureau adjacent. Bien loin de leur attitude précédente, ils sont maintenant décontractés et sourient. L’interrogateur responsable s’adresse au garde : « OK, Tom, tu peux le ramener. Nous n’avons plus besoin de lui. » Même si la personne interrogée insiste désormais pour donner sa version de l’histoire, on lui dit de se détendre et on l’informe que l’interrogateur viendra la voir le lendemain ou le jour d’après.

Une séance avec le témoin peut aussi être enregistrée. S’il dénonce la personne interrogée, c’est parfait. Si ce n’est pas le cas, l’interrogateur doit s’efforcer de le faire parler d’un agent hostile récemment condamné en justice ou de quelqu’un d’autre qu’il connaît. Lors de la prochaine session d’interrogatoire avec la source, on peut lui faire écouter une partie de la dénonciation enregistrée. Ou bien les commentaires – remaniés en cas de nécessité – du témoin sur l’espion connu, de manière à lui faire croire qu’il est l’objet de ces remarques.

On peut aussi inciter un témoin coopératif à exagérer, en sorte que si on fait entendre son enregistrement à la personne interrogée ou si une confrontation est organisée, la source – suspectée par exemple de faire office de messager – constate que le témoin surestime son importance. Ce dernier peut ainsi affirmer que la personne interrogée est peut-être messager à l’occasion, mais qu’elle est surtout à la tête d’une équipe de kidnapping du RIS. L’interrogateur surjoue la stupéfaction et déclare dans le magnétophone : « Je pensais qu’il n’était qu’un messager ; je l’aurais laissé partir s’il l’avait reconnu. Mais là, c’est beaucoup plus sérieux. Sur la base de telles charges, je vais devoir le remettre à la police locale pour qu’il soit jugé. » En entendant ces remarques, la personne interrogée devrait avouer la vérité sur sa culpabilité, bien moins importante, pour écarter un châtiment plus sévère. Si elle s’entête, l’interrogateur peut prendre fait et cause pour elle en déclarant : « Tu sais, je ne suis pas du tout convaincu que ce petit minable raconte correctement l’histoire. Je sens, personnellement, qu’il a beaucoup exagéré. Ce n’était pas le cas ? Était-ce la véritable histoire ? »

7. Suspects complices

Si deux sources interrogées, ou davantage, sont suspectées d’avoir conjointement commis des actes directement dirigés contre la sécurité des États-Unis, elles doivent être immédiatement séparées. À condition de disposer du temps nécessaire (et en fonction des évaluations psychologiques), il peut être utile de reporter leur interrogatoire d’une semaine environ. Toute demande angoissée de renseignements de l’une ou l’autre doit être accueillie par un sourire entendu et par une réponse du style : « Nous viendrons vers vous en temps et en heure. Il n’y a plus d’urgence, désormais. » Si des documents, des témoignages ou d’autres sources apportent des informations sur la personne interrogée A, des réflexions du genre « B dit qu’à Smolensk tu as dénoncé untel à la police secrète. Est-ce vrai ? Était-ce en 1937 ? » aident à ancrer dans son esprit la conviction que B l’a trahi.

Dans le cas où l’interrogateur est à peu près certain des faits, mais ne parvient pas à obtenir d’aveux de A ou de B, il est possible de rédiger une confession écrite et de reproduire au bas de celle-ci la signature de A (le fait que B puisse reconnaître le paraphe de A est utile, mais pas indispensable). La confession contient les faits essentiels, mais sous une forme biaisée ; elle montre que A essaie de rejeter l’entière responsabilité sur B. Un enregistrement sur bande magnétique, remanié de façon que A paraisse avoir dénoncé B, peut aussi être utilisé dans ce but – séparément ou conjointement avec la « confession » écrite. Si A se sent un peu malade ou abattu, on peut le conduire devant une fenêtre à travers laquelle B l’apercevrait, ou organiser une rencontre sans que les deux suspects puissent se parler ; B est alors susceptible d’interpréter le regard de chien battu de A comme le signe d’aveux ou de dénonciations (pour toutes ces manœuvres, il importe que A soit – émotionnellement et psychologiquement – le plus faible des deux.). Ensuite, B lit (ou entend) la « confession » de A. Si B résiste toujours, l’interrogateur doit promptement le congédier, en affirmant que les aveux de A suffisent et qu’il importe peu qu’il collabore ou non. Lors de la séance suivante avec B, l’interrogateur choisit des sujets mineurs, peu préjudiciables à B, mais néanmoins exagérés, et remarque : « Je ne suis pas sûr que A ait été réellement équitable envers toi. Voudrais-tu m’expliquer avec soin ta version de l’histoire ? » Si B mord à cet hameçon, l’interrogateur se trouve désormais dans une position intéressante.

La tactique des bureaux adjacents peut aussi être employée. A, le plus faible, est amené dans le premier bureau, et la porte est laissée entrebâillée, ou le vasistas légèrement ouvert. B est ensuite emmené par un gardien dans l’autre bureau et placé à un endroit où il peut entendre – mais peu distinctement. L’interrogateur commence à poser des questions très classiques à A, parlant plutôt doucement et incitant A à en faire autant. Une autre personne présente dans le premier bureau et dont le rôle a été préalablement défini raccompagne ensuite silencieusement A, le faisant sortir par une autre porte. Tous les bruits de ce départ sont couverts par l’interrogateur, qui fait tinter le cendrier, ou bouge une table ou une chaise. Aussitôt que la seconde porte est refermée et que A est hors de portée de voix, l’interrogateur reprend le fil de ses questions. Il hausse la voix et semble en colère. Il demande à A de parler plus fort, parce qu’il ne parvient pas à l’entendre clairement. Il devient grossier, sa voix monte en intensité, puis il dit : « Eh bien, c’est mieux. Pourquoi n’as-tu pas dit cela dès le début ? » La suite de son monologue est destinée à donner l’impression à B que A a désormais commencé à dire la vérité. Soudain, l’interrogateur passe sa tête par la porte d’entrée et s’énerve en voyant B et son gardien. « Espèce d’idiot, dit-il au gardien, qu’est-ce que tu fais ici ? » Il coupe court aux marmonnements du gardien qui tente de justifier son erreur, criant : « Emmène-le hors d’ici ! Tu ne perds rien pour attendre ! »

Quand l’interrogateur estime que B est pratiquement persuadé que A a cédé et qu’il a raconté son histoire, il peut déclarer ceci à B : « Maintenant que A a tout avoué, j’aimerais le laisser partir. Mais je détesterais relâcher l’un d’entre vous avant l’autre ; vous devriez sortir en même temps. A semble nourrir beaucoup de ressentiments à ton égard – il a le sentiment que tu l’as mis dans la mouise. Il pourrait même retourner voir votre officier traitant soviétique et lui dire que tu n’es pas revenu parce que tu as accepté de rester ici et de travailler pour nous. Est-ce que ça ne serait pas mieux pour toi si je vous libérais en même temps ? Est-ce que tu n’aurais pas intérêt à me donner ta version de l’histoire ? »

8. Ivan est une andouille

Il peut être utile, face à un agent hostile, de souligner que sa couverture est bancale, que son service de renseignement a bâclé le boulot et que c’est typique de ce service de se désintéresser du bien-être de ses agents. L’interrogateur peut personnaliser ce boniment en expliquant qu’il a été impressionné par son courage et son intelligence. Il lui fait ainsi accepter l’idée qu’il est – à la différence de son service – un véritable ami, qui le comprend et prendra soin de son bien-être.

9. Le couple d’interrogateurs

La plus répandue des techniques mettant en scène un couple d’interrogateurs est le numéro du bon et du mauvais flic, dans lequel le comportement brutal, colérique et dominateur de l’un contraste avec le côté calme et amical de l’autre. Ce numéro fonctionne mieux avec les femmes, les adolescents et les personnalités timides. Si l’interrogateur ayant posé la majeure partie des questions jusqu’ici a établi de bons rapports avec la source, il doit jouer le rôle du gentil. Si ce n’est pas le cas, et spécialement si les rapports sont hostiles, l’interrogateur principal devrait plutôt endosser l’autre rôle.

Celui des interrogateurs qui figure le méchant parle fort depuis le début de la mise en scène ; à moins que la personne interrogée indique clairement qu’elle est désormais prête à raconter son histoire, il couvre le son de ses réponses et l’interrompt, tapant du poing sur la table. Le gentil interrogateur ne doit pas assister au spectacle sans broncher, mais plutôt laisser entendre, par des signes subtils, qu’il est lui aussi un peu effrayé par son collègue. Lequel accuse le sujet interrogé d’autres délits, n’importe lesquels, avec une préférence pour les plus abominables ou les plus humiliants. Il fait clairement comprendre à la source qu’il la tient pour la plus vile des personnes sur terre. Pendant cette tirade, l’interrogateur resté calme et amical l’interrompt : « Attends un peu, Jim. Reste cool. » L’autre hurle en réponse : « Tais-toi ! Je m’en occupe ! J’ai déjà brisé des bons à rien, et je briserai aussi celui-là en mille morceaux ! » Il exprime son dégoût en crachant sur le sol ou en se pinçant le nez, ou par tout autre geste grossier. Puis annonce finalement, rouge de fureur : « Je vais prendre une pause, descendre quelques verres. Mais je serai de retour à 2 heures – et toi, espèce de bon à rien, tu ferais mieux de te préparer à parler ! » Une fois la porte claquée derrière lui, l’autre interrogateur explique à la personne interrogée combien il est désolé, combien il déteste devoir travailler avec un homme pareil, combien il aimerait que de telles brutes gardent leur calme et laissent aux gens une réelle chance de donner leur version de l’histoire, etc., etc.

Un interrogateur travaillant seul peut aussi utiliser le numéro du bon et du mauvais flic. Après un certain nombre de séances tendues et hostiles, la personne interrogée est conduite dans une pièce, la même ou une autre, peu importe pourvu qu’elle soit agrémentée de meubles confortables, de cigarettes, etc. L’interrogateur invite la source à s’asseoir, regrettant que son entêtement préalable l’ait forcé à user de telles méthodes. Il va désormais en aller tout autrement, assure-t-il, sur le ton d’une conversation d’égal à égal. Un prisonnier de guerre américain, débriefé après avoir été interrogé par un service de renseignement hostile qui usait de cette technique, en a décrit les effets : « Eh bien, je suis rentré, et il y avait cet homme, un officier… il m’a demandé de m’asseoir et s’est montré très amical […]. C’était terrifiant. J’avais presque l’impression qu’un ami me faisait face. Par moments, je devais me ressaisir, me rappeler que cet homme ne faisait pas partie de mes proches […]. J’étais incapable de me montrer impoli envers lui […]. C’était beaucoup plus difficile pour moi de… Eh bien, j’avais le sentiment que lui parler n’engageait pas ma responsabilité, que j’avais autant de raisons et d’excuses pour le faire que j’en ai à cet instant précis. »

Dans une autre technique en duo, les interrogateurs endossent tous deux des rôles amicaux. Mais, tandis que l’interrogateur responsable semble sincère, les manières et la voix de son collègue donnent le sentiment qu’il feint la sympathie pour coincer la personne interrogée. Il en vient à quelques questions pièges relevant de la catégorie « Quand as-tu cessé de battre ta femmenote ? ». L’interrogateur en charge prévient alors son collaborateur de cesser cette tactique. Quand ce dernier y revient, le responsable lance, avec une pointe de colère : « Nous ne sommes pas là pour piéger les gens, mais pour chercher la vérité. Je te suggère de t’en aller, maintenant. Je vais poursuivre seul. »

Il se révèle généralement improductif de faire endosser un rôle hostile aux deux interrogateurs.

10. La langue

Si un sujet récalcitrant parle plus d’une langue, il est préférable de le questionner dans celle qu’il maîtrise le moins – c’est valable tant que l’objectif de l’interrogatoire est d’obtenir des aveux. Après que la personne interrogée a reconnu des intentions ou des activités hostiles, passer à la langue avec laquelle il est le plus à l’aise facilitera la suite.

Un brusque changement de langue peut duper une source résistante. Si une personne interrogée a, par exemple, enduré un déluge de questions en allemand ou en coréen, l’usage soudain du russe pour demander « Qui est votre officier traitant ? » peut susciter une réponse avant même que la source en ait conscience.

Un interrogateur relativement à l’aise avec la langue utilisée peut quand même choisir de recourir à un interprète si la source ne maîtrise pas celle dont il use avec ce dernier et si elle ne sait pas que l’interrogateur parle sa propre langue. Pour l’interrogateur, le principal avantage d’entendre chaque réponse en double tient à ce qu’il peut observer plus attentivement l’expression, les gestes, la voix et d’autres indicateurs. Cette tactique ne se prête évidemment pas à un tir tendu de questions et a l’inconvénient de permettre à la source de se ressaisir après chaque question. Il ne faut en user qu’avec un interprète qui y a été préparé.

Il est primordial que l’interrogateur n’ayant pas recours à un interprète soit un expert de la langue utilisée. S’il ne l’est pas, si des fautes de grammaire ou un fort accent entachent sa façon de parler, la résistance de la source s’en trouvera généralement confortée. Chacun – ou peu s’en faut – est conditionné à établir un lien entre les erreurs commises à l’oral et le niveau d’intelligence, l’éducation, le statut social, etc. Des bévues ou des fautes de prononciation permettent en outre à la personne interrogée de mal comprendre ou de faire semblant de n’avoir pas compris, et ainsi de gagner du temps. Une fois constatées les limites du vocabulaire de l’interrogateur, elle peut aussi recourir à des déformations syllabiques.

11. Spinoza et Mortimer Snerdnote

S’il y a des raisons de suspecter qu’une source se refusant à coopérer possède des informations utiles au contre-renseignement sans pour autant avoir accès aux échelons supérieurs de l’organisation cible (les niveaux politique et de commandement), l’interroger avec insistance sur des sujets capitaux dont elle ignore tout peut préparer la voie à l’extraction d’informations de moindre importance. La personne interrogée est par exemple questionnée sur la politique du KGB : les relations de l’agence de renseignement avec son gouvernement, ses tactiques de liaison, etc., etc. Lorsqu’elle affirme d’une voix plaintive ne rien savoir de tels sujets, on lui répond sur un ton monocorde qu’elle sait, qu’elle doit savoir, que même le plus stupide des hommes occupant sa position est forcément au courant. Les interrogateurs communistes qui ont usé de cette méthode sur les prisonniers de guerre américains y ont adjoint des punitions pour chaque réponse de type « Je ne sais pas » – façon typique de forcer le prisonnier à rester sur le qui-vive jusqu’à ce qu’il livre une réponse positive. Quand ils jugeaient le moment opportun, ils posaient à la source une question dont elle connaissait la réponse. Nombre d’Américains ont mentionné « l’immense sentiment de soulagement vous inondant lorsqu’on vous demande finalement quelque chose à quoi vous pouvez répondre ». L’un d’entre eux expliquait : « Je sais que ça peut paraître étrange aujourd’hui, mais je me suis senti vraiment reconnaissant à leur égard quand ils sont passés à un sujet auquel je connaissais quelque chose » [3].

12. Le loup déguisé en brebis

Il est possible de piéger une source qui dissimule des informations avec succès en lui faisant croire qu’elle traite avec notre adversaire. Le succès de la ruse repose sur une imitation réussie. Un officier traitant jusqu’alors inconnu de la source et maîtrisant sa langue s’entretient avec cette dernière de façon à la convaincre qu’elle discute avec quelqu’un appartenant à son propre camp. Elle est alors interrogée à propos de ce qu’elle a dit aux Américains et de ce qu’elle leur a caché. L’astuce est susceptible de fonctionner pour peu que la personne interrogée ne soit pas maintenue en détention ; une évasion mise en scène, manigancée par un mouchard, permettra de créer les conditions de la supercherie. Mais cette ruse est si risquée et compliquée à mettre en œuvre que son usage n’est pas conseillé.

13. Alice au pays des merveilles

L’objectif de la méthode « Alice au pays des merveilles » – dite aussi méthode de la confusion – est de bouleverser les attentes et les réactions conditionnées de la personne interrogée. Elle est habituée à un monde qui fait sens, tout au moins pour elle ; un monde de continuité et de logique, prévisible. Et elle s’y cramponne pour préserver son identité et sa capacité de résistance.

La méthode de la confusion est conçue non seulement pour oblitérer le familier, mais aussi pour le remplacer par l’étrangenote. Bien que cette technique puisse être mise en œuvre par un interrogateur unique, il est préférable d’en prévoir deux ou trois. Quand la source entre dans la pièce, le premier interrogateur lui pose une question ambiguë – elle semble simple, mais est profondément absurde. Peu importe qu’elle essaie ou non d’y répondre, le second interrogateur enchaîne (interrompant toute réponse éventuelle) avec une question sans aucun rapport et tout aussi illogique. Deux questions – ou davantage – peuvent parfois être posées en même temps. La hauteur, le ton et le volume des voix des interrogateurs sont sans rapport avec l’importance de celles-ci. Impossible pour la source d’établir un schéma logique pour y répondre, non plus qu’un lien cohérent entre les questions elles-mêmes. Dans cette atmosphère déconcertante, elle comprend rapidement que le type de discours et de pensée qu’elle a toujours considéré comme normal a été remplacé par un étrange et inquiétant non-sens. Il se peut qu’elle commence par en rire ou par refuser de prendre la chose au sérieux. Mais, à mesure que le processus se poursuit, sur plusieurs jours si nécessaire, la source va s’ingénier à donner du sens à une situation devenue mentalement insupportable. Pour stopper ce flot confus qui l’assaille, elle est désormais susceptible de faire des aveux significatifs, voire de débiter toute son histoire. Cette technique a davantage de chances de fonctionner avec les personnalités de type disciplinée-obstinée.

14. Régression

Il existe un certain nombre de techniques non coercitives pour induire la régression. Toutes reposent sur le contrôle exercé par l’interrogateur sur l’environnement de la source et – comme toujours – sur une juste adaptation de la méthode à sa personnalité. Certaines personnes peuvent être mentalement déstabilisées par des manipulations temporelles à répétition, provoquées en retardant ou avançant les horloges et en servant le repas à des horaires inhabituels – dix minutes ou dix heures après que le dernier a été servi. Jour et nuit finissent alors par se confondre. Les sessions ne doivent répondre à aucune logique : la source peut être convoquée pour des questions supplémentaires seulement quelques minutes après avoir été congédiée pour la nuit. On peut aussi bien ne pas tenir compte de ses efforts peu enthousiastes pour collaborer que – à l’inverse – la récompenser pour son absence de coopération (une source résistant avec succès est par exemple susceptible d’être déstabilisée si on la félicite pour « sa précieuse coopération »). La méthode dite d’Alice au pays des merveilles peut renforcer l’efficacité de cette technique. Il revient alors à deux interrogateurs ou davantage, œuvrant en équipe et se relayant (en entremêlant complètement le timing des deux méthodes), de poser des questions auxquelles la personne interrogée ne peut donner de réponses sensées et significatives. Coupée du monde qu’elle connaît, la source s’évertuera, dans une certaine mesure, à le recréer dans son nouvel et étrange environnement. Elle essayera de garder la notion du temps, se remémorera un passé familier, s’accrochera à une vieille conception de la loyauté, tentera de nouer – avec l’un ou plusieurs des interrogateurs – des relations semblables à celles qu’elle entretenait auparavant avec son entourage, ou essaiera d’établir d’autres liens de ce type pour retrouver des éléments familiers. On contrecarrera de telles tentatives en poussant la source à se replier de plus en plus profondément sur elle-même, jusqu’à la rendre incapable de maîtriser ses réponses de manière adulte.

La technique du placebo est aussi utilisée pour induire la régression. Il s’agit de faire prendre un placebo (un inoffensif comprimé de sucre) à la personne interrogée. On lui révèle ensuite qu’elle a avalé une drogue, un sérum de vérité qui la forcera à parler et l’empêchera de mentir. La source en quête d’une excuse à cette capitulation qui représente la seule possibilité de fuir sa pénible situation aura tendance à croire qu’elle a été réellement droguée : personne ne pourrait désormais lui reprocher de raconter son histoire. Gottschalk remarque que « les individus soumis à un stress accru ont plus de chances de réagir au placebo » [7].

Orne a évoqué une autre application du principe du placebo en détaillant ce qu’il nomme la « technique de la pièce magique ». « Un exemple […] en serait […] le prisonnier qu’on persuade par suggestion hypnotique que sa main est en train de se réchauffer. Cependant, dans ce cas, sa main est réellement soumise à un faisceau de chaleur, par l’usage discret d’un appareil diathermiquenote. Autre exemple : on pourrait le convaincre […] que […] la cigarette qu’il fume est amère. Là encore, il suffit de lui remettre une cigarette conçue pour dégager une amertume aussi légère que réelle. » Dans ses travaux sur les états d’hypersuggestibilité (à distinguer des états de transe), Orne remarque que « l’hypnose et certaines drogues provoquant un état hypnoïde sont considérées par le commun des mortels comme induisant des situations où l’individu n’est plus maître de son sort et où il n’est donc plus responsable de ses actes. Dans ces conditions, il semble possible d’utiliser le contexte d’hypnose – et non l’hypnose elle-même – pour le pousser à ne plus se sentir responsable, et ainsi à révéler des informations » [7].

En d’autres termes, une source psychologiquement immature, ou qui a subi la méthode de la régression, peut tomber dans le panneau lorsqu’on insinue, ou qu’on lui suggère, qu’elle a été droguée, hypnotisée ou quoi que ce soit d’autre censé la rendre incapable de résister – et ce même si elle est consciente par moments de la fausseté de cette suggestion – tant elle est pressée de fuir cette situation de stress en capitulant. Cette technique procure à la source l’excuse rationnelle dont elle a besoin.

Que la régression se produise spontanément lors de la détention ou de l’interrogatoire, ou qu’elle soit provoquée par des techniques coercitives ou non coercitives, il ne saurait être question de la prolonger au-delà du strict nécessaire. Il est également conseillé de s’assurer de la présence d’un psychiatre lorsqu’on emploie des méthodes sévères de régression, pour éviter que le sujet ne reste bloqué dans cet état.

L’interrogateur doit dès que possible désigner une échappatoire à la source ; il s’agit de lui fournir une solution à son douloureux dilemme, qui lui permettra de se soumettre tout en préservant les apparences. L’interrogateur peut alors se montrer paternel. Et rassurer la personne interrogée en expliquant que d’autres ont précédemment avoué (« Tous les autres gars le font »), qu’elle a une chance de se racheter (« Au fond, tu es vraiment un bon garçon ») ou encore qu’elle n’avait pas le choix (« Ils ont tout fait pour que ça finisse ainsi »). La justification efficace, celle que la source s’empressera d’adopter, doit être simple. Il s’agit en fait d’une version adulte des excuses enfantines.

15. Le détecteur de mensonges

Le détecteur de mensonges ne sert pas uniquement à évaluer la véracité de propos tenus. Il peut par exemple être utilisé pour déterminer les langues parlées par une personne interrogée ou son éventuelle expérience en matière de renseignement, pour estimer rapidement quel type d’informations elle détient ou pour affiner une analyse psychologique. Sa fonction principale dans un interrogatoire de contre-renseignement reste cependant de fournir des moyens supplémentaires permettant de déceler la duplicité ou la dissimulation.

Toute source résistante et suspectée d’appartenir à une organisation clandestine ennemie devrait passer au moins une fois au détecteur de mensonges. Il est parfois nécessaire de mener plusieurs examens. En règle générale, le détecteur de mensonges ne doit pas être employé en dernier recours. De même, les résultats seront généralement plus fiables si celui-ci est utilisé avant que la source ait été soumise à une forte pression – coercitive ou non. Idéalement, il faut prendre la décision d’en faire usage en toute connaissance de cause ; c’est-à-dire une fois que la procédure pré-interrogatoire et une ou deux séances d’interrogatoire ont été menées à leur terme.

L’interrogateur ne devrait en aucun cas estimer que le détecteur de mensonges le décharge de toutes ses responsabilités, même lorsqu’il se révèle d’une aide précieuse.

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Les meilleurs résultats sont obtenus quand l’interrogateur du contre-renseignement et l’opérateur du détecteur de mensonges travaillent en bonne entente à poser les bases de l’examen technique. L’opérateur a besoin de toutes les informations disponibles sur la personnalité de la source, ainsi que sur le contexte de terrain et sur les raisons de la soupçonner. De son côté, l’interrogateur du contre-renseignement participera plus efficacement et intégrera plus précisément les résultats de l’examen technique dans ses conclusions globales s’il a une compréhension élémentaire de l’instrument et de son fonctionnement.

L’analyse suivante se fonde sur un article de R. C. Davis, « Physiological responses as a means of evaluating information » (« Les réponses physiologiques comme moyens d’évaluer l’information ») [7]. Le détecteur de mensonges utilisé à l’heure actuelle – il pourrait prochainement être amélioré – effectue des mesures du souffle, de la pression artérielle systolique et de la réponse galvanique de la peaunote. Selon Davis, « il existe un inconvénient à l’usage de la respiration comme révélateur : la possibilité de la contrôler ». De surcroît, si la source « sait que des variations du souffle affecteront toutes les variables physiologiques contrôlées par le système nerveux autonome, et potentiellement une partie des autres, un certain degré de collaboration ou d’ignorance est nécessaire pour que la détection des mensonges par des méthodes physiologiques fonctionne ». En général, « la respiration est moins naturelle et plus lente quand on ment […] ; l’inhibition de la respiration semble caractéristique de l’anticipation d’un stimulus ».

La mesure de la pression artérielle systolique apporte en revanche des indications sur un phénomène échappant normalement à tout contrôle volontaire. La pression « augmentera de quelques millimètres de mercurenote au moment de répondre à une question, qu’il s’agisse d’un mensonge ou non. Mais cette augmentation sera généralement plus importante quand [le sujet] est en train de mentir ». Les variations significatives de souffle et de pression sanguine entre un menteur et quelqu’un qui dit la vérité « sont faibles (presque nulles) dans la première partie de la séance et augmentent ensuite jusqu’à atteindre leur point culminant ».

La réponse galvanique de la peau est l’une des réactions les plus faciles à déclencher, mais le retour à la normale prend du temps. Or, « dans un interrogatoire de routine, on pose souvent la question suivante avant que la récupération soit complète. Cela explique en partie que la réponse galvanique de la peau tende à évoluer ; si les stimuli sont répétés toutes les quelques minutes, l’importance de la réaction se réduit – toutes choses égales par ailleurs ».

Davis propose l’analyse de trois théories sur le détecteur de mensonges. La théorie de la réaction conditionnelle pose que la source réagit aux questions touchant des points sensibles, qu’elle dise la vérité ou non. Les expériences de Davis n’ont pas corroboré cette hypothèse. La théorie du conflit suppose qu’un trouble physiologique important apparaît quand la source est coincée entre son inclination naturelle à dire la vérité et un puissant désir de ne pas divulguer certains faits. Le concept fonctionne, indique Davis, mais seulement si le conflit en question se révèle intense. La théorie de la menace du châtiment postule que le fait de mentir déclenche une forte réaction physiologique, parce que la source craint d’en payer le prix fort si sa tromperie échoue. « Dans le langage courant, on dirait qu’elle ne réussit pas à duper l’opérateur de la machine pour la simple raison qu’elle craint de ne pas y parvenir. C’est cette peur qui est détectée. » Cette troisième théorie est plus répandue que les deux autres. Les interrogateurs noteront qu’une source résistant à l’interrogatoire et qui n’aurait pas peur que la détection de son mensonge entraîne un châtiment sévère ne produira, selon cette hypothèse, aucune réaction significative.

16. La graphologie

L’utilité des techniques graphologiques pour cerner la personnalité d’une source résistant à l’interrogatoire n’a pas été établie. Certaines études laissent pourtant penser que la graphologie peut se révéler très utile pour détecter précocement le cancer et certaines maladies mentales. Si l’interrogateur ou son unité se décide à examiner l’écriture d’une source, un échantillon de celle-ci doit être envoyé le plus tôt possible au Quartier général : le résultat de ces analyses se révélera plus utile lors des évaluations préliminaires que plus avant dans l’interrogatoire. La graphologie a l’avantage d’être l’une des très rares techniques ne nécessitant pas le concours de la personne interrogée, ni même son attention. Comme pour les autres méthodes, il revient à l’interrogateur de déterminer si cette analyse lui fournit des idées neuves et pertinentes, si elle corrobore d’autres observations, si elle ne lui sert à rien ou si elle l’induit en erreur.

IX. L’INTERROGATOIRE COERCITIF DE CONTRE-RENSEIGNEMENT AVEC DES SOURCES RÉSISTANTES

A. RESTRICTIONS

L’objectif de cette section du manuel est de fournir une information de base sur les techniques coercitives susceptibles d’être utilisées en situation d’interrogatoire. Cette présentation ne doit surtout pas être interprétée comme valant autorisation d’user à discrétion de la coercition. Ainsi que mentionné précédemment, il ne s’agit aucunement d’un blanc-seing.

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Pour des raisons éthiques et pratiques, un interrogateur ne devrait jamais assumer seul la responsabilité de l’usage de méthodes coercitives. Le fait que l’interrogateur dissimule à ses supérieurs son intention de recourir à la coercition, ou l’utilisation non autorisée de celle-ci, ne les protège nullement. Au contraire, cela les place, de même que KUBARK, dans une situation délicate.

B. LA THÉORIE DE LA COERCITION

Les procédures coercitives ne se contentent pas d’exploiter les conflits intérieurs d’une source résistant à l’interrogatoire en la plongeant dans un profond trouble intérieur, elles lui imposent également une force externe supérieure qui influe sur sa capacité de résistance. Alors qu’une méthode non coercitive échouera si le choix de l’utiliser et l’usage qui en est fait ne sont pas fondés sur une évaluation psychologique exacte, une même méthode coercitive peut fonctionner sur des personnes très différentes – les chances de succès augmentent cependant fortement quand la technique est adaptée à la personnalité de la source. Même les drogues, des stimuli en apparence non discriminants, provoquent des réactions différentes selon les individus. Quoi qu’il en soit, appliquer de manière brouillonne une forte pression quand une simple tape psychologique assénée au bon endroit suffirait à déclencher la collaboration de la source revient à gâcher du temps et de l’énergie.

Toutes les techniques coercitives ont pour objectif de provoquer une régression. Ainsi que Hinkle le mentionne dans son article « The physiological state of the interrogation subject as it affects brain fonction » (« L’état physiologique du sujet de l’interrogatoire et l’altération de ses fonctions cérébrales ») [7], une pression externe suffisamment intense entraîne la perte des aptitudes les plus récemment développées par l’homme civilisé. Soit « la capacité à perpétuer des activités hautement créatives, à affronter des situations nouvelles, stimulantes et complexes, à gérer des relations interpersonnelles conflictuelles et à supporter des frustrations répétées. Un niveau relativement limité de désordre homéostatiquenote, de fatigue, de souffrance, de manque de sommeil ou d’anxiété peut affaiblir ces fonctions ». Par conséquent, « la plupart des personnes soumises à des méthodes coercitives parleront, révélant en général des informations qu’elles n’auraient autrement pas divulguées ».

Le sentiment de culpabilité est l’une des réactions subjectives les plus fréquemment provoquées par la coercition. Meltzer remarque : « Lors de longues sessions, l’interrogateur peut revêtir dans l’esprit du prisonnier une importance particulière – lui conférant une stature presque parentale – parce qu’il est l’unique pourvoyeur de récompenses et de punitions. Le captif est souvent enclin à nourrir une puissante haine à son encontre, mais il n’est pas rare qu’il développe aussi des sentiments plus chaleureux. Cette ambivalence se trouve à l’origine du sentiment de culpabilité ; si l’interrogateur sait l’entretenir, celui-ci peut se révéler assez intense pour influer sur le comportement du prisonnier […]. La sensation de culpabilité rend la soumission plus probable […] » [7].

Farber prétend qu’une réaction typique à la coercition comprend « au moins trois éléments importants : la débilité physique, la dépendance et la détresse ». Les prisonniers « perdent leur autonomie ; ils sont désespérément dépendants de leurs geôliers pour satisfaire leurs besoins les plus basiques et se trouvent en proie à de profonds sentiments de peur et d’anxiété – dans leurs émotions primaires comme dans leur appréciation de la situation […]. Chez les prisonniers de guerre [américains] que les communistes chinois ont soumis à une forte pression, le syndrome DDDnote provoquait, sous sa forme la plus développée, un sentiment de mal-être pratiquement intolérable » [11]. Mais, si cet état de débilité physique, de dépendance et de détresse se prolonge outre mesure, la personne détenue peut sombrer dans une forme d’apathie défensive difficile à contrecarrer.

Les psychologues et les autres spécialistes travaillant sur la contrainte physique ou psychologique nuancent fréquemment ce constat : si la plupart des sujets cèdent une fois qu’ils sont soumis à une pression suffisante, leur capacité à se souvenir et à communiquer des informations décline autant que leur volonté de résistance. Cette objection pragmatique a, à peu de chose près, la même validité pour l’interrogatoire de contre-renseignement que pour n’importe quel autre. Mais il existe une différence significative : l’aveu est un préalable nécessaire à l’interrogatoire de contre-renseignement d’une source jusqu’alors peu réceptive ou dissimulant des informations. Et l’usage de techniques coercitives troublera rarement – voire jamais – la personne interrogée à un degré tel qu’elle ne sache plus si ses propres aveux sont véridiques ou mensongers. Elle n’a pas besoin de l’entière maîtrise de ses capacités de résistance et de discernement pour savoir si elle est ou non un espion. Seuls les sujets ayant atteint le point à partir duquel tout n’est qu’illusion sont susceptibles de faire des confessions mensongères auxquelles ils croient.

Une fois que de vrais aveux ont été obtenus, il convient de suivre la procédure classique. La pression doit être relâchée, au moins suffisamment pour que le sujet puisse fournir des informations de contre-renseignement aussi précises que possible. Le soulagement alors ressenti cadre parfaitement avec le schéma de l’interrogatoire : la source perçoit ce changement de comportement comme une récompense pour la véracité de ses informations et comme la preuve que ce traitement amical continuera aussi longtemps qu’elle coopérera.

Nous avons mentionné la lourde objection morale opposable à l’application d’une contrainte si intense qu’elle causerait d’irréversibles dommages psychologiques. Juger de la validité des autres arguments éthiques portant sur la coercition excède le champ de ce manuel. Il convient cependant de souligner un point : si la manipulation coercitive d’une personne interrogée altère sa capacité à effectuer des distinctions subtiles, elle ne l’empêchera en revanche pas de répondre correctement à des questions aussi simples que : « Es-tu un agent soviétique ? Quelle est ta mission actuelle ? Qui est ton officier traitant en ce moment ? »

Quand l’interrogateur sent vaciller la résistance du sujet, son désir d’abdiquer prenant le pas sur son envie de résister, c’est qu’il est temps de lui fournir une justification satisfaisante – une raison permettant de sauver la face et d’excuser sa soumission. Les interrogateurs débutants ressentiront parfois le désir de sauter triomphalement sur cette défaite initiale et de célébrer leur victoire. Une telle tentation doit être écartée immédiatement. Un interrogatoire n’est pas une compétition entre deux personnes, avec un gagnant et un perdant, mais simplement une méthode pour obtenir une information exacte et utile. L’interrogateur doit donc encourager le sujet à cesser l’affrontement en lui indiquant comment le faire sans paraître renier ses principes, son souci de protection personnelle ou tout autre fondement à sa résistance. L’opposition de la source repartira en effet de plus belle si l’interrogateur célèbre ostensiblement sa défaite au lieu de lui suggérer la bonne justification au moment idoine.

Les principales techniques coercitives d’interrogatoire sont les suivantes : arrestation, détention, privation sensorielle via le maintien à l’isolement ou une méthode similaire, menaces et peur, faiblesse physique, souffrance, hypersuggestibilité et hypnose, narcotiques, et induction de la régression. Cette section traite aussi des moyens de détecter la simulation chez les personnes interrogées et de leur fournir des raisons appropriées de capituler et de coopérer.

C. L’ARRESTATION

Les conditions et le timing de l’arrestation peuvent largement servir les objectifs de l’interrogateur. « Il s’agit de faire en sorte que l’arrestation génère la surprise et la plus grande confusion mentale, afin de prendre le suspect au dépourvu et de le priver de toute initiative. L’arrestation doit donc se dérouler quand le sujet s’y attend le moins et quand sa résistance mentale et physique est au plus bas. Le moment idéal se situe dans les premières heures de la matinée, parce que la surprise est alors garantie et que la résistance – physiologique aussi bien que psychologique – d’une personne est réduite à son minimum […]. Si quelqu’un ne peut être arrêté au petit matin […], optez pour la soirée […]. »

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D. LA DÉTENTION

Si des dispositions sont prises pour la détention d’une source résistante – que cette opération s’effectue en collaboration avec un service de liaison ou de manière unilatérale –, il convient d’aménager les conditions de cette captivité. Celle-ci doit en effet accroître chez le sujet le sentiment d’être coupé de ce qu’il connaît et de ce qui le rassure, pour le plonger dans l’inconnu. En général, on lui confisque immédiatement ses vêtements, parce que le port d’habits familiers renforce l’affirmation d’une identité et – par conséquent – la capacité de résistance (c’est pour cette même raison que les prisons tondent les détenus et distribuent des uniformes carcéraux). Si la personne interrogée est particulièrement élégante ou soignée, il peut se révéler utile de lui donner une tenue trop grande d’une ou deux tailles tout en négligeant de lui fournir une ceinture : elle sera ainsi forcée de maintenir son pantalon en place.

Un individu sauvegardera le sentiment de son identité s’il peut s’appuyer sur une continuité dans son environnement, ses habitudes, son apparence, ses actions, ses relations avec les autres, etc. La détention permet ainsi à l’interrogateur de couper ces liens et de contraindre la personne interrogée à ne compter que sur ses propres ressources, sans aucune aide extérieure.

Pour être efficace, la détention ne doit pas remplacer une routine par une autre. Les prisonniers qui mènent des existences bien réglées et monotones « cessent de faire attention à leurs paroles, tenue et propreté. Ils deviennent maussades, apathiques et déprimés » [7]. Or l’apathie est susceptible de constituer une défense très efficace contre l’interrogatoire. Puisqu’il contrôle l’environnement de la source, l’interrogateur peut déterminer son alimentation, son rythme de sommeil et d’autres paramètres fondamentaux. Il a donc tout intérêt à manipuler ces éléments sans logique apparente, de manière à désorienter le sujet et à susciter un sentiment de peur et d’impuissance. Hinkle remarque que « les gens qui entrent en prison animés d’idées noires, d’appréhension et de sentiments d’impuissance s’en tirent généralement moins bien que ceux débarquant avec assurance et la conviction qu’ils peuvent s’arranger de tout ce qu’ils rencontreront […]. Certaines personnes effrayées à l’idée du manque de sommeil, ou qui ne souhaitent pas dormir moins, souffrent ainsi rapidement d’insomnie […] » [7].

Pour résumer : il faut éviter de fournir au prisonnier une routine à laquelle il pourrait s’adapter et qui lui offrirait une forme de confort – ou au moins lui permettrait de préserver ses repères identitaires. L’exemple de ces prisonniers réticents à quitter leur cellule après une incarcération prolongée est suffisamment connu. Au fil de la détention, les sentiments éprouvés par le détenu – anxiété, profond besoin de stimulation sensorielle et de compagnie humaine – laissent place à une passive acceptation de l’isolement ainsi qu’au soulagement ressenti à lâcher prise. Cette évolution se fait jour après une période d’isolement plus ou moins longue, qui n’est pas précisément établie ; cela dépend largement des caractéristiques psychologiques de l’individu en question. Il est de toute façon recommandé de maintenir le sujet dans un constant état d’irritation par le biais d’incessantes perturbations.

Dans cette optique, il se révélera utile de déterminer si la personne interrogée a déjà été emprisonnée, combien de fois, dans quelles circonstances et pour quelle durée, et si elle a déjà été soumise à un interrogatoire. L’habitude de la détention et de l’isolement en réduit les effets.

E. LA PRIVATION SENSORIELLE

L’arrestation et la détention ont pour principal effet – surtout en cas de maintien à l’isolement – de priver en partie ou très largement le sujet de l’usage habituel de ses sens : vue, sons, goût, odeurs et sensations tactiles. Jon C. Lilly a analysé dix-huit récits rédigés par des explorateurs polaires et des navigateurs solitaires. Il a ainsi constaté que, « en soi, l’isolement agit sur la plupart des gens à la manière d’un stress puissant […]. Tous ceux qui ont survécu à la solitude en mer ou dans la nuit polaire relatent avoir ressenti les peurs les plus intenses lorsqu’ils y ont été confrontés pour la première fois. Avoir déjà vécu cette sensation aide fortement à tenir bon ». « Les symptômes récurrents en situation d’isolement sont la superstition, un amour profond pour tout être vivant, l’impression que les objets inanimés sont vivants ainsi que des hallucinations et illusions » [26].

La cause de ces symptômes ? Une personne coupée de tout stimulus extérieur se replie sur son univers intérieur et projette le contenu de son inconscient sur l’extérieur, de manière à doter cet environnement anonyme de ses propres attributs, peurs et souvenirs oubliés. Lilly constate : « Il est évident que l’esprit tend à se projeter sur l’extérieur. Une part de l’activité mentale, d’ordinaire liée à la réalité, se tourne vers la fantaisie et – en fin de compte – vers les hallucinations et les délires. »

Un certain nombre d’expériences, menées notamment à l’université McGill et à l’Institut national de la santé mentale, ont visé à supprimer au maximum les stimulations sensorielles. Celles qui ne pouvaient être éliminées, principalement des sons, étaient parfois masquées par une bruyante et monotone nappe sonore. Les résultats de ces expériences ont peu d’utilité pratique pour les interrogatoires, parce qu’elles ont été menées dans des circonstances bien particulières. Certaines conclusions dessinent des hypothèses apparemment pertinentes, mais les conditions de détention propres aux interrogatoires de contre-renseignement n’ont pas été reproduites.

À l’Institut national de la santé mentale, deux sujets ont été « suspendus et immergés intégralement, à l’exception de la partie supérieure de la tête, dans une citerne contenant de l’eau ruisselant doucement, à une température de 34,5 ºC… ». Ils portaient des masques opaques leur enserrant totalement la tête et ne leur permettant que de respirer. Le niveau sonore était extrêmement bas ; ils n’entendaient que leur propre respiration et le très faible bruit de l’eau coulant dans les canalisations. Aucun des deux sujets n’est resté plus de trois heures dans la citerne. Le pressant besoin de stimuli sensoriels et l’obsession pour les rares sensations perceptibles ont rapidement provoqué une forte tension mentale. Ils ont ensuite développé des rêveries personnelles, des fantasmes et, au final, un imaginaire visuel proche de l’hallucination. « Une fois l’expérience terminée, le sujet semble commencer une nouvelle journée : il a l’impression de sortir du lit et se sent en décalage horaire pour le reste de la journée. »

Les docteurs Wexler, Mendelson, Leiderman et Solomon ont conduit une expérience similaire sur dix-sept volontaires rémunérés. Les sujets étaient « placés dans une sorte de citerne, sous respirateur, et ils reposaient sur un matelas conçu pour l’occasion […]. Le conduit du respirateur était laissé ouvert, de manière qu’ils gardent le contrôle de leur respiration. Leurs bras et leurs jambes étaient enserrés dans de confortables (mais rigides) cylindres, afin d’empêcher tout mouvement et tout contact tactile. Couchés sur le dos, les sujets ne pouvaient discerner aucune partie de leur corps. Le moteur du respirateur tournait sans arrêt, émettant un son monotone et répétitif. Nulle lumière du jour dans la pièce, et un éclairage artificiel constant et minimum » [42]. Les volontaires ne pouvaient rester dans la citerne plus de trente-six heures et tous leurs besoins physiques étaient pris en charge ; ils n’ont pourtant été que six à tenir jusqu’au bout. Les onze autres ont rapidement demandé à être libérés : quatre ont mis fin à l’expérience à cause d’accès d’anxiété et de panique, sept en raison de l’inconfort physique. Les résultats ont confirmé les conclusions dressées précédemment. À savoir : 1) la privation sensorielle provoque du stress ; 2) ce stress devient vite insupportable pour la plupart des sujets ; 3) ils ressentent un besoin croissant de stimuli physiques et sociaux ; 4) certains sujets perdent progressivement le sens des réalités, se focalisent sur leurs pensées et développent des délires, des hallucinations et d’autres troubles pathologiques.

Rendant compte de quelques études scientifiques ayant porté sur la privation sensorielle et perceptuelle, Kubzansky émet les observations suivantes : « Trois études suggèrent que plus le sujet est équilibré ou “normal”, plus il est affecté par la privation sensorielle. Les sujets névrosés et psychotiques y sont comparativement peu sensibles, ou bien éprouvent anxiété, hallucinations, etc. avec une intensité réduite » [7].

Ces conclusions semblent valider – sans aucunement les prouver – les théories suivantes sur le maintien en isolement et le confinement.

1. Plus le lieu du confinement est dénué de stimuli sensoriels, plus la personne interrogée en sera rapidement et profondément affectée. Les résultats obtenus après des semaines ou des mois de détention dans une cellule ordinaire peuvent l’être après des heures ou des jours s’il s’agit d’une cellule sans lumière (ou pourvue d’un faible et constant éclairage artificiel), plongée dans un complet silence, inodore, etc. Un environnement totalement sous contrôle – comme une citerne d’eau ou un poumon d’aciernote – produira des résultats encore meilleurs.

2. Un tel environnement provoque rapidement l’anxiété. La rapidité avec laquelle elle se manifeste et son intensité dépendent des caractéristiques psychologiques de chaque individu.

3. L’interrogateur peut tirer profit de l’anxiété du sujet. L’esprit de ce dernier étant amené à faire le lien entre sa présence et une forme de récompense le soulageant d’un inconfort croissant – diminution de l’angoisse, contact humain et activité constructive –, l’interrogateur s’en trouve nimbé de bienveillance [7].

4. La privation sensorielle provoque la régression du sujet en coupant son esprit de tout contact avec le monde extérieur et en le forçant à se replier sur lui-même. L’interrogateur lui apparaît dans le même temps comme une figure paternelle, parce qu’il est le seul à lui administrer des stimuli Cela a normalement pour conséquence de le rendre plus conciliant.

F. MENACES ET PEUR

La plupart du temps, menacer de recourir à la coercition affaiblira – ou brisera – davantage une éventuelle résistance que la coercition elle-même. Le sujet se montrera par exemple plus effrayé par la menace de sévices physiques que par l’immédiate sensation de la souffrance. La plupart des gens sous-estiment en effet leur capacité à résister à la douleur. Il en va de même pour les autres peurs. Entretenue suffisamment longtemps, une frayeur portant sur un élément vague ou inconnu du sujet induit la régression. Sa matérialisation – le fait d’infliger une certaine forme de punition – peut au contraire être ressentie comme un soulagement. Le sujet se rend alors compte qu’il peut tenir bon et sa résistance s’en trouve renforcée. « La brutalité physique directe ne provoque généralement que le ressentiment, l’hostilité et une envie croissante de relever le défi » [18].

L’efficacité d’une menace ne dépend pas seulement de la personnalité de la source et de sa propension à croire que l’interrogateur peut et va la mettre à exécution, mais aussi des raisons que ce dernier a de la proférer. S’il le fait parce qu’il est en colère, le sujet comprendra fréquemment qu’il a peur de l’échec : sa volonté de résister n’en sera que plus forte. Les menaces énoncées froidement sont ainsi plus efficaces que celles hurlées avec fureur. En outre, il est essentiel qu’elles ne soient pas proférées en réponse aux propres manifestations d’hostilité de la personne interrogée. Si elles sont ignorées, ces dernières peuvent provoquer un sentiment de culpabilité ; en revanche, rétorquer sur le même ton ne fera que conforter le sujet dans son jugement.

Parce qu’elles offrent à la personne interrogée un moment de répit que celle-ci peut mettre à profit pour se soumettre, les menaces suscitent parfois une soumission que des moyens de contrainte plus sévères ne parviennent pas à obtenir. Placer la source sous une tension continuelle engendrée par une peur de tous les instants ne suffit pas ; il faut également qu’elle discerne une ligne de fuite acceptable. Biderman remarque que « la culpabilité ou la honte de l’échec ne sont pas les seuls éléments interférant dans l’affrontement avec l’interrogateur ; la source peut aussi éprouver la nécessité profonde de protéger son sentiment d’autonomie ou sa “volonté” […]. Pour une personne menacée dans son intégrité et qui pressent qu’elle sera tôt ou tard obligée de capituler, la protection la plus évidente consiste à se soumettre de manière “délibérée” ou “volontaire” […]. D’où cette déduction : plus [la source interrogée] est déterminée à résister, plus la pression la poussant à céder rapidement s’intensifie, et plus le péril que la source sent peser sur son intégrité morale à l’idée d’être “forcée à plier” s’accroît aussi […] » [6]. Pour résumer, la menace fonctionne comme les autres techniques coercitives : elle est plus efficace si elle est utilisée de manière à encourager la régression et quand elle s’accompagne de la suggestion d’une échappatoire, d’une justification acceptable aux yeux de la personne interrogée.

La menace de mort se révèle souvent inutile, voire pire. Elle « a beau se situer tout en haut de l’arsenal législatif, elle apparaît largement inefficace dans de nombreuses situations d’interrogatoire. En fait, beaucoup de prisonniers ont refusé de se soumettre une fois en butte à de telles menaces, qui n’ont pas été mises à exécution par la suite » [3]. La principale raison tient à ce que celles-ci peuvent provoquer la perte de tout espoir si elles sont prises au sérieux : la personne interrogée se pense alors condamnée de toute façon, qu’elle capitule ou non. Menacer de mort des personnes rationnelles se révèle tout aussi inefficace, parce qu’elles savent que les réduire définitivement au silence constituerait une défaite pour l’interrogateur. Si le bluff est percé à jour, les conséquences dépasseront ce simple échec : les ruses coercitives dont l’interrogateur usera par la suite risquent en effet de ne plus fonctionner.

G. LA DÉBILITÉ PHYSIQUE

Impossible de mettre la main sur les résultats d’une quelconque enquête scientifique analysant les effets de la débilité physique sur la capacité de résistance d’une personne interrogée. Depuis des siècles, les interrogateurs ont pourtant employé diverses méthodes pour provoquer cette faiblesse : contrainte prolongée ; effort prolongé ; chaleur, froid ou humidité extrême ; privation ou réduction drastique de nourriture ou de sommeil. Ils estimaient apparemment qu’attaquer la résistance physiologique de la source permettait de diminuer sa capacité psychologique à résister. Si ce postulat était valable, les sujets les plus affaiblis lorsque commence un interrogatoire devraient logiquement capituler les premiers ; l’hypothèse n’est pas confirmée par les faits. Les éléments disponibles indiquent que la résistance est surtout mise à mal par les pressions psychologiques, et non physiques. La crainte ressentie à l’idée d’une dégradation physique – après une brève privation de nourriture, par exemple – peut susciter beaucoup plus d’angoisse qu’une faim prolongée, laquelle finira par plonger la source dans un état apathique et provoquera parfois des délires et des hallucinations. En résumé, il semble que les techniques servant à causer un état de faiblesse se révèlent, passée une première phase, contre-productives. La gêne, la tension et la recherche désespérée d’une échappatoire sont vite suivies de symptômes de manque, d’un désintérêt pour n’importe quelle stimulation externe et d’un manque léthargique de réactivité.

Autre inconvénient au fait d’induire un état de débilité physique : l’effort prolongé, le manque de sommeil, etc. prenant un caractère répétitif, le sujet y répond systématiquement par l’apathie. L’interrogateur devrait user de son influence sur l’environnement physique d’une source résistante pour bouleverser la trame de ses réponses, et non pour la renforcer. Le fait de fournir sommeil et aliments de manière irrégulière – parfois en abondance, parfois de façon insuffisante – et de bouleverser ses repères temporels sans que la personne interrogée puisse y discerner un schéma d’ensemble la désorientera et sapera davantage sa volonté de résister qu’une privation soutenue la plongeant dans un état de faiblesse.

H. LA DOULEUR

Tout le monde sait que les gens ne réagissent pas de la même façon à la douleur. Les différences physiologiques n’expliquent apparemment pas ces ressentis singuliers. Lawrence E. Hinkle observe que « la perception de la douleur semble être plus ou moins la même pour chaque individu, c’est-à-dire que les gens ressentent peu ou prou la douleur à partir du même seuil et l’évaluent de manière similaire si des stimuli identiques leur sont appliqués […]. Il est même établi que, pour peu qu’un individu soit extrêmement motivé […], la douleur la plus intense ne l’empêche aucunement d’exécuter des tâches plutôt complexes ». Hinkle affirme aussi que « quel que soit le rôle des attributs physiques dans le ressenti de la douleur, ils se révèlent généralement beaucoup moins importants que l’attitude de l’homme l’éprouvant » [7].

La large gamme des réactions individuelles à la douleur s’explique en partie par la différence des conditionnements individuels précoces en la matière. Une personne ayant déjà affronté par le passé des douleurs intenses et terrifiantes peut se trouver – si on lui en inflige à nouveau – plus violemment affectée qu’une autre n’en ayant jamais enduré. L’inverse peut aussi être vrai : un homme habitué depuis l’enfance à la souffrance peut moins la craindre, et se trouver moins démuni face à elle, qu’un autre terrifié par la peur de l’inconnu. Le facteur individuel reste déterminant.

Certains suggèrent – cela semble plausible – qu’une douleur infligée de l’extérieur peut concentrer ou renforcer la volonté de résister, alors qu’une souffrance en apparence auto-infligée la saperait. « Dans la situation de torture simple, la confrontation se passe clairement entre l’individu et son persécuteur ([…] sachant que le premier parvient souvent à ne pas céder). Mais, lorsque la personne est sommée de rester debout pendant de longues heures, cela introduit un nouveau facteur causal. La source immédiate de la douleur n’est pas l’interrogateur, mais la victime elle-même. Sa résistance risque donc de flancher à mesure que se développe le combat intérieur découlant de cette situation […]. Aussi longtemps que le sujet reste debout, il attribue à son tourmenteur le pouvoir de lui faire subir quelque chose de pire ; alors qu’il n’y a pourtant aucune démonstration de la part de l’interrogateur de sa capacité à le faire » [4].

Les personnes dissimulant des informations mais qui sont en proie aux affres de la culpabilité et à un secret désir de capituler peuvent se fermer à toute coopération si on les fait souffrir. Elles risquent en effet d’interpréter la douleur comme une punition, et donc comme un moyen d’expier. Il existe également des individus qui jouissent de la douleur et de son anticipation. Ceux-ci garderont par-devers eux des informations qu’ils auraient autrement divulguées pour peu qu’ils s’imaginent provoquer ainsi la punition dont ils rêvent. Enfin, les personnes d’une haute stature morale ou intellectuelle trouvent souvent dans la douleur infligée par d’autres une confirmation de l’idée qu’ils se trouvent aux mains d’êtres inférieurs. Leur résolution de ne pas céder s’en trouve accrue.

La douleur extrême est à peu près assurée de produire de fausses confessions, forgées comme moyens d’échapper à la situation de détresse. D’où une perte de temps importante : une enquête s’impose pour vérifier la véracité de ces aveux. Pendant ce répit, la personne interrogée a la possibilité se ressaisir. Il se peut qu’elle mette cette pause à profit pour concocter de nouveaux « aveux », plus complexes, et encore plus longs à réfuter. KUBARK est particulièrement vulnérable à de telles tactiques, parce que l’interrogatoire n’a pas pour objectif le travail de police, mais la recherche d’informations.

Si la souffrance est infligée alors que l’interrogatoire est entamé depuis longtemps et que les autres tactiques ont échoué, la source a toutes les chances d’y voir un signe d’impuissance de l’interrogateur. Elle peut alors estimer qu’il lui suffit de résister à l’assaut final pour remporter à la fois la lutte et sa liberté. Elle aura probablement raison. Les personnes qui ont tenu bon face à la souffrance résistent plus facilement aux autres méthodes. Ici, la douleur n’aura pas mis le sujet au pas, mais aura plutôt rétabli sa confiance et son équilibre mental.

I. HYPERSUGGESTIBILITÉ ET HYPNOSE

Ces dernières années, un certain nombre d’hypothèses sur l’hypnose ont été avancées et posées comme des faits scientifiques, notamment par des psychologues. Parmi celles-ci, on trouve ces assertions catégoriques : il n’est pas possible d’hypnotiser quelqu’un contre sa volonté ; on ne peut obliger une personne sous hypnose à révéler des informations qu’elle souhaite impérativement dissimuler ; l’état de transe et les suggestions posthypnotiques ne sauraient contraindre un individu à adopter des comportements envers lesquels il éprouverait normalement de fortes réticences éthiques ou morales. Si ces affirmations – et d’autres similaires – étaient avérées, l’hypnose n’aurait aucun intérêt pour l’interrogateur.

Mais l’hypnose a beau être depuis longtemps l’objet d’études scientifiques, la pratique n’a pour l’instant confirmé aucune de ces théories, qui ne cadrent pas avec la simple observation des faits. Quoi qu’il en soit, il n’appartient pas à un manuel d’interrogatoire de relayer longuement le débat sur l’hypnose ; ce n’est d’ailleurs nullement nécessaire. L’officier responsable ou l’interrogateur a juste besoin de maîtriser suffisamment le sujet pour comprendre dans quelles circonstances celle-ci peut se révéler un outil utile, afin qu’il en appelle à l’assistance d’un expert au moment idoine.

Si un membre du personnel opérationnel (cela inclut les interrogateurs) n’a aucune expérience ou aptitude en la matière, il ne doit pas user de techniques hypnotiques lors des interrogatoires ou sur le terrain. Et cela pour deux raisons. La première tient à ce que l’usage opérationnel de l’hypnose par quelqu’un n’étant ni psychologue, ni psychiatre, ni docteur en médecine peut causer des dommages psychologiques irréversibles. Le pratiquant profane n’en sait pas assez pour utiliser cette technique en toute sécurité. Et la deuxième raison ? Elle est simple : une tentative infructueuse pour hypnotiser un sujet dans le cadre d’un interrogatoire peut facilement déboucher sur une désastreuse et retentissante publicité médiatique ou sur une incrimination légale. Il en ira de même de toute tentative fructueuse, mais insuffisamment couverte par l’amnésie posthypnotique ou par d’autres procédés du même type.

L’hypnose est fréquemment nommée « état d’hypersuggestibilité », mais ce terme correspond davantage à une description qu’à une définition. Merton M. Gill et Margaret Brenman affirment que « la théorie psychanalytique de l’hypnose implique clairement qu’elle est une forme de régression, même si ce n’est pas expressément indiqué ». Et ils ajoutent que « l’induction [de l’hypnose] désigne le processus provoquant la régression, tandis que l’état hypnotique correspond à la régression elle-même » [13]. À l’interrogateur de retenir la définition qui lui sera la plus utile. Surmonter la résistance d’une personne interrogée se refusant à coopérer revient essentiellement à provoquer une régression suffisante pour mettre fin à cette opposition. L’hypnose est justement un moyen d’entraîner une régression.

Martin T. Orne a beaucoup écrit sur l’hypnose et l’interrogatoire. La plupart de ses conclusions sont prudemment négatives. Concernant le rôle joué par la volonté ou par le comportement de la personne interrogée, Orne affirme : « En l’absence d’expérience déterminante, notons que personne n’a prouvé que la transe peut être induite contre la volonté de quelqu’un. » Il précise que « l’apparition d’un véritable état de transe est conditionnée par le désir du sujet d’accepter l’hypnose ». Et il ajoute : « Le fait qu’un sujet entre ou non en transe dépend davantage de ses relations avec l’hypnotiseur que de la procédure technique utilisée. » Ces points de vue sont probablement partagés par de nombreux psychologues, mais ils ne sont en rien définitifs. Comme Orne le remarque lui-même un peu plus loin, « il est possible de donner [à la personne interrogée] une drogue hypnotique en l’encourageant à parler d’un sujet donné. Il lui est ensuite administré une dose suffisante pour causer une brève période d’inconscience. Quand elle se réveille, l’interrogateur peut feindre d’interpréter, grâce aux “notes” censément prises pendant l’interview conduite sous hypnose, les informations qui auraient été révélées » (comme Ornes l’a précédemment mentionné, cette technique implique que l’interrogateur possède, à l’insu du sujet, des informations significatives sur son compte). « Cette manœuvre […] facilitera évidemment l’extraction d’informations lors des sessions suivantes » [7]. Les techniques visant à induire un état de transe chez un sujet résistant grâce à l’administration préalable de drogues dites silencieuses (soit des stupéfiants que la personne interrogée absorbe sans le savoir), ou grâce à d’autres méthodes peu conventionnelles d’induction hypnotique, sont encore à l’étude. En l’état, la question de savoir dans quelle mesure une source récalcitrante peut être hypnotisée contre sa volonté demeure sans réponse.

Orne prétend également que le fait de réussir à hypnotiser un sujet récalcitrant ne mettra pas pour autant fin à sa résistance. Il pose comme postulat que « rares sont les interrogatoires lors desquels il sera possible de provoquer un état de transe assez profond pour pousser le sujet à aborder des points qu’il se refuserait à évoquer s’il était conscient. Le genre d’information pouvant être obtenu en de telles occasions n’a pas encore été déterminé ». Il ajoute qu’il lui paraît malaisé de faire révéler à un sujet en transe une information qu’il souhaite taire. Mais, là encore, Orne semble se montrer trop prudent ou pessimiste. En pratique, une fois que la personne interrogée se trouve dans un état de transe hypnotique, sa compréhension de la réalité est susceptible d’être manipulée. Un interrogateur de KUBARK peut par exemple affirmer à un homme suspect de double jeu que le KGB conduit la séance de questions, et ainsi inverser totalement son cadre de référence. En d’autres termes, Orne a probablement raison de prétendre qu’une source particulièrement résistante se dérobera tant que son cadre de référence restera inchangé. Mais, une fois le sujet manipulé de manière à lui faire croire qu’il parle à un ami plutôt qu’à un adversaire, ou que dire la vérité est le meilleur moyen de servir ses propres objectifs, la résistance laissera place à la collaboration. L’intérêt de la transe hypnotique n’est pas de permettre à l’interrogateur d’imposer sa volonté, mais plutôt de convaincre la personne interrogée qu’elle n’a aucune raison valable de ne pas se montrer coopérative.

Orne – et d’autres avec lui – soulève une troisième objection : les informations obtenues pendant la transe ne seraient pas fiables. Orne affirme que « l’exactitude de telles informations […] ne peut être garantie puisque les sujets sous hypnose sont parfaitement capables de mentir ». Une fois encore, c’est tout à fait exact : il n’existe aucune méthode reconnue de manipulation qui garantisse la véracité. Mais si l’hypnose est employée comme un moyen de faire s’aligner volontairement le sujet sur l’interrogateur plutôt que comme un instrument permettant d’extraire la vérité, cette objection se dissipe d’elle-même.

L’hypnose offre un avantage que n’ont pas les autres techniques ou procédés d’interrogatoires : la suggestion posthypnotique. Dans des circonstances favorables, il doit être possible d’administrer une drogue silencieuse à une source récalcitrante, de la persuader – une fois que le stupéfiant commence à faire effet – qu’elle est en train de glisser dans une transe hypnotique, de la placer réellement en état d’hypnose quand sa conscience revient, de bouleverser son cadre de référence afin que ses raisons de résister deviennent autant de motifs de collaboration, de l’interroger et enfin de conclure la session en inculquant dans son esprit l’idée qu’elle ne se rappellera rien quand elle émergera de la transe.

Cette présentation sommaire des usages possibles de l’hypnose dans l’interrogatoire de sources réticentes a surtout pour ambition de rappeler au personnel opérationnel que cette technique peut résoudre des problèmes qui resteraient sinon insolubles. À condition de ne pas oublier que l’hypnose n’est clairement pas un procédé que l’on peut conduire seul. C’est pourquoi l’interrogateur, la base ou le centre songeant à y avoir recours doivent suffisamment l’anticiper, pour s’assurer de l’autorisation obligatoire du Quartier général et pour laisser à un expert le temps d’arriver et d’être briefé.

J. LES NARCOTIQUES

De la même façon que la simple menace d’infliger la douleur peut davantage inciter à collaborer que sa mise en œuvre, convaincre à tort une personne interrogée qu’elle a été droguée est susceptible de se révéler plus utile que de la placer réellement sous l’effet de narcotiques. Louis A. Gottschalk mentionne ainsi plusieurs études indiquant que « 30 à 50 % des individus réagissent au placebo, c’est-à-dire qu’ils ressentent un soulagement symptomatique après avoir absorbé une substance inactive » [7]. L’efficacité du placebo sera en outre plus marquée en situation d’interrogatoire parce qu’il permet d’apaiser la mauvaise conscience. Si le sujet refuse de passer aux aveux ou de divulguer des informations, c’est souvent en raison de sa fierté, de son patriotisme, de sa loyauté envers ses supérieurs ou de sa crainte d’être châtié s’il retombe entre leurs mains. Dans ces conditions, son désir naturel d’échapper au stress en cédant aux injonctions de l’interrogateur se révélera déterminant si on lui fournit une justification acceptable à sa soumission. « Ils m’ont drogué » est l’une des meilleures excuses.

Les drogues ne constituent pas plus la réponse aux besoins de l’interrogateur que le détecteur de mensonges, l’hypnose ou d’autres outils. Les études et comptes rendus « traitant de la validité des informations obtenues d’informateurs réticents […] montrent qu’il n’existe pas de drogue susceptible de convaincre n’importe quelle source d’avouer tout ce qu’elle sait. Un psychopathe – criminel invétéré – n’est pas le seul à pouvoir mentir malgré l’influence des stupéfiants : un individu relativement normal et équilibré peut lui aussi dissimuler avec succès des données factuelles » [3]. Gottschalk confirme cette dernière observation : mentionnant une expérience impliquant des drogues, il indique que « les individus les plus normaux et les mieux intégrés se révèlent parfois de meilleurs menteurs que les sujets névrosés et rongés par la culpabilité » [7].

Les drogues peuvent cependant permettre de surmonter efficacement une opposition là où d’autres techniques auraient échoué. Comme mentionné précédemment, la drogue dite silencieuse (une puissante substance pharmacologique absorbée par quelqu’un à son insu) rend quelquefois possible l’induction d’une transe hypnotique chez un sujet mal disposé. Gottschalk remarque : « À condition de choisir judicieusement la drogue – avec le minimum d’effets secondaires et adaptée à la personnalité de la source – et de déterminer attentivement son dosage et le moment idoine pour l’ingérer […], l’administration silencieuse peut se révéler un atout précieux. Comme sous hypnose, le sujet produira de lui-même des suggestions auxquelles il ne pourra échapper […], les sensations ressenties venant forcément de lui. L’effet de la drogue mettra ainsi en lumière des éléments irréfutables » [7].

Il est particulièrement important d’adapter les narcotiques utilisés à la personnalité. L’effet de nombreux stupéfiants dépend davantage des caractéristiques du sujet que de celles des drogues elles-mêmes. Une fois que le Quartier général a donné son autorisation et qu’un médecin est disponible pour administrer la drogue, il revient à l’interrogateur de détailler précisément au praticien les dispositions psychologiques de la source, afin qu’il sélectionne le meilleur stupéfiant possible.

Les personnes rongées par la honte ou la culpabilité sont susceptibles de passer outre lorsqu’elles sont droguées, particulièrement si l’interrogateur a auparavant intensifié ces sentiments. Tout comme le placebo, la drogue fournit une excellente justification à l’individu qui souhaite passer aux aveux mais qui n’a pas réussi à aller à l’encontre de ses propres règles et de sa loyauté.

Comme d’autres biais coercitifs, les stupéfiants peuvent affecter la nature des informations divulguées par la source. Gottschalk remarque que certaines drogues « provoquent parfois des réactions psychotiques telles que des hallucinations, illusions, délires ou désorientations ». Si bien que « le matériel oral recueilli doit quelquefois être considéré comme non pertinent » [7]. C’est pour cette raison que les stupéfiants (de même que les autres outils discutés dans cette section) ne devraient pas être utilisés pour l’interrogatoire de débriefing qui suit la capitulation. Leur fonction est de provoquer la capitulation, de faciliter le passage de la résistance à la coopération. Une fois cet objectif atteint, les techniques coercitives doivent être abandonnées, pour des raisons morales et parce qu’elles ne sont plus nécessaires, quand elles ne se révèlent pas contre-productives.

La présente étude ne fournit aucune liste des stupéfiants employés dans les interrogatoires et n’évoque pas leurs propriétés respectives : cet aspect des choses relève de considérations médicales et concerne davantage les médecins que les interrogateurs.

K. REPÉRER LA SIMULATION

La détection des cas de simulation ne relève pas à première vue des techniques d’interrogatoire – coercitif ou non. Mais l’histoire de l’interrogatoire est jalonnée de récits de personnes ayant tenté, parfois avec succès, d’échapper à une pression croissante en feignant une incapacité mentale ou physique. Les interrogateurs de KUBARK risquent d’être confrontés à des sources apparemment malades ou dérangées dans un contexte où le recours à une assistance spécialisée – médicale ou autre – se révèle difficile, voire quasiment impossible. Une brève discussion sur le sujet a donc été incluse dans ce manuel, avec l’idée qu’un interrogateur averti saura mieux faire la différence entre un simulateur et une personne réellement malade. En outre, la maladie et la simulation sont parfois la conséquence directe d’un interrogatoire coercitif.

Beaucoup de personnes feignant une maladie physique ou mentale n’en savent pas assez sur le sujet pour tromper les spécialistes. Pour L. Meltzer :

La détection de la tromperie est généralement déterminée par l’incapacité du simulateur à adopter de manière adéquate les caractéristiques du rôle qu’il s’est donné […]. Il présente souvent des symptômes extrêmement rares, ou qui existent seulement dans l’imagination du profane. Ainsi cette forme de délire schizophrène où le sujet est persuadé […] d’être un personnage célèbre ou historique. Ce symptôme est très rare dans les véritables psychoses, mais il est utilisé par nombre de simulateurs. La schizophrénie apparaît en outre de manière graduelle : le délire ne se manifeste pas soudainement du jour au lendemain, développé en un clin d’œil. Lorsqu’on a affaire à des simulateurs, le déclenchement des désordres est généralement fulgurant et l’apparition des délires quasi instantanée. Une psychose feinte comporte souvent des symptômes contradictoires et incohérents, qui cohabitent rarement dans la réalité. Le simulateur aura tendance à les interpréter de manière caricaturale : il exagère, dramatise à outrance, grimace, crie, surjoue la bizarrerie, et attire sans cesse l’attention sur lui […].

Une autre caractéristique du simulateur est qu’il cherchera habituellement à échapper à l’examen, ou à le retarder. Une étude sur le comportement des personnes soumises au détecteur de mensonges a par exemple montré que celles reconnues coupables par la suite partageaient certains traits de comportement. Elles rechignaient à passer le test, tentant de le retarder ou de le faire annuler. Anxieuses, elles pouvaient adopter une attitude brusque envers l’examen et l’examinateur. Par des stratégies d’évitement, comme des soupirs, des bâillements ou des mouvements incessants, elles tentaient parfois de faire capoter le test et de brouiller l’enregistrement. Avant même qu’il débute, elles ressentaient la nécessité d’expliquer pourquoi leurs réponses pourraient entraîner l’examinateur sur une fausse piste et lui faire croire qu’elles mentaient. La procédure consistant à passer au détecteur de mensonges un individu suspect de simulation peut donc entraîner des comportements renforçant la suspicion de fraude [7].

Meltzer explique également que les simulateurs qui ne sont pas des spécialistes en psychologie peuvent généralement être démasqués via des tests de Rorschach.

L’état d’esprit de l’examinateur joue également un grand rôle dans la détection de la simulation. Une personne se prétendant folle éveillera non seulement la suspicion dans l’esprit du professionnel, mais aussi le désir de révéler la supercherie. En revanche, une personne apparemment saine, qui dissimule ses troubles mentaux et ne laisse qu’un ou deux symptômes mineurs se manifester, incitera l’expert à tenter de mettre en lumière la maladie cachée.

Lorsque le mutisme ou l’amnésie sont simulés, Meltzer explique que le recours aux narcotiques suffit généralement à dévoiler la fraude. Ceci pour une raison qui prend le contre-pied de la croyance populaire : sous l’influence des drogues appropriées, le simulateur persistera à ne pas parler ou à ne pas se rappeler, alors que les symptômes d’une personne réellement affectée disparaîtront temporairement. Une autre technique consiste à prétendre prendre la tromperie au sérieux, à exprimer gravement son inquiétude, puis à expliquer au « patient » qu’il n’y a pas d’autres remèdes à sa pathologie qu’un traitement par chocs électriques ou une lobotomie frontale.

L. CONCLUSION

Ce rapide résumé de ce qui a été dit précédemment permet de récapituler les principaux éléments de l’interrogatoire coercitif.

1. Les principales techniques coercitives sont l’arrestation, la détention, la privation sensorielle, les menaces et la peur, l’induction d’un état de faiblesse, la souffrance, l’hypersuggestibilité et l’hypnose, les drogues.

2. S’il est nécessaire d’employer une ou plusieurs techniques de coercition, elles doivent être choisies pour leurs effets sur un individu donné et attentivement sélectionnées afin de correspondre à sa personnalité.

3. La coercition entraîne généralement une régression. Les défenses adultes de la personne interrogée s’effritent à mesure qu’elle s’infantilise. Au cours du processus de régression, le sujet est susceptible de ressentir des sentiments de culpabilité ; il est généralement utile de les intensifier.

4. Une fois le processus de régression suffisamment développé pour que le désir de capitulation du sujet compense son envie de résister, l’interrogateur doit lui permettre de sauver la face en lui offrant une échappatoire cohérente. De même que la technique coercitive, cette ligne de fuite doit être choisie avec attention pour correspondre à la personnalité du sujet.

5. La pression coercitive doit être relâchée ou abandonnée dès qu’une certaine soumission a été obtenue, de manière à ne pas entraver une éventuelle collaboration volontaire de la personne interrogée.

Nous n’avons pas mentionné ce qui constitue généralement la dernière étape des interrogatoires conduits par des services communistes : la tentative de conversion. Du point de vue occidental, l’objectif de l’interrogatoire est le recueil d’informations ; une fois qu’un degré suffisant de coopération a été atteint et que l’interrogateur a accès à ce qu’il recherchait, il se comporte généralement comme si l’attitude de la source ne le concernait plus. Dans certaines circonstances, cette indifférence confine au manque de clairvoyance. Si une source reste relativement hostile ou hantée par le remords à la fin d’un interrogatoire réussi, finaliser sa conversion (et se doter ainsi d’un éventuel atout durable) se révélera souvent moins chronophage que de gérer la rancœur qui pourrait résulter d’une conclusion expéditive.

X. L’AIDE-MÉMOIRE DE L’INTERROGATEUR

Les questions qui suivent ont été conçues pour servir d’aide-mémoire à l’interrogateur ainsi qu’à ses supérieurs.

1. Les éléments de la législation locale (ou fédérale, ou autre) affectant la conduite d’un interrogatoire – qu’il soit unilatéral ou mené de concert avec un autre service – ont-ils été établis et assimilés ?

2. Si la personne interrogée doit être détenue, combien de temps est-il possible de la maintenir en captivité sans enfreindre la loi ?

3. Si l’interrogatoire est conduit par un service d’ODYOKE doté d’attributions de contre-renseignement à l’étranger et s’il tombe sous le coup de la directive xxxxx   ou de la directive xxxxx   de la direction de KUBARK, est-il supervisé par KUBARK ? Un interrogatoire KUBARK soumis aux mêmes dispositions a-t-il été planifié et coordonné de manière appropriée ?

4. Les consignes et directives de KUBARK ont-elles été respectées ? Celles-ci incluent les xxxxx x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x xxxxx, les directives en rapport de la direction de KUBARK xxxxx x x x x x x x x x x x x x x xxxxx, pertinentes xxxxx xxxxx, et les dispositions concernant le recours à la contrainte mentionnées dans divers paragraphes de ce manuel.

5. La personne qui va subir l’interrogatoire est-elle citoyenne de PBPRIME ? Si oui, les différentes consignes en rapport listées dans le manuel sont-elles réellement assimilées ?

6. L’interrogateur sélectionné pour cette tâche remplit-il les quatre critères essentiels ? À savoir : a) suffisamment d’entraînement opérationnel et d’expérience ; b) une bonne maîtrise de la langue à utiliser ; c) une connaissance géographique et culturelle de la zone concernée ; d) une compréhension de la personnalité de la source.

7. Est-ce que le futur interrogé a été soumis au processus pré-interrogatoire ? Quelles sont ses caractéristiques psychologiques essentielles ? Peut-on le rattacher à l’une des neuf catégories majeures listées aux pages 76-85. Si oui, à laquelle ?

8. Toutes les informations pertinentes disponibles sur le sujet ont-elles été collectées et examinées ?

9. La source est-elle xxxxx x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x  x x x x , ou la séance de questions sera-t-elle complétée dans un autre lieu ? Si ce lieu est une base ou une station, l’interrogateur, la personne interrogée et l’équipement seront-ils disponibles pour la durée qu’on estime nécessaire à l’achèvement du processus ? Si la personne interrogée doit être envoyée dans un centre spécial, est-ce que cette décision a été approuvée par le centre en question ou par le Quartier général ?

10. Les documents pertinents fournis par le futur interrogé ont-ils tous été soumis à une analyse technique ?

11. S’est-on d’abord tourné vers les sources les plus évidentes ? L’interrogatoire est-il vraiment nécessaire ?

12. A-t-on recherché, sur le terrain et au Quartier général, les éventuelles traces laissées par la personne interrogée et par ses proches – relations amicales, familiales ou économiques ?

13. Un test préliminaire de bonne foi a-t-il été réalisé ? Avec quel résultat ?

14. Si des liens antérieurs avec un service de renseignement, un Parti communiste ou une organisation servant de couverture ont été confessés, tous les détails ont-ils été obtenus et notifiés ?

15. Les techniques LCFLUTTER ont-elles été utilisées ? Aussitôt que possible ? Plus d’une fois ? Quand ?

16. Estime-t-on que la personne en passe d’être interrogée risque de résister ? Si une résistance est prévue, quelle en serait la raison ? Peur ? Patriotisme ? Considérations personnelles ? Convictions politiques ? Entêtement ? Ou bien autre chose ?

17. Quel est l’objectif de l’interrogatoire ?

18. A-t-on planifié l’interrogatoire ?

19. xxxxx x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x xxxxx

20. Dispose-t-on d’un cadre approprié pour mener l’interrogatoire ?

21. Les sessions d’interrogatoire seront-elles enregistrées ? L’équipement nécessaire est-il disponible ? Installé ?

22. Toutes les dispositions ont-elles été prises pour nourrir, loger et surveiller le sujet de manière optimale ?

23. Le plan de l’interrogatoire prévoit-il de faire appel à plusieurs interrogateurs ? Le cas échéant, les rôles ont-ils été assignés ? Les emplois du temps préparés ?

24. L’environnement dans lequel se déroulera l’interrogatoire permet-il à l’interrogateur de contrôler et manipuler la source de manière optimale ?

25. Qu’a-t-on planifié pour la fin de l’interrogatoire ? Quelles dispositions ont été prises pour la personne interrogée ?

26. Peut-on déterminer rapidement le ressenti de la source concernant l’interrogateur ou les interrogateurs ? Quel est celui de l’interrogateur à propos de la personne interrogée ? Note-t-on l’existence d’une réaction émotionnelle assez puissante pour fausser le processus ? Le cas échéant, peut-on remplacer l’interrogateur ?

27. Si la source résiste, utilisera-t-on des méthodes coercitives ou non coercitives ? Pourquoi ?

28. Le sujet a-t-il déjà été interrogé par le passé ? Connaît-il les techniques d’interrogatoire ?

29. Le comportement de la personne interrogée lors de la phase d’approche a-t-il confirmé ou infirmé les appréciations préliminaires ? S’il existe des différences significatives, quelles sont-elles ? En quoi affectent-elles la planification du reste de l’interrogatoire ?

30. Au cours de la phase d’approche, le sujet a-t-il manifesté par sa voix, ses yeux, sa bouche, ses gestes, ses silences ou par d’autres indices que l’on touchait à un domaine sensible ? Si oui, à quel sujet ?

31. Est-ce que de bons rapports ont été noués durant la phase d’approche ?

32. La phase d’approche a-t-elle été suivie d’une phase de reconnaissance ? Quels sont les sujets suscitant la résistance du sujet ? Quelle tactique et quel degré de pression seront nécessaires pour en venir à bout ? La durée estimée de l’interrogatoire doit-elle être revue à la hausse ? Si c’est le cas, faut-il prendre des dispositions supplémentaires pour prolonger la détention, assurer les liaisons ou les tours de garde, ou autre chose ?

33. Du point de vue de l’interrogateur, comment le sujet a-t-il réagi émotionnellement à sa personne ? Pourquoi ?

34. Des rapports d’interrogatoire sont-ils préparés après chaque session ? En partant de notes ou d’enregistrements ?

35. Quelles dispositions faut-il prendre envers la personne interrogée une fois l’interrogatoire terminé ? Si le sujet est suspecté d’être un agent hostile et que l’interrogatoire n’a pas débouché sur des aveux, quelles seront les mesures prises pour s’assurer qu’il ne puisse opérer comme par le passé, sans entrave ni contrôle ?

36. A-t-on fait une promesse qui n’aurait pas été tenue une fois le processus arrivé à son terme ? Le sujet est-il vindicatif ? Susceptible de contre-attaquer ? Comment ?

37. Si l’une (ou plusieurs) des techniques non coercitives abordées aux pages 124-141 a été utilisée, comment a-t-elle affecté la personnalité de la personne interrogée ?

38. Envisage-t-on de recourir à des techniques coercitives ? Si oui, le personnel concerné et relevant de la chaîne de commandement direct de l’interrogateur en a-t-il été informé ? A-t-il approuvé ?

39. Le Quartier général l’a-t-il préalablement autorisé ?

40. xxxxx x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x xxxxx

41. Même question, pour la détention. Si le sujet doit être placé en détention, KUBARK est-elle en mesure de contrôler intégralement son environnement ? Peut-on casser sa routine habituelle en vue de l’interrogatoire ?

42. Est-il nécessaire d’avoir recours au confinement solitaire ? Pourquoi ? Le lieu du confinement permet-il l’élimination pratique de tout stimulus sensoriel ?

43. Envisage-t-on d’avoir recours aux menaces ? Font-elles partie du plan ? La nature des menaces employées est-elle adaptée à la personnalité de la personne interrogée ?

44. Si l’on estime nécessaire d’avoir recours à l’hypnose ou aux narcotiques, en a-t-on informé le Quartier général suffisamment tôt ? Est-ce qu’une somme suffisante au financement du voyage d’un spécialiste et à tous les autres préparatifs a été provisionnée ?

45. La personne interrogée est-elle suspectée de simulation ? Si l’interrogateur ne dégage pas de certitude à ce sujet, est-il en mesure de contacter un expert ?

46. Une fois l’interrogatoire mené à son terme, un rapport détaillé a-t-il été rédigé ?

47. xxxxx x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x xxxxx

48. xxxxx x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x xxxxx

49. L’interrogatoire peut-il être qualifié de succès ? Pourquoi ?

50. Peut-il être qualifié d’échec ? Pourquoi ?

XI. BIBLIOGRAPHIE DÉTAILLÉEnote

Cette bibliographie est sélective : la majorité des livres et articles consultés pour rédiger ce manuel n’y figurent pas. Ceux qui n’avaient pas de réelle utilité en matière de contre-interrogatoire de sources résistantes n’ont pas été retenus. Nous avons également choisi de ne pas inclure ceux que nous considérions comme élémentaires, de qualité inférieure ou douteux.

Cela ne signifie pas que la liste des éléments retenus est exhaustive et absolument pertinente, le nombre de travaux publiés en ce domaine pourtant très spécialisé dépassant le millier. Mais nous estimons que tous les travaux compilés ici devraient être lus par chaque membre du personnel de KUBARK concerné par la procédure d’interrogatoire.

[1] Anonyme (xxxxx x x x x x x x x x x x x xxxxx), « Interrogation », non daté. Cet article se parcourt en une heure. Il est intelligent, va droit au but et s’appuie sur une expérience approfondie. N’y sont traités que les interrogatoires menés sur une personne ayant été arrêtée et incarcérée. En raison d’un angle d’analyse trop large, le débat est pourtant mené à vive allure et reste cantonné en surface.

[2] Barioux Max, « A method for the selection, training, and evaluation of the interviewer », Public Opinion Quaterly, printemps 1952, vol. 16, nº 1. Cet article traite des personnes menant des interviews dans le cadre d’enquêtes d’opinion. Il est de peu d’intérêt pour les interrogateurs, si ce n’est qu’il souligne le caractère improductif des questions portant en elles-mêmes leur propre réponse.

[3] Biderman Albert D., A Study for Development of Improved Interrogation Techniques, étude SR 177-D (U), classé secret, rapport final du contrat AF 18 (600) 1797, Bureau of Social Science Research Inc., Washington D.C., mars 1959. Cet ouvrage (207 pages de texte) traite essentiellement du comportement de prisonniers de guerre américains interrogés par des services communistes. Il en tire des conclusions utiles à l’interrogateur de KUBARK confronté à une source résistante. Et offre l’avantage d’incorporer les travaux et opinions d’un grand nombre de chercheurs et spécialistes travaillant sur des champs liés aux problématiques de l’interrogatoire. La fréquence des références à cet ouvrage l’illustre : le consulter se révélera très utile. La grande majorité des interrogateurs de KUBARK ne pourront que se féliciter de l’avoir parcouru. Il contient également une bibliographie judicieuse, mais non détaillée (343 références).

[4] Biderman Albert D., « Communist attempts to elicit false confession from Air Force prisoners of war », Bulletin of the New York Academy of Medicine, septembre 1957, vol. 33. Une excellente analyse des méthodes de pression psychologique appliquées par les communistes chinois sur des prisonniers de guerre américains afin de provoquer des « confessions », ensuite utilisées à des fins de propagande.

[5] Biderman Albert D., « Communist techniques of coercive interrogation », Air Intelligence, juillet 1955, vol. 8, nº 7. Ce court article n’entre pas dans les détails. Le sujet traité est peu ou prou le même que celui de l’entrée [4], mais il l’aborde en se focalisant sur l’interrogatoire plutôt que sur l’extraction de « confessions ».

[6] Biderman Albert D., « Social psychological needs and “involuntary” behavior as illustrated by compliance in interrogation », Sociometry, juin 1960, vol. 23. Cet article intéressant plonge dans le vif du sujet. Il offre une analyse pertinente des interactions entre l’interrogateur et la personne interrogée. On peut le rapprocher de « Psychology of confession » de Milton W. Horowitz (cité plus bas [15]).

[7] Biderman Albert D. et Zimmer Herbert, The Manipulation of Human Behavior, John Wiley and Sons Inc., New York/Londres, 1961. Cet ouvrage de 304 pages se compose d’une introduction par les éditeurs et de sept chapitres rédigés par des spécialistes : Dr Lawrence E. Hinkle Jr., « The physiological state of the interrogation subject as it affects brain function » ; Dr Philip E. Kubzansky, « The effects of reduced environmental stimulation on human behavior : a review » ; Dr Louis A. Gottschalk, « The use of drugs in interrogation » ; Dr R. C. Davis, « Physiological responses as a means of evaluating information » (ce chapitre se focalise sur les détecteurs de mensonges) ; Dr Martin T. Orne, « The potential uses of hypnosis in interrogation » ; Drs Robert R. Blake et Jane S. Mouton, « The experimental investigation of interpersonal influence » ; Dr Malcolm L. Meltzer, « Countermanipulation through malingering ». Si les éditeurs annoncent en introduction que l’ouvrage « est avant tout consacré aux interrogatoires de sujets résistants », l’accent est en réalité mis sur l’aspect psychologique ; l’interrogatoire lui-même est rapidement expédié. Les interrogateurs de KUBARK ont cependant tout intérêt à lire ce livre, particulièrement les chapitres rédigés par les Drs Orne et Meltzer. Ils constateront sans doute qu’il a été écrit par des scientifiques pour des scientifiques, et que les contributions abordent systématiquement l’interrogatoire de manière trop théorique. Ils noteront également que les auteurs n’ont pu s’appuyer sur quasiment aucune expérimentation conduite dans des conditions d’interrogatoire et dont les résultats auraient été déclassifiés (les conclusions sont presque toutes extrapolées). Mais l’ouvrage contient beaucoup d’informations utiles, d’où les fréquentes mentions qui en sont faites dans ce manuel. Les bibliographies combinées atteignent un total de 771 références.

[8] xxxxx x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x xxxxx

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[10] xxxxx x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x xxxxx

[11] xxxxx x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x  

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[12] xxxxx x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x xxxxx

[13] Gill Merton M. et Brenman Margaret, Hypnosis and Related States. Psychoanalytic Studies in Regression, International Universities Press Inc., New York, 1959. Cet ouvrage analyse l’hypnose de manière détaillée. L’approche est essentiellement freudienne, mais les auteurs ne sont ni bornés ni doctrinaires. Sont abordés le déclenchement de l’hypnose, l’état d’hypnose, les théories de l’induction hypnotique et de la condition hypnotique, le concept de régression considéré comme un élément de base de l’hypnose, les liens entre hypnose et drogues, sommeil, amnésie, etc., ainsi que l’usage de l’hypnose dans les psychothérapies. Les interrogateurs trouveront sans doute la comparaison entre hypnose et « lavage de cerveau » – dans le chapitre ix – plus utile que nombre d’autres passages. Cet ouvrage est toutefois recommandé, non pas parce qu’il contiendrait une analyse de l’usage de l’hypnose dans l’interrogatoire (ce n’est pas le cas), mais parce qu’il fournit des informations précieuses sur ce qu’elle peut et ne peut pas faire.

[14] Hinkle Lawrence E. Jr. et Wolff Harold G., « Communist interrogation and indoctrination of enemies of the State », AMA Archives of Neurology and Psychiatry, août 1956, vol. 76, nº 2. Cet article analyse les réactions physiologiques et psychologiques de prisonniers américains confrontés à la détention et à l’interrogatoire sous contrôle communiste. Si sa lecture est recommandée, il n’est pas nécessaire de l’étudier en détail, en grande partie parce qu’il existe des différences substantielles entre l’interrogatoire de prisonniers de guerre américains par des communistes et l’interrogatoire par KUBARK de membres suspectés ou avérés d’un service ou Parti communiste.

[15] Horowitz Milton W., « Psychology of confession », Journal of Criminal Law, Criminology, and Police Science, juillet-août 1956, vol. 47. L’auteur liste les différentes étapes d’un passage aux aveux : 1) le sujet se sent accusé ; 2) il fait face à une autorité dotée d’un pouvoir supérieur au sien ; 3) il est persuadé que cette autorité va découvrir – voire détient déjà – des preuves accablantes de sa culpabilité ; 4) il est privé de tout soutien amical ; 5) il se fait des reproches ; 6) le passage aux aveux est perçu comme un soulagement. Bien que cet article soit davantage fondé sur des hypothèses que sur l’analyse de faits vérifiés, une lecture attentive est conseillée.

[16] Inbau Fred E. et Reid John E., Lie Detection and Criminal Investigation, Williams and Wilkins Co., Baltimore, 1953. La première partie de cet ouvrage aborde la question du détecteur de mensonges. Elle se révélera plus utile à l’interrogateur de KUBARK que la seconde, consacrée aux diverses étapes d’un interrogatoire criminel.

[17] Khokhlov Nicolai, In the Name of Conscience, David McKay Co., New York, 1959. Une référence mentionnée en grande partie en raison de la citation utilisée dans le manuel. L’ouvrage offre cependant quelques réflexions intéressantes sur le comportement des personnes interrogées.

[18] KUBARK, Communist Control Methods, annexe 1, « The use of scientific design and guidance drugs and hypnosis in communist interrogation and indoctrination procedures », classé secret, date de publication inconnue. Cette annexe rend compte d’une étude portant sur l’utilisation de moyens tels que l’hypnose ou les drogues dans les interrogatoires communistes. S’il est évident que des expériences de ce type sont menées dans les pays communistes, l’étude n’apporte aucune preuve de leur réelle utilisation – ni de leur éventuelle utilité.

[19] KUBARK (KUSODAnote), Communist Control Techniques, classé secret, 2 avril 1956. Une analyse des méthodes de la police d’État communiste en matière d’arrestation, d’interrogatoire et d’endoctrinement de personnes hostiles. Comme d’autres travaux traitant des techniques d’interrogatoire communistes, cet article sera utile à tout interrogateur de KUBARK chargé d’interroger un ancien membre d’un service de renseignement ou de sécurité ennemi. Mais il n’aborde pas la question des interrogatoires menés sans disposer de pouvoirs de police.

[20] KUBARK, Hostile Control and Interrogation Techniques, classé secret, date de publication inconnue. Cette brochure se compose de 28 pages de texte et de 2 annexes. Elle fournit des conseils au personnel de KUBARK pour résister à un interrogatoire mené par un service hostile. Si elle délivre de judicieuses recommandations, elle ne présente aucune information nouvelle sur les théories et pratiques de l’interrogatoire.

[21] xxxxx x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x xxxxx

[22] xxxxx x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x xxxxx

[23] Laycock Keith, « Handwriting analysis as an assessment aid », Studies in Intelligence, été 1959, vol. 3, nº 3. Une défense de la graphologie conduite par un « amateur avisé ». Bien que l’article soit intéressant, il ne prouve en rien que l’analyse de l’écriture d’une source puisse être d’un quelconque intérêt pour l’interrogatoire. Recommandé, néanmoins, aux interrogateurs qui ne seraient pas familiers du sujet.

[24] Lefton Robert Jay, « Chinese communist “thought reform” : confession and reeducation of Western civilians », Bulletin of the New York Academy of Medicine, septembre 1957, vol. 33. Un bon article sur les techniques de lavage de cerveau des communistes chinois, composé en majeure partie d’entretiens menés directement avec des prisonniers ayant subi ce procédé. Recommandé en tant que lecture d’appoint.

[25] Levenson Bernard et Wiggins Lee, A Guide for Intelligence Interviewing of Voluntary Foreign Sources, usage officiel uniquement, Officer Education Research Laboratory, ARDC, Maxwell Air Force Base (mémorandum technique OERL-TM-54-4). Ce traité sur les techniques d’interrogatoire est de bonne facture, malgré un angle d’approche trop large. Comme l’indique son titre, il ne traite pas du même sujet que la présente étude.

[26] Lilly John C., « Mental effects of reduction of ordinary levels of physical stimuli on intact healthy persons », Psychological Research Report #5, American Psychiatric Association, 1956. L’auteur commence par résumer rapidement quelques récits autobiographiques de relatif isolement maritime (sur des petits bateaux) ou dans les régions polaires, avant de rendre compte de deux expériences visant à faire disparaître ou à réduire drastiquement les stimuli sensoriels. Celles-ci ont eu pour résultat d’accélérer les effets de types d’isolement plus classiques (comme le confinement). Délires et hallucinations, précédés d’autres symptômes, apparaissent après une courte période. L’auteur n’envisage pas d’appliquer ses découvertes au champ de l’interrogatoire.

[27] Meerlo Joost A. M., The Rape of the Mind, World Publishing Co., Cleveland, 1956. Pour l’interrogateur, l’intérêt majeur de ce livre est qu’il lui permet de déceler un grand nombre d’éléments utiles dans les réponses d’une source. Ceux-ci ne sont pas directement liés aux questions posées ou au cadre de l’interrogatoire, mais découlent de (ou sont au moins influencés par) toutes les situations d’interrogatoire que le sujet a connues plus tôt dans sa vie, spécialement pendant l’enfance. Pour beaucoup de personnes interrogées, l’interrogateur devient – pour le meilleur ou le pire – un symbole parental ou d’autorité. La soumission du sujet ou sa résistance sont fréquemment déterminées par le contexte familial de son enfance. Des forces similaires s’affrontant pendant l’interrogatoire, celui-ci est susceptible de masquer une couche plus profonde d’échange ou de conflit entre les deux intéressés. Pour l’interrogateur, l’un des intérêts majeurs de cet ouvrage (et de la plupart des travaux psychologiques ou psychanalytiques apparentés) tient à ce qu’il peut lui apporter une connaissance plus profonde de sa propre personne.

[28] Moloney James Clark, « Psychic self-abandon and extortion of confessions », International Journal of Psychoanalysis, janvier-février 1955, vol. 36. Ce court article établit un parallèle entre le soulagement psychologique que procure la confession (c’est-à-dire le sentiment de bien-être accompagnant la capitulation, considérée comme la solution à un conflit qui n’aurait pu sinon être résolu) et l’expérience religieuse, en se focalisant plus particulièrement sur dix pratiques bouddhistes. L’interrogateur ne trouvera ici nul enseignement qui ne soit détaillé de manière plus accessible dans d’autres sources, notamment dans Hypnosis and Related States de Gill et Brenman [13]. Marginal.

[29] Oatis William N., « Why I confessed », Life, 21 septembre 1953, vol. 35. Article d’une valeur marginale. Il combine les protestations d’innocence de l’auteur (« je ne suis pas un espion et ne l’ai jamais été ») et le récit de la manière dont il fut amené à « confesser » son statut d’agent secret dans les trois jours suivant son arrestation. Même si Oatis fut périodiquement privé de sommeil (dont une fois pendant 42 heures) et forcé de rester debout jusqu’à l’épuisement, les Tchèques l’ont fait passer aux aveux sans user de la torture ou de la privation de nourriture, et sans avoir recours à des techniques sophistiquées.

[30] Rundquist E. A., « The assessment of graphology », Studies in Intelligence, classé secret, été 1959, vol. 3, nº 3. L’auteur conclut qu’une étude scientifique de la graphologie est nécessaire pour permettre de porter un jugement objectif sur la valeur à accorder à cette technique d’analyse. Cet article doit être lu en parallèle avec la référence [23] ci-dessus.

[31] Schachter Stanley, The Psychology of Affiliation. Experimental Studies of the Sources of Gregariousness, Stanford University Press, Stanford, 1959. Cette étude de 133 pages aborde essentiellement les expériences et analyses statistiques menées par le Dr Schachter et ses collègues à l’université du Minnesota. Ses enseignements majeurs concernent le rapport entre anxiété, intensité des besoins d’affiliation et position ordinale (c’est-à-dire le rang occupé dans la séquence de naissance au sein d’une fratrie). En émergent quelques conclusions provisoires importantes pour l’interrogateur :

a) « L’une des conséquences de l’isolement consiste en un état psychologique qui ressemble, dans ses formes extrêmes, à une crise d’angoisse carabinée » (p. 12).

b) L’angoisse intensifie le désir de se trouver en contact avec d’autres personnes partageant la même crainte.

c) Les personnes qui sont des premiers-nés ou des enfants uniques apparaissent généralement plus nerveuses ou craintives que les autres. Elles semblent aussi « largement moins désireuses ou capables de résister à la douleur que celles nées dans une autre position ordinale » (p. 49).

En bref, cet ouvrage présente des hypothèses intéressantes pour les interrogateurs ; des recherches plus poussées sont cependant nécessaires pour déterminer leur validité et leur applicabilité.

[32] Sheehan Robert, Police Interview and Interrogations and the Preparation and Signing of Statements. Cette brochure de 23 pages, non classifiée et non datée, aborde la question des tactiques et pièges utilisés dans les interrogatoires classiques – certains d’entre eux peuvent se révéler utiles dans le cadre du contre-renseignement. Si le ton est enlevé, la grande majorité du texte reste éloignée des problématiques de l’interrogatoire KUBARK. Recommandé en tant que lecture d’appoint.

[33] Singer Margaret Thaler et Schein Edgar H., « Projective test responses of prisoners of war following repatriation », Psychiatry, vol. 21, 1958. Des tests conduits sur des prisonniers de guerre américains rapatriés à la suite des opérations Big Switch et Little Switch en Corée ont montré qu’il existait des différences de personnalité entre les sujets qui avaient résisté et ceux qui avaient coopéré. Ces derniers réagissaient de manière plus conventionnelle et sensible aux tests psychologiques, alors que les premiers se montraient généralement plus apathiques et repliés sur leurs émotions, voire bloqués. Ceux qui avaient le plus activement résisté affichaient cependant des caractéristiques proches de ceux ayant collaboré, dans leurs réactions ainsi qu’en matière de vivacité d’esprit. Les résultats des tests de Rorschach ont indiqué, statistiques fiables à l’appui, qu’il existait des différences psychologiques entre collaborateurs et non-collaborateurs. Les examens et résultats décrits méritent d’être pris en compte, de même que les procédures préinterrogatoires recommandées dans cet article.

[34] Sullivan Harry Stack, The Psychiatric Interview, W. W. Norton and Co., New York, 1954. Tout interrogateur parcourant ce livre sera frappé par les parallèles entre l’entretien psychiatrique et l’interrogatoire. Autre élément positif : son auteur, un psychiatre très réputé, possède visiblement une grande compréhension de la nature des relations interpersonnelles ainsi que des mécanismes de résistance.

[35] U. S. Army, Office of the Chief of Military History, Russian Methods of Interrogating Captured Personnel in World War II, classé secret, Washington, 1951. Un traité détaillé portant sur les services de renseignement et de police russes, ainsi que sur l’histoire du traitement des captifs – civils ou militaires – par les Soviétiques pendant et après la Seconde Guerre mondiale. L’appendice rend compte de quelques cas spécifiques pour lesquels la police secrète eut recours à la torture physique. L’interrogatoire en lui-même n’est abordé que dans une petite partie de l’ouvrage. Lecture d’appoint.

[36] U. S. Army, 7707 European Command Intelligence Center, Guide for Intelligence Interrogators of Eastern Cases, classé secret, avril 1958. Cette étude spécialisée est d’une valeur marginale. Pour les interrogateurs KUBARK ayant affaire à des Russes ou à d’autres Slaves.

[37] U. S. Army, The Army Intelligence School, Fort Holabird, Techniques of Interrogation, dossier pour instructeurs I-6437/A, janvier 1956. Un article de l’ex-interrogateur allemand Hans Joachim Scharff, « Without torture », occupe la majeure partie de ce dossier. La discussion préliminaire et l’article de Scharff (publié initialement dans Argosy, mai 1950) se focalisent exclusivement sur l’interrogatoire de prisonniers de guerre. L’auteur affirme que les méthodes employées par le renseignement militaire du IIIe Reich contre des soldats de l’U. S. Air Force « étaient presque irrésistibles ». Cependant, la technique de base consistait à faire croire au prisonnier que tout ce qu’il savait était déjà connu des Allemands. Le succès de cette méthode dépend de circonstances faisant généralement défaut en temps de paix, lors de l’interrogatoire d’un membre – agent ou employé – d’un service de renseignement hostile. L’article mérite néanmoins d’être lu, parce qu’il montre de manière saisissante les avantages d’une bonne planification et organisation.

[38] U. S. Army, Counterintelligence Corps, Fort Holabird, Interrogations, confidentiel, 5 septembre 1952. Un passage en revue rapide de l’interrogatoire militaire. Parmi les sujets abordés : l’interrogatoire de témoins, de suspects, de prisonniers de guerre et de réfugiés, ainsi que l’utilisation d’interprètes et de détecteurs de mensonges. Bien que ce texte ne se focalise pas sur les problèmes basiques rencontrés par les interrogateurs de KUBARK, sa lecture ne sera pas inutile.

[39] U. S. Army, Counterintelligence Corps, Fort Holabird, Investigative Subjects Department, Interrogations, confidentiel, 1er mai 1950. Ce fascicule de 70 pages consacré à l’interrogatoire de contre-renseignement est direct, succinct, pratique et solide. Lecture attentive recommandée.

[40] xxxxx x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x xxxxx

[41] Wellman Francis L., The Art of Cross-Examination, Garden City Publishing Co. (désormais Doubleday), New York, 1re édition 1903, 4e édition 1948. La majeure partie de cet ouvrage n’est pas directement en rapport avec le thème de ce manuel ; il aborde essentiellement les techniques utilisées pour déstabiliser les témoins et impressionner les jurys. La lecture du chapitre viii, « Fallacies of testimony », est cependant conseillée, parce que certaines de ses mises en garde demeurent valables.

[42] Wexler Donald, Mendelson Jack, Leiderman Herbert et Solomon Philip, « Sensory deprivation », A.M.A. Archives of Neurology and Psychiatry, nº 79, 1958, p. 225-233. Cet article relate une expérience élaborée pour tester les conséquences de la privation – totale ou partielle – de certains stimuli sensoriels. Des volontaires rémunérés restent enfermés dans un poumon d’acier pendant une période allant de 1 h 38 à 36 heures. Parmi les effets relevés : incapacité à se concentrer correctement, rêves éveillés et fantasmes, illusions, délires et hallucinations. L’éventuelle pertinence de cette procédure en tant que moyen d’accélérer les effets du confinement solitaire sur des sujets récalcitrants n’a pas été étudiée.

AUTRES BIBLIOGRAPHIES

Les bibliographies listées ci-dessous ont été utilisées au cours de la préparation de ce manuel.

[I] Brainwashing. A Guide to the Literature, élaborée par la Society for the Investigation of Human Ecology, Inc., Forest Hills, New York, décembre 1960. Une grande variété de ressources y est représentée : études universitaires et scientifiques, études menées par le gouvernement ou par divers organismes, approche légale, récits biographiques, fiction, journalisme ; ainsi que des ressources classées « divers ». Le nombre de références pour chaque catégorie est respectivement de 139, 28, 7, 75, 10, 14 et 19, pour un total de 418. Chaque titre est suivi d’une ou deux phrases de description, donnant une indication sur le contenu, mais n’exprimant aucun jugement de valeur. La première section contient un grand nombre de références particulièrement utiles.

[II] Comprehensive Bibliography of Interrogation Techniques, Procedures, and Experiences, Air Intelligence Information Report, déclassifié, 10 juin 1959. Cette bibliographie de 158 références, échelonnées entre 1915 et 1957, est composée des « monographies sur le sujet disponibles à la Bibliothèque du Congrès, classées par ordre alphabétique d’auteur ou, en l’absence d’auteur, de titre ». Aucune description n’est donnée, à l’exception des sous-titres explicatifs. Si ces monographies sont en plusieurs langues, elles ne sont pas classées par catégories. Une bibliographie extrêmement hétérogène : la plupart des références sont d’une valeur nulle ou secondaire pour l’interrogateur.

[III] Interrogation Methods and Techniques, KUPALM, L-3, 024, 941, juillet 1959, classé secret/NOFORN. Cette bibliographie comporte 114 entrées et répartit les documents en quatre catégories : livres et brochures, articles issus de périodiques, documents classifiés et documents issus de périodiques classifiés. Aucune description (hormis les sous-titres) n’est proposée. L’éventail est large, si bien que de nombreux titres n’ayant que peu à voir avec le sujet sont listés (par exemple : « Employment psychology : the interview, interviewing in social research » et « Phrasing questions : the question of bias in interviewing », issus du Journal of Marketing).

[IV] Survey of the Literature on Interrogation Techniques, KUSODA, 1er mars 1957, confidentiel. Bien qu’elle semble désormais un peu datée en raison d’avancées importantes depuis sa publication, cette bibliographie reste la meilleure de celles listées ici. Elle regroupe 114 références en quatre catégories : lecture fondamentale, lecture recommandée, lecture d’un intérêt limité ou marginal, lecture sans intérêt. Une description rapide de chaque entrée est proposée. Les éléments inévitablement subjectifs qui teintent ces jugements concis et critiques sont judicieux. Et ils permettent à l’interrogateur trop occupé pour labourer des hectares de publications de gagner du temps.

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Les technologies offensives de contrôle politique : un nouveau péril social

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